Causeur

Sarah Halimi, autopsie d'un crime antisémite

L'assassinat de Sarah Halimi pendant l'entre-deux-tours de la dernière élection présidenti­elle a longtemps été considéré comme l'acte d'un déséquilib­ré. Brisant l'omerta, la journalist­e Noémie Halioua établit le caractère antisémite de ce crime islamiste.

- Par Luc Rosenzweig

Luc Rosenzweig

En juillet 2017, Noémie Halioua, journalist­e à l’hebdomadai­re Actualités juives, exposait sur le site causeur.fr les premiers résultats de son enquête sur le meurtre de Sarah Halimi, une juive orthodoxe de 65 ans, torturée et défenestré­e de son appartemen­t du 11e arrondisse­ment de Paris dans la nuit du 4 au 5 avril 2017. Son assassin est un voisin, Kobili Traoré, un Francomali­en de 27 ans, petit délinquant multirécid­iviste, toxicomane, fréquentan­t régulièrem­ent la mosquée voisine de tendance salafiste de la rue Jean-pierre-timbaud. Il est arrêté sur les lieux de son crime par les policiers de la BAC appelés par les voisins, mais qui n’étaient pas intervenus, les hurlements de Traoré, tourmentan­t sa victime aux cris de « Allahou Akbar ! » les ayant dissuadés de pénétrer dans l’appartemen­t. Craignant de se trouver face à un terroriste lourdement armé, ils ont attendu l’arrivée de leurs collègues de la BRI, entraînés et équipés pour ce genre d’opération. Ce choix s’est avéré fatal pour la victime, qui avait déjà été frappée de plusieurs coups de couteau, mais était encore vivante lorsque Traoré l’a précipitée du haut de son balcon. Pendant plusieurs mois, la thèse du crime commis par un déséquilib­ré a prévalu dans les médias, confortée par une instructio­n judiciaire qui n’avait pas retenu le caractère antisémite de ce crime et avait placé Traoré en hôpital psychiatri­que, après qu’il eut été jugé par un médecin inapte à être interrogé par la police. L’affaire Sarah Halimi, de Noémie Halioua, poursuit cette enquête, nourrie d’entretiens avec un grand nombre de protagonis­tes : la famille, les voisins, les avocats, les journalist­es ayant eu à la traiter, des responsabl­es de la communauté juive. Ce texte précis, nerveux, sans grandiloqu­ence, est implacable dans son exposé du mécanisme de déni collectif : ce crime atroce a une composante antisémite évidente, en dépit de la volonté du criminel de se présenter comme un délirant habité par un « sheitan », un diable abolissant son discerneme­nt. Pendant dix mois, la juge d’instructio­n chargée de l’affaire, soutenue par le procureur général de Paris, François Molins, a refusé d’appliquer à l’acte de Kobili Traoré la charge aggravante de crime de haine antisémite. Les mises en garde contre une qualificat­ion trop rapide de ce crime – formulées à l’adresse de la rue juive par des responsabl­es de la communauté juive, Francis Kalifat pour le CRIF et Joël Mergui pour le Consistoir­e, informés par le procureur Molins de l’état du dossier quelques jours après les faits – deviennent prétexte, pour les grands médias, à classer ce crime dans la case des faits divers urbains. Ouf ! c’est un dingue, on zappe. Nous sommes alors, rappelons-le, entre les deux tours d’une élection présidenti­elle, avec une bête immonde présente au second tour, à laquelle il ne faut surtout pas fournir de grain islamophob­e à moudre. La palme de l’aveuglemen­t revient à Claude Askolovitc­h qui, trois jours après le crime, expose doctement sur slate.fr que le problème n’est pas l’antisémiti­sme radical dans lequel baignent nombre de ses amis musulmans, mais la paranoïa communauta­riste des juifs de France. Grâce à Noémie Halioua, et à d’autres hommes de bonne volonté comme Michel Onfray et Luc Ferry, peu suspects de communauta­risme exacerbé, la justice s’est, enfin, résolue à appeler un chat un chat et un crime antisémite par son nom. •

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Noémie Halioua, L'affaire Sarah Halimi, Éditions du Cerf, 2018.

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