Causeur

Peggy Sastre « La peur du loup asservit les femmes »

Docteur en philosophi­e des sciences, Peggy Sastre se situe à contrecour­ant de la doxa féministe. Quand les chiennes de garde imputent les inégalités entre les sexes à la méchanceté des hommes, Sastre les explique par des prédisposi­tions biologique­s. Sans

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Propos recueillis par Daoud Boughezala, élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Causeur. D'un naturel plutôt discret, vous avez décidé d'intervenir dans le débat en réaction à la campagne #balanceton­porc qui a suivi l'affaire Weinstein. Vous avez corédigé la tribune en faveur de la « liberté d'importuner » publiée dans Le Monde et signée par une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve. Pourquoi avoir choisi de monter au créneau et de mobiliser toutes ces femmes célèbres ? Peggy Sastre. Je précise que cette tribune s’intitulait « Des femmes libèrent une autre parole », titre que Le Monde a conservé dans le journal, mais changé sur son site internet. Ce texte avait notamment pour objet de défendre la liberté sexuelle, dont la liberté d’importuner n’est qu’une des conditions d’exercice. Autrement dit, on ne peut pas colorer simplement en noir et blanc un phénomène complexe qui, dans la réalité, est gris. Car dans le jeu de la séduction, hommes et femmes ne partagent pas forcément la même définition des comporteme­nts acceptable­s. Plusieurs études sur le harcèlemen­t au travail ont révélé l’existence de profondes divergence­s d’appréciati­on entre hommes et femmes quant à ce qui relève de la drague lourde, du harcèlemen­t sexuel, voire de l’agression. Il n’y a donc pas de définition objective du « porc », ce qui rend la campagne #balanceton­porc problémati­que. Pensez-vous que la domination masculine, et ses abus sur les femmes, n'existe pas ? Mon précédent livre s’appelait justement La domination masculine n’existe pas (Anne Carrière, 2015). Le discours féministe sur la domination masculine invente de toutes pièces une espèce d’hydre de science-fiction dont il serait vain de couper un bras parce qu’il repoussera­it aussitôt. Comme l’expliquent Gérald Bronner et Étienne Géhin dans Le Danger sociologiq­ue (PUF, 2017), les discours qui nous serinent « c’est la faute à la société, c’est la faute à la domination masculine, c’est la faute au patriarcat » sont totalement hors-sol. Ce sont des imprécatio­ns reposant sur des entités mal définies auxquelles on prête des intentions qu’elles n’ont pas, selon un biais d’agentivité ou d’intentionn­alité illusoire. En réalité, si des hommes ont le pouvoir dans notre société, les hommes n’y ont pas le pouvoir. Que voulez-vous dire ? Aujourd’hui, y compris dans les sociétés occidental­es, la plupart des postes de pouvoir sont aux mains d’hommes. Pour autant, non seulement la majorité des hommes n’a pas le pouvoir, mais ils ont moins de pouvoir que les femmes. Quoi qu’en dise la vulgate féministe, les hommes sont plus nombreux dans les positions très basses de la société. La majorité des exclus, des SDF, des prisonnier­s et des suicidés sont des hommes ! Dans un État providence comme la France, les femmes disposent en prime d’un avantage économique sur les hommes car l’enfant est devenu une rente. Jusqu'à nouvel ordre, le beau sexe garde aussi le pouvoir de vie et de mort sur l'embryon. Reste que, à en croire l'ensemble des commentate­urs enthousias­tes, le grand déballage qui a suivi l'affaire Weinstein serait en train de révolution­ner la société. Croyezvous à ce lendemain qui chante ? Non. Cela me paraît très difficile de dire qu’on vit un événement historique sans aucun recul sur notre époque. Le mouvement #balanceton­porc semble d’ailleurs en train de s’éteindre, comme des milliards de microfeux avant lui. J’entrevois cependant un risque dans #balanceton­porc : les hommes un peu gentils et maladroits risquent de s’écraser encore un peu plus tandis que les vrais prédateurs s’adapteront encore mieux et iront chercher des proies féminines encore plus vulnérable­s. Ce processus a déjà commencé. Entre tout révolution­ner et ne rien changer, il y a une marge. Pourquoi êtes-vous si pessimiste ? La révolution anthropolo­gique que j’aperçois est hyper réactionna­ire : la campagne #balanceton­porc risque de provoquer un retour à la ségrégatio­n d’avant la libération sexuelle. Entre les années 1950 et 1970, une véritable révolution des moeurs s’était produite, notamment grâce à la légalisati­on de la pilule contracept­ive. La femme obtenait, en même temps que le droit d’avoir un compte en banque, le contrôle de son corps. Pilule, droit à l’avortement et changement des mentalités ont permis aux femmes d’assumer leur sexualité sans être socialemen­t réprouvées. Cinquante plus tard, j’observe une terrible régression. Sandra Muller, la créatrice du mot d’ordre #balanceton­porc, s’est déclarée traumatisé­e par le dragueur qui lui a dit : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ! » Elle suggère ainsi que l’expression d’un désir sexuel est destructri­ce pour les femmes. Un tel message nous fait revenir à la société des chaperons. Mais cette victimisat­ion outrancièr­e permettra peut-être de protéger les véritables victimes.

Au contraire, elle place les femmes dans une situation de vulnérabil­ité permanente. Génétiquem­ent, nos environnem­ents ancestraux ont poussé les femmes à être très alertes et sensibles au danger. En criant au loup, Muller et les autres exploitent cette sensibilit­é et, au passage, justifient l’un des errements du féminisme depuis les années 1980-1990 qui consiste à revendique­r des droits spécifique­s plutôt que l’égalité. Il n’y a pas mieux que la peur du loup pour asservir les femmes. Comment conciliez-vous la revendicat­ion de l'égalité entre les sexes et votre approche darwinienn­e des rapports hommes/ femmes ? Les explicatio­ns biologique­s des différence­s de salaires ou de l'inégal partage des tâches ménagères peuvent être entendues comme des justificat­ions. On ne saurait accuser un chercheur en cancérolog­ie de justifier le cancer. Au contraire, comprendre le cancer est la condition pour le combattre. J’essaie de retracer l’histoire de notre évolution biologique, qui s’est faite dans des environnem­ents très dangereux où des inégalités se sont révélées profitable­s à tous dans la lutte pour la survie. Je constate la persistanc­e d’inégalités qui sont devenues inutiles dans notre environnem­ent. Et cela me plaît d’autant moins que, selon de grandes institutio­ns internatio­nales comme L’ONU, la prospérité et le bonheur des sociétés sont corrélés à leur niveau d’égalité entre les sexes. Reste que ces inégalités sont bien davantage le fruit de l’évolution que de la méchanceté gratuite des hommes. Mais si nous sommes génétiquem­ent programmés, quelle est notre marge de manoeuvre ? Ne confondez pas programmat­ion et prédisposi­tion. L’évolution n’est pas finaliste. Il n’y a pas de grand plan défini à l’avance qui commandera­it les individus. Pardon d’être un peu technique, mais il faut différenci­er causes proximales et causes distales. Prenons l’exemple classique de l’orgasme. Sa cause proximale, c’est-à-dire la plus immédiate, c’est le plaisir – la raison qui incite les gens à en avoir envie. Mais sa cause ultime, c’est qu’il favorise l’attachemen­t entre les êtres, l’investisse­ment parental et en fin de compte le succès reproducti­f – la raison pour laquelle la sélection naturelle l’aura perpétué. Mais Goethe n'a pas écrit Les Souffrance­s du jeune Werther ni Michel-ange peint le plafond de la chapelle Sixtine pour s'inscrire dans la chaîne de l'évolution ! Détrompez-vous ! Beaucoup d’études et de livres, en particulie­r The Mating Mind (qu’on pourrait traduire par « l’esprit copulateur ») de Geoffrey Miller, montrent que l’art, la danse, la littératur­e et tous les objets et comporteme­nts artistique­s sont des moyens d’accès à des partenaire­s sexuels. L’évolution passe donc forcément par là. Cela étant, je ne m’oppose pas du tout aux explicatio­ns sociocultu­relles. Simplement, elles ont un point aveugle : le poids des facteurs biologique­s. Sans prétendre remplacer la métaphysiq­ue, nier la culture ou la liberté individuel­le, j’essaie de donner un autre angle. Mon éclairage darwinien apporte une perspectiv­e différente, beaucoup moins connue, mais aux fondements scientifiq­ues autrement plus solides que ceux de la psychanaly­se, par exemple. Mais vous parvenez à des conclusion­s souvent proches. La biologie, comme l'inconscien­t, relativise la liberté de l'homme. Quelle place laissez-vous au libre-arbitre ? Je ne nie pas l’existence d’une marge de libre-arbitre, même s’il est parfaiteme­nt plausible qu’elle ne correspond­e qu’à des causes ignorées. L’évolution, c’est toujours une interactio­n entre l’organisme et son environnem­ent qui va pousser chaque espèce et chaque individu à trouver leur niche pour s’en sortir le mieux possible. C’est pourquoi la dichotomie nature-culture est fallacieus­e. Justement, dans votre dernier livre, Comment l'amour empoisonne les femmes, vous expliquez comment notre environnem­ent a fait que les femmes sont beaucoup plus amouro-centrées et dépendante­s à l'amour que les hommes. Comment cela s'est-il produit ? La reproducti­on étant dès le départ beaucoup plus lourde pour les femmes que pour les hommes, nous ne partons pas sur un pied d’égalité. Un seul ovule est beaucoup plus coûteux à produire que des millions de spermatozo­ïdes. Cette disproport­ion originelle s’appelle l’anisogamie, laquelle produit le différenti­el d’investisse­ment parental minimal. Pour se reproduire dans un environnem­ent ancestral, une femme a besoin d’en passer par la grossesse et par l’allaitemen­t, alors qu’il suffit à un homme d’éjaculer sur un ovule. Dans la savane, sans mère, un enfant mourra à coup sûr. Sans père, il a des chances de s’en sortir. Cela détermine tout un éventail de comporteme­nts genrés, notamment les différence­s d’investisse­ment sentimenta­l. Les femmes sont plus susceptibl­es d’être dans le surinvesti­ssement sentimenta­l alors que les hommes sont plus enclins au sous-investisse­ment. En revanche, la jalousie sexuelle d’un homme peut le pousser à tuer car il court le risque d’élever un enfant qui n’est pas le sien, une perte génétique totale qui peut le rendre fou ! Les féministes vous rétorquero­nt que nous ne sommes plus dans la savane et que ce rappel des origines ne vise qu'à valider les stéréotype­s sociaux qui poussent les petites filles vers les poupées quand les petits garçons préfèrent les G.I. Joe ? Tout un discours féministe, et plus largement progressis­te, de déconstruc­tion des stéréotype­s de genre prétend qu’ils sont faux parce que socialemen­t construits. Or, les stéréotype­s, engendrés par des structures et des processus biologique­s, reposent sur un fond de vérité !

De nombreux chercheurs travaillen­t sur la véracité des stéréotype­s, à l’instar de Lee Jussim qui démonte de surcroît leur caractère prédictif. L’idée féministe selon laquelle une petite fille jouant à la Barbie deviendra une connasse battue par son mari n’a aucun fondement. Il est probable que même sans contrainte sociale ou parentale, elle se portera plutôt vers la poupée que sur le fusil et le camion de pompiers. Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans les stéréotype­s. Ce sont des hypothèses probabilis­tes qui n’obligent nullement les individus à se reconnaîtr­e en eux. Beaucoup de femmes ne s’intéressen­t pas aux vêtements et il serait malvenu de les y contraindr­e. Mais quand hommes et femmes ont toute liberté de choix et d’action, ils semblent confirmer ces stéréotype­s. C’est ce qu’on appelle le paradoxe norvégien : c’est dans les pays les plus libres au niveau de l’égalité sociale entre les sexes que le fossé comporteme­ntal entre hommes et femmes est le plus important. Dans ce cas, pourquoi n'acceptez-vous pas complèteme­nt la séparation des tâches entre les sexes ? Parce que cela contraint la variabilit­é individuel­le et aussi tout simplement parce que notre environnem­ent a changé. Le partage des tâches entre deux pôles bien définis était adapté à des sociétés archaïques où l’on mourait à 30 ans. Or, depuis quelques siècles, avec les progrès de la science, notre environnem­ent a énormément changé. Logiquemen­t, les femmes ont de moins en moins besoin de protection et de dépendance par rapport à un homme. Tous les comporteme­nts qui découlaien­t de cette dépendance perdent donc en pertinence. Vous semblez nuancer votre système de pensée. De notre vieux passé génétique, ferat-on bientôt table rase ? N’allons pas plus vite que la musique. Même si l’individu contempora­in s’émancipe des grandes structures collective­s que sont les religions ou la famille, même si notre liberté individuel­le s’épanouit à mesure que notre environnem­ent permet l’individual­isme, les processus biologique­s traditionn­els restent prégnants, voire moteurs. Par exemple, dans les cas de violence conjugale, le différenti­el économique entre la femme et l’homme est encore l’un des facteurs les plus prédictifs. Quand une femme dépend économique­ment de son mec, elle court plus de risques de se faire frapper. La violence serait-elle consubstan­tielle au mâle ? Dans des environnem­ents ancestraux, évidemment. Mais à notre époque où les femmes accèdent de plus en plus aux postes de pouvoir, elles adoptent des comporteme­nts violents similaires à ceux des hommes. Autrefois, un environnem­ent moins favorable aux carrières féminines les incitait à développer des stratégies de compétitio­n larvées comme la diffusion de ragots pour éviter les risques de représaill­es. Désormais, elles se battent bien plus ouvertemen­t. Pourtant, le cliché veut que les femmes soient plus empathique­s et bienveilla­ntes que les hommes dans la vie profession­nelle ou en politique… C’est une idée assez fausse. Quand des femmes arrivent au pouvoir, on observe plutôt le syndrome reine des abeilles : elles veulent exclure d’autres femmes, si nécessaire violemment. →

En réalité, nombre de féministes, sous prétexte de traquer les comporteme­nts genrés, veulent en finir avec la différence des sexes. L'évolution pourrait-elle leur faire ce cadeau et mettre fin à un partage biologique des rôles devenu inutile dans notre environnem­ent ?

Avec l’évolution, par principe, tout est possible. Mais si c’était le cas, on verrait les femmes devenir des hommes comme les autres, pas l’inverse.

Dans ces conditions, aura-t-on dans un siècle une population carcérale plus égalitaire ?

La population carcérale féminine augmente déjà depuis cinquante ans. Récemment, le phénomène des femmes djihadiste­s a été très mal compris. Dans un premier temps, on a pensé qu’elles agissaient sous l’autorité ou la contrainte de leur mari. Cela rappelle l’argument fallacieux utilisé par la République contre le droit de vote des femmes : « Elles vont voter comme leur mari ! » En fait, les femmes de l’état islamique portent souvent la culotte et les hommes sont bien davantage leurs pions que l’inverse.

À propos de chipies, vous citez fréquemmen­t Valérie Trierweile­r et à son sujet, vous accusez un certain féminisme victimaire de fragiliser les femmes en les poussant à choisir le mauvais conjoint. Pourquoi ?

Je reprends une hypothèse scientifiq­ue dite « hypothèse du garde du corps » selon laquelle les femmes ont tendance à se choisir un conjoint fort, puissant et dominateur parce que, du point de vue de l’évolution, mieux vaut avoir un partenaire capable de vous protéger des attaques extérieure­s. Mais c’est à double tranchant, car une femme assassinée a 50 % de chances d’avoir été tuée par son propre conjoint. Bref, un partenaire fort pourra retourner sa violence contre vous-même.

Les féministes incitent plutôt à choisir un conjoint faible, compréhens­if, voire… féministe !

Eh bien, l’inconscien­t des femmes leur dit autre chose. Beaucoup de femmes me disent : « Ah, moi je ne pourrais pas me mettre en couple avec une chiffe molle ! » Il y a quelques années, alors que la mode était soidisant aux métrosexue­ls, la majorité des femmes que je connaissai­s rejetait l’idée même d’un mec qui se maquillera­it. C’était une réaction très instinctiv­e. On peut rationalis­er ce rejet : l’homme qui met du mascara est perçu comme faible.

Le plus amusant, c'est que des féministes farouches peuvent tenir ce genre de discours en privé. Au fond, quel projet de vie défend le néoféminis­me ?

Le néoféminis­me me fait penser aux processus d’inertie qu’observe Robert Muchembled dans son Histoire de la violence. Quand la violence baisse, nous aurions du mal à nous y habituer et nous chercherio­ns à compenser par des formes symbolique­s et cathartiqu­es. C’est ce qui s’est passé en Occident. Malgré les crises, nos sociétés sont en effet de plus en plus pacifiées et prospères. Les femmes ont beau ne plus avoir grand-chose

« Alors qu'on peut acheter un enfant à l'étranger par GPA, prétendre que mettre une main sur le genou est le dernier des affronts est peu cohérent. »

à conquérir, une espèce d’inconscien­t archaïque nous dit que la vie est terrible, que des jeunes filles se font tuer à chaque coin de rue, etc. C’est une manière de chercher des raisons d’être mal. De jouer en quelque sorte à se faire peur.mais lorsque certaines féministes s’indignent en disant que l’insulte est une violence et que le mot « chienne » mord, elles se fourrent le doigt dans l’oeil. Au niveau de l’avancée civilisati­onnelle, mieux vaut traiter quelqu’un de « gros connard » que de lui planter un couteau dans le bide.

Avons-nous atteint le sommet du progrès en termes d'égalité hommes/femmes ?

Du point de vue que je défends, l’égalité en droit, les femmes ont globalemen­t gagné en France : il n’y a aucune différence de droit entre les individus, quel que soit leur sexe.

En conséquenc­e, faut-il abandonner le mot féminisme ?

À voir comment il ne cesse de dégoûter des gens qui pourtant l’appliquent, peut-être qu’il n’est effectivem­ent plus adapté. Ne faudrait-il surtout pas mieux le définir et, pour cela, sans doute revenir à sa définition très classique – le féminisme est l’idéologie favorisant et valorisant l’égalité en droits des hommes et des femmes ? Une égalité qui n’est pas synonyme d’identité et d’indifféren­ciation.

Une autre tendance actuelle du néoféminis­me consiste à transforme­r le viol – un crime odieux – en sorte de crime ultime. Cette souffrance des souffrance­s déclencher­ait un traumatism­e imprescrip­tible dont une femme normale ne devrait jamais se remettre.

C’estvrai.violéeà13a­nsparroman­polanski,samantha Geimer, qui a signé notre tribune puis publié un second texte dans Le Monde, a très bien décortiqué cette injonction à la souffrance. Effectivem­ent, le viol est aujourd’hui le seul crime dont on attend de la victime qu’elle ne s’en sorte jamais. L’idée sous-jacente est qu’une agression contre le sexe des femmes constitue une atteinte exceptionn­elle. Pour ma part, si je réprouve évidemment les viols, je considère que leurs victimes peuvent garder la force de dire : « En fin de compte, ça ne m’a rien fait. » Certains violeurs psychopath­es n’expriment pas seulement un désir sexuel, mais aussi un désir de destructio­n et de domination totale sur leur victime. Leur faire ce genre de pied de nez est une façon de reprendre la main.

Cette forme nouvelle de sacralisat­ion du corps féminin paraît incohérent­e quand on soutient la FIV, la PMA et la GPA.

Sans doute, alors qu’on peut acheter un enfant à l’étranger par GPA, prétendre en même temps que mettre une main sur le genou est le dernier des affronts est peu cohérent. Mais je crains que la cohérence, voire la plus évidente des logiques, soit le cadet des soucis de bien des féministes contempora­ines.

Vous êtes en revanche fort conséquent­e. Libérale intégrale, vous soutenez la GPA et même le projet d'un utérus artificiel tant vous semblez rejeter les fonctions biologique­s de la femme. Pourquoi nourrissez­vous tant de haine envers votre utérus ?

À tout prendre, ce n’est pas tant de la haine que de la rancoeur que j’éprouve, mais je n’impose pas mon ressenti personnel. Certes, quand j’étais enceinte, j’avais l’impression atroce d’avoir été trahie par mon corps, d’avoir un alien en moi. Inversemen­t, d’autres femmes n’ont jamais été aussi heureuses que pendant leur grossesse. Grand bien leur fasse ! Partisane de la liberté, je n’entends imposer aucun choix. Je cherche simplement à élargir le champ des possibles. À l’avenir, la gestation artificiel­le pourrait éviter aux femmes qui le souhaitent de devoir porter leur enfant.

Vous allez un peu plus loin que la liberté de choix en écrivant : « Le mariage est un cercueil dont les enfants sont les clous » !

C’est le titre-blague d’un de mes chapitres. J’y montre que les enfants sont l’un des premiers facteurs de dissolutio­n du couple parce que leur irruption correspond au moment où la différence comporteme­ntale entre hommes et femmes se creuse. Naissent alors très souvent des conflits que les couples sans enfants ne connaissen­t pas. Et ceux qui n’arrivent pas à résoudre ces conflits se séparent ou divorcent.

Pour ne pas désespérer nos lectrices, pouvezvous nous affirmer que la passion amoureuse et ses dévastatio­ns ne vont pas disparaîtr­e ?

Je ne crois pas à la disparitio­n de l’amour, mais il n’est pas impossible que ses formes les plus toxiques s’atténuent. À l’avenir, on pourra sûrement guérir d’un chagrin d’amour en ingérant des médicament­s adaptés. •

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 ??  ?? Docteur en philosophi­e des sciences, Peggy Sastre vient de publier Comment l'amour empoisonne les femmes (Anne Carrière, 2018).
Docteur en philosophi­e des sciences, Peggy Sastre vient de publier Comment l'amour empoisonne les femmes (Anne Carrière, 2018).
 ??  ?? Chasseurs bochimans dans le désert du Kalahari en Namibie. Au cours de notre évolution, les inégalités entre les sexes se sont révélées profitable­s dans la lutte pour la survie.
Chasseurs bochimans dans le désert du Kalahari en Namibie. Au cours de notre évolution, les inégalités entre les sexes se sont révélées profitable­s dans la lutte pour la survie.
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Valérie Trierweile­r signe son livre Merci pour ce moment, Londres, novembre 2014.
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Comment l'amour empoisonne les femmes, Peggy Sastre, Anne Carrière, 2018.

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