Si tu vas à Rio, n'oublie pas ton petit credo
Par Jérôme Blanchet-gravel
Ceux qui ne connaissent du Brésil que ses transsexuels à paillettes doivent aujourd’hui en rabattre : ce pays à la tolérance sexuelle proverbiale est en train de se transformer en enfer puritain. Un nouvel ordre moral gagne en effet du terrain à mesure que la mouvance évangélique convertit des millions d’ouailles. D’après l’institut statistique national, les chrétiens évangéliques forment aujourd’hui 22 % de la population, contre 6 % il y a trente ans. Au mois de février, tandis que la torture et l’assassinat d’une personne transgenre par une bande de délinquants émouvaient l’opinion, le pasteur évangélique Marco Feliciano accusait « les groupes de défense et propagateurs de l’idéologie du genre […] d’élire des représentants dans chaque État du Brésil ». Selon ce clerc engagé en politique, les promoteurs des droits des minorités sexuelles veulent détruire la famille en cherchant notamment à modifier les programmes scolaires. Et Feliciano n’est pas un cas isolé. Rio de Janeiro, célèbre pour son Christ géant au sommet du mont Corcovado, a élu un maire évangélique en 2016. Puritain comme pas deux, ce dernier a réduit de moitié les subventions que la ville octroie au Carnaval. En cause, la débauche de chair auquel donne lieu cette institution synonyme d’« orgie païenne ». Le phénomène atteint de telles proportions que Lamia Oualalou, auteur d’un essai sur la mouvance évangélique (Jésus t’aime !, Éditions du Cerf, 2018), consacre plusieurs pages au Brésil. On y apprend qu’un parlementaire évangélique a proposé l’instauration d’une « Journée nationale de l’orgueil hétérosexuel » et l’installation de toilettes publiques réservées aux LGBT. Des « thérapies de conversion » frisant la torture physique et morale sont même organisées pour ramener ces brebis égarées dans le droit chemin hétérosexuel. Dans la patrie des droits de l’homme, en dehors d’act Up, personne ou presque ne s’en est indigné. Généreusement récompensés aux Césars, les acteurs du film 120 battements par minute n’ont dit mot du Brésil lors de la cérémonie, préférant dénoncer les prétendues persécutions que la France inflige aux migrants, drogués et malades du sida. Question de priorité nationale… •