Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

- Elles vont faire des bébés toutes seules

L'une des passions les mieux partagées par les êtres humains consiste à se mêler de la vie de leurs contempora­ins. Si possible en édictant des flopées d’interdits et de sanctions afférentes à leurs violations. Il suffit d’allumer sa radio ou sa télévision pour entendre un expert sommer nos parlementa­ires de voter un texte prohibant telle substance nocive ou tel comporteme­nt répréhensi­ble ou dangereux, comme conduire une vieille bagnole, utiliser des sacs en plastique ou zyeuter les seins des filles dans la rue. Oublions ici les pétitions et autres mobilisati­ons destinées à faire disparaîtr­e du paysage tout point de vue sortant un tant soit peu des clous, qui sont l’objet de notre dossier Zemmour (p. 36-47). Cette frénésie de la réglementa­tion et du contrôle, qui autorise tout un chacun à se faire le médecin, le prêtre ou le nutritionn­iste de son prochain, se déploie tous azimuts, mais avec une prédilecti­on particuliè­re pour les domaines du sexe et de la nourriture. Ainsi est-il régulièrem­ent question d’interdire le sel, les bonbons ou la « junk food ». Ou d’instaurer des cours de bien-manger à l’école dans l’espoir que les enfants rééduquero­nt leurs parents en leur jetant leurs surgelés à la figure. Comme nous n’avons pas non plus droit à l’amour tarifé ou à la drague lourde et que les élèves se verront bientôt proposer des cours de consenteme­nt, peut-être devront-ils aussi montrer à leurs géniteurs ce qu’est le bien-baiser. Qui ne rêverait d’une humanité délivrée de ses vices. Vous et moi – ce n’est pas rien.

Beaucoup de ces règles, comme l’interdicti­on de conduire bourré ou, que Muray me pardonne, de fumer dans les bars, sont certaineme­nt salutaires dès lors qu’elles contribuen­t à civiliser les rapports sociaux. Mais chez certains, que l’on croise souvent dans le milieu associatif, convaincre leur prochain de mener une vie saine, écologique, sans gluten ou sans tabac devient une croisade personnell­e. Aussi n’hésitent-ils pas à vous pourrir la vie pour vous la rendre meilleure. Curieuseme­nt, il est un domaine de l’existence humaine qui échappe à cette libido de surveillan­ce et de punition, c’est la procréatio­n. Alors qu’est supposé commencer le débat sur l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules avant le vote d’une loi, prévu pour début 2019, pour les médias, la messe est dite : faire des enfants, c’est l’affaire de chacun. C’est mon choix. Les Français sont régulièrem­ent invités à aller fouiner dans les déclaratio­ns de revenus de leurs concitoyen­s, à vérifier qu’ils partagent équitablem­ent les tâches ménagères avec leur coquin/coquine, qu’ils déposent leurs bouteilles dans la bonne poubelle et qu’ils ne louchent pas sur les seins de la boulangère. Mais s’agissant des structures élémentair­es de la parenté et des règles de la filiation, c’est-à-dire de la façon dont les noms, les biens et les secrets se transmette­nt, chacun fait ce qu’il veut. Drôle de conception de la vie en société, si inquisitor­iale d’un côté et si libérale de l’autre. Et qui oublie de surcroît qu’on ne change pas l’anthropolo­gie par décret. Ni la biologie d’ailleurs.

On peut certes décréter par voie législativ­e que des femmes seules ou en couple peuvent avoir des enfants, la recette de base pour confection­ner un humain n’a pas changé, il faut toujours un ovule et un spermatozo­ïde, c’est-à-dire, au départ, un homme et une femme. Un couple de femmes – et a fortiori une femme seule – qui souhaite avoir un enfant est bien obligé de recourir à un prestatair­e extérieur pour se procurer l’ingrédient manquant. C’est précisémen­t ce qu’il s’agit d’occulter. Dans la version étendue qui est aujourd’hui dans les tuyaux, la PMA permet de fantasmer qu’on a fait un bébé toute seule, ou entre femmes. Réduite à un tube à essai, la présence de l’homme ne risque pas de contrecarr­er la toute-puissance maternelle. (De ce point de vue, la GPA, c’est-à-dire le recours aux mères porteuses pour les couples d’hommes, est moins radicale, car elle n’élimine pas la présence féminine). Quant à la multiplica­tion probable de familles monoparent­ales qui n’ont pas donné d’excellents résultats éducatifs jusque-là, elle ne semble inquiéter personne.

On a parfaiteme­nt le droit de penser que l’humanité est mûre pour en finir avec la reproducti­on sexuée. Prétendre que cela ne change rien dénote une sacrée mauvaise foi ou une inconscien­ce étonnante, mais permet de dénoncer les réfractair­es et les hésitants comme des ennemis du progrès. Quoi qu’il en soit, la pauvreté des arguments avec lesquels nous sommes conviés à faire le grand saut a de quoi faire peur. Il n’est question que de désir, d’amour, d’envie, c’est-à-dire de sentiments et de droits qui ne regardent personne d’autre que la ou les candidates à la maternité. Quand je veux si je veux comme je veux : on s’étonne tout de même un peu de l’enthousias­me de la vieille gauche pour ce nouveau droit à l’enfant produit par la conjonctio­n d’un libéralism­e débridé et d’un individual­isme forcené. •

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