Causeur

Cambriolag­e, l'école du crime

- Propos recueillis par Gil Mihaely Entretien avec le général Patrice Bayard

Aujourd'hui retraité, le général de la gendarmeri­e nationale Patrice Bayard a vu le profil des cambrioleu­rs évoluer. Aux traditionn­els petits délinquant­s isolés, se sont adjoints des organisati­ons structurée­s roms, roumaines ou issues de L'EX-URSS. Cette profession­nalisation de la rapine oblige police et justice à s'adapter.

Causeur. Tandis que le terrorisme, les trafics de drogue et les crimes de sang accaparent l'attention médiatique, les 250 000 cambriolag­es qui ont lieu chaque année en France semblent passer sous les radars. Un cambriolag­e est-il moins traumatisa­nt qu'une agression ?

Patrice Bayard. Pas du tout. Ce type de délinquanc­e contribue très fortement au sentiment d’insécurité. Au cours de ma carrière, j’ai vu de nombreuses victimes traumatisé­es longtemps après un cambriolag­e, souvent bien au-delà du préjudice matériel subi. Les gens sont très choqués que l’on puisse entrer chez eux, fouiller leur maison, y voler des biens, fût-ce de faible valeur.

Qui sont aujourd'hui les cambrioleu­rs ?

Je distingue deux grandes catégories. D’abord ceux qui ont toujours sévi : jeunes à la dérive, drogués ou individus en quête de petits profits rapides. Ils travaillen­t sur un petit périmètre, sont souvent interpellé­s et bien connus par les forces de l’ordre. Ensuite, il y a la délinquanc­e itinérante, parfois organisée, qui a longtemps été sous-estimée. Cette catégorie comporte trois grandes familles : celles qui tournent autour d’un clan rom, des organisati­ons moins structurée­s typiquemen­t roumaines (et non roms !) et enfin les associatio­ns criminelle­s très structurée­s autour de chefs qui se projettent sur des territoire­s très lointains. Je me souviens d’une petite organisati­on qui recrutait des jeunes Roumains pour voler dans des exploitati­ons agricoles en France. Leur butin nous semblait de peu de valeur (vieux vélos, tronçonneu­ses). Ils remplissai­ent des fourgonnet­tes entières et repartaien­t pour la Roumanie pour les revendre sur le marché noir ou sur des sites type Le Bon Coin. Avant qu’on y mette fin, ils ont créé un véritable malaise chez nos agriculteu­rs. En France, les organisati­ons les plus structurée­s sont d’origine géorgienne ou moldave. Nous avons mis du temps à comprendre cette culture criminelle. On se contentait d’arrêter des petites équipes de cambrioleu­rs, parfois de deux ou trois membres, sans rien savoir de l’organisati­on à laquelle ils appartenai­ent. Sur un même territoire, on peut voir opérer une dizaine d’équipes de cambrioleu­rs sous les ordres d’un lieutenant, lui-même dirigé par un dirigeant régional, lequel rend des comptes à un grand chef souvent implanté à l’étranger.

Ont-ils tous des liens de parenté entre eux ?

Non. Ils sont recrutés et adhèrent à un système de valeurs codifié. Ce sont souvent des organisati­ons créées par d’anciens prisonnier­s du goulag. Des durs

qui ont appris à survivre dans des conditions inimaginab­les. Les autorités russes, notamment les services spéciaux, ont instrument­alisé ces structures criminelle­s, leur permettant de perdurer dans le temps. On les appelle d’ailleurs « voleurs dans la loi », car ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs. Cela peut vous sembler relever du fantasme et du cinéma, mais pour avoir été confronté à eux, je peux vous assurer que c’est une réalité bien connue dans les pays de l’est. Ces structures criminelle­s exigent des rendements de leurs équipes qui doivent faire jusqu’à cinq ou six cambriolag­es par jour, parfois plus.

Visent-ils des appartemen­ts, des maisons ou des commerces ?

Ils visent principale­ment des appartemen­ts et des maisons individuel­les, même s’ils ont aussi des membres spécialisé­s dans les vols à l’étalage dans les commerces. Les équipes de cambrioleu­rs proprement dites sont souvent composées de trois ou quatre personnes, dont un serrurier qui ouvre les portes.

Quel butin recherchen­t-ils ?

L’image du cambrioleu­r qui emporte la télévision, la chaîne hi-fi est trompeuse : ils cherchent les bijoux, les montres, et tout ce qui peut se négocier très rapidement, comme les tablettes et les téléphones. Et, bien sûr, le liquide.

Comment est organisé le recel ?

Les receleurs sont souvent français. Tout ce qui est négociable est vendu sur place, le numéraire remonte en haut de la hiérarchie. La particular­ité de cette organisati­on, c’est que les voleurs eux-mêmes ne gardent pas leur butin. J’ai le souvenir d’un voleur qui avait gardé pour lui une montre : il a dû faire face à la « justice » de la bande.

Sont-ils violents ?

Essentiell­ement entre eux. Pour l’instant, sur le territoire français, on n’observe pas de violence vis-àvis des personnes. Sachant qu’en France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence et si ça se passe bien avec la police, ils font profil bas. Heureuseme­nt, nous avons réussi, non sans efforts, à faire comprendre à la police et à la justice qu’il ne s’agissait pas d’individus malheureux, mais de membres d’organisati­ons criminelle­s. Aussi, les condamnati­ons sont-elles de plus en plus lourdes, car le vol en bande organisée est considéré comme une circonstan­ce aggravante.

Ces groupes de prisonnier­s étrangers appartenan­t à des organisati­ons structurée­s régies par un code d'honneur posent-ils des problèmes particulie­rs à l'administra­tion pénitentia­ire ?

La vie en cellule fait partie du mode de vie normal des voleurs dans la loi. Évidemment, en prison, certaines personnes prennent le pouvoir et peuvent créer des problèmes. Il y a quelques années, il y a eu une confrontat­ion dans une maison d’arrêt du côté de Saint-étienne entre Géorgiens et Tchétchène­s, mais pour le moment ça ne va pas plus loin.

Y a-t-il des passerelle­s entre cambrioleu­rs et trafiquant­s d'armes, de drogue ou d'êtres humains ?

Les cambriolag­es massifs sont bien souvent la première phase de l’implantati­on d’une organisati­on criminelle. Certains cambrioleu­rs évoluent ensuite avec des commerces, des bars, puis parfois vers la prostituti­on, le trafic d’armes et de drogue. Quant aux voleurs dans la loi, ils se concentren­t sur leur corps de métier : les cambriolag­es.

Comment réagissent les réseaux criminels français face à ces nouveaux arrivés ?

Pour l’instant, il y a très peu de conflits, car ces groupes criminels se spécialise­nt dans des activités peu rentables qui n’intéressen­t pas le grand banditisme français. Celui-ci préfère le trafic de drogue et la prostituti­on, et regarde un peu de haut les cambrioleu­rs. Mais, à terme, de sévères confrontat­ions sont inéluctabl­es. Les nouveaux finiront par déranger.

Quel est votre pronostic pour l'avenir ?

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène en perturbant et en dérangeant l’implantati­on des réseaux. Ces derniers recherchen­t un maximum de profit en prenant un minimum de risques. Ils tournent entre les régions, se déplacent et essayent de s’implanter là où il est plus simple de voler. Si on s’attaque à leurs structures de commandeme­nt, cela finira par les décourager et les inciter à aller ailleurs.

La difficulté croissante à utiliser de l'argent liquide a-t-elle un impact sur ce genre de criminalit­é ?

Bien sûr. C’est notamment vrai pour les réseaux roms spécialisé­s dans le vol de métaux. Si les acheteurs de métaux respectaie­nt la réglementa­tion et refusaient de payer en cash, cela les gênerait énormément. Nos amis allemands, qui acceptaien­t le paiement en cash, ont vu les vols de métaux exploser chez eux… mais cela avait aussi un impact dans notre pays, car les Roms continuaie­nt de voler en France pour revendre en Allemagne. •

Les cambriolag­es massifs sont souvent la première phase de l'implantati­on d'une organisati­on criminelle.

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Le général Patrice Bayard.

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