Causeur

Accusé Zemmour, taisezvous !

Depuis son altercatio­n avec Éric Zemmour, Hapsatou Sy est traitée avec les égards dus à son rang de victime. Notre société, qui ne supporte plus quoi que ce soit qui choque ou qui blesse, s'accommode fort bien du bannisseme­nt des dissidents. La preuve par

- Élisabeth Lévy

D «epuis #metoo, je suis fier d’être une victime. » Cette phrase, prononcée par un officier de police venu évoquer le viol dont il avait été victime enfant, a suscité un tonnerre d’applaudiss­ements dans le studio 104 de la Maison de la radio, au cours de l’université du féminisme patronnée par Marlène Schiappa, le 13 septembre. Hapsatou Sy, quant à elle, n’est pas très loin d’avoir la grosse tête : depuis le 12 septembre, date de l’enregistre­ment des « Terriens du dimanche ! » au cours duquel elle s’est empaillée avec Éric Zemmour, la chroniqueu­se cache mal la satisfacti­on que lui procure le spectacle de sa propre souffrance. C’est qu’en décrochant le pompon victimaire, elle a acquis un statut envié. Depuis le temps qu’on l’annonce, il fallait bien que le règne de la victime commence pour de bon. La vie publique ressemble donc de plus en plus à une victimepri­de permanente, un défilé de chochottes et d’offensés (qui sont souvent des offensées) se promenant avec leur « souffrance intime » et leurs yeux humides en bandoulièr­e, comme autant de médailles conquises sur le front de la lutte contre les salauds et les racistes. Des journalist­es ou animateurs les reçoivent avec un air émotionné, comme s’ils accueillai­ent des rescapés de l’enfer. Il y a bien sûr de véritables victimes. Il arrive même qu’on les voie à la télévision. Mais dans l’immense majorité des cas, les femmes violées ou battues et les personnes traumatisé­es recherchen­t la discrétion plus que la célébrité. Tout le monde ne veut pas majusculis­er sa douleur. Au passage, on s’interroge sur ce qu’on appelle « souffrance » aujourd’hui. Dans bien des cas, il s’agit d’un propos, parfois d’un effleureme­nt ou seulement d’un regard, qui aurait, nous dit-on, suffi à détruire une vie. L’ineffable créatrice de #balanceton­porc, Sandra Muller, est « tombée dans une faille spatio-temporelle », non pas parce qu’un homme l’a battue ou agressée (tant mieux), mais parce qu’il lui a dit crûment qu’il la désirait. Si une grossièret­é peut dévaster une existence, le monde est peuplé de victimes. Donc de bourreaux. Il m’a mal parlé ! Il m’a regardée de travers ! – ou par en dessous, le vicieux. Il m’a dit que j’étais chiante… « Tu grandiras et tu oublieras », me disait mon père quand j’étais gamine et que je chouinais. On se demande ce qui est arrivé à l’espèce humaine, en particulie­r à sa partie féminine, pour que quelques mots plus hauts que les autres ou un regard un peu trop suggestif venant d’un inconnu ou d’un compagnon d’émission puissent causer tant de malheurs. À noter que l’insulte fait figure d’atteinte irréparabl­e au moment où, sur les réseaux sociaux, elle se banalise à grande vitesse. Ainsi, les réseaux sociaux ne permettent-ils pas seulement à chacun de déverser son fiel et ses ressentime­nts, mais aussi d’avoir sa part d’offense sans laquelle on n’est rien. Si t’as pas été traumatisé à 50 ans, t’as raté ta vie. On pourrait croire que cette hypersensi­bilité signale des psychologi­es particuliè­rement vulnérable­s, mais la recrudesce­nce plaintive révèle plutôt un retourneme­nt collectif, que Muray identifiai­t comme cordicole (de cordis, « coeur »). La souffrance n’est plus muette, au contraire, elle parle haut et fort. Elle ne se cache plus, elle se brandit comme une identité. Elle crée même de nouvelles communauté­s : ainsi le policier victime de viol était-il heureux d’appartenir à un groupe. Dans la sphère privée, on le comprend. Mais c’est sur la scène publique que la faiblesse, réelle ou supposée, est devenue une force et même une arme que l’on peut pointer sur la tempe d’un contradict­eur. Retenez-moi ou je pleure. En conséquenc­e, on ne s’efforce plus d’oublier les drames ou les désagrémen­ts de l’existence, on se drape dedans, on cultive leur souvenir. Et, bien sûr, la tentation est grande de les exagérer : qui n’aime être l’objet de la sollicitud­e générale ? C’est d’autant plus tentant que le titre de victime est en quelque sorte performati­f : si vous souffrez, vous êtes une victime. Le délit est constitué. Mais revenons à Hapsatou Sy, dont la France entière connaît désormais le joli minois. Il y a peu, elle était chef d’une entreprise en perdition et chroniqueu­se occasionne­lle aux « Terriens du dimanche ! », l’émission de Thierry Ardisson, poste qui lui avait certaineme­nt été proposé pour la profondeur de ses avis. Aujourd’hui, c’est une résistante à l’oppression machiste et raciste, quelque part entre Louise Michel et Angela Davis, qui a table ouverte à la télé où elle s’est, au minimum, assuré une saison florissant­e. Entre-temps, un échange de noms d’oiseaux avec Zemmour a fait grimper sa cote sur le marché victimaire. Résultat, une fois encore, les chiens sont lâchés contre Zemmour. Et une fois encore, ils exigent en choeur qu’on le fasse taire. Cette fois, ils le tiennent. Ils ont les preuves, et surtout la victime, qui commente abondammen­t son calvaire, que dis-je, sa tragédie, comme si elle avait été violée ou frappée. On espère qu’une fois encore, ils continuero­nt à aboyer et que la caravane passera. Mais on finit par craindre vraiment pour sa liberté de parole. Donc pour la nôtre. Du reste, alors que notre trublion national entamait, à l’occasion de la sortie de Destin français, la tournée des popotes médiatique­s (qui ne dédaignent pas cette opportunit­é de faire de bonnes audiences), ses ennemis l’attendaien­t au tournant – à ce niveau de malveillan­ce, on ne peut pas parler d’adversaire­s. Ainsi, l’onctueux Jean-michel Aphatie ne craint-il pas de proclamer, sur le plateau de « C à vous » : « Je le déteste depuis longtemps, je ne lui serre pas la main à RTL. » Voilà qui passionne certaineme­nt le public. Dans la même →

émission, le micro-vichinsky s’étrangle à l’idée qu’une grande maison comme Albin Michel publie « un livre de pacotille, une merde ». Oubliant qu’une minute plus tôt, il s’enorgueill­issait de ne pas l’avoir lu. Bien entendu, la maîtresse de maison ne relève ni l’incohérenc­e ni la grossièret­é. Contre Zemmour, tout est permis et même recommandé. Y compris de l’insulter et de vomir son livre sans l’avoir lu. Heureuseme­nt, avant que le brouhaha ne recouvre toute possibilit­é d’examen critique, quelques journalist­es, comme Sonia Mabrouk et François Bousquet, le patron d’éléments, avaient entamé une véritable discussion sur le livre, que Gil Mihaely poursuit (p. 42-45) dans sa pénétrante critique. Destin français révèle en effet une vision de l’homme et du monde qui demande à être débattue, ce que nous ferons dans notre prochain numéro. Zemmour est d’abord un antilibéra­l. Dans le fond, il accepte le choix mortel énoncé par Joffrin entre identité et liberté – et il est prêt, s’il le faut, à sacrifier la liberté. Ce qui semble lui poser un problème, ce n’est pas seulement l’hyperindiv­idualisme contempora­in et sa prétention démiurgiqu­e, mais l’émancipati­on de l’individu rendue irréversib­le par les Lumières. À ceux qui disent : « Tout pour l’individu, rien pour la nation », Zemmour réplique : « Rien pour l’individu, tout pour la nation. » C’est pourtant dans le monde de l’émancipati­on qu’un petit sang-mêlé comme lui aurait pu devenir maréchal d’empire – il s’y voit et on l’y voit. Avant de replonger dans les eaux sirupeuses des calculs altruistes de cette énième affaire Zemmour, ajoutons que Destin français n’est pas un essai mitonné en quelques semaines, mais un livre passionnan­t, contestabl­e, parfois exaspérant, et fort bien écrit. Un parfait antidote à l’histoire mondiale de la France qui prétendait prouver que la France, à supposer qu’elle existe, n’est qu’un accident transitoir­e. L’affaire ayant éclipsé le livre et la condamnati­on ayant été prononcée d’entrée, on rappellera quelques éléments du dossier. Même les images tronquées diffusées par la « victime » semblent montrer que c’est elle qui, la première, a lancé à l’invité : « Vous insultez la France. » Ce à quoi, bouillonna­nt, il a riposté par le fameux : « Non c’est votre prénom qui est une insulte à la France. » Sans doute n’aurait-il pas employé le premier la funeste formule. Celle-ci était peut-être maladroite, brutale, et déplaisant­e, mais soyons réalistes, sur les plateaux de télévision, on en entend d’autres. Chroniqueu­r par temps de guerre idéologiqu­e, ce n’est pas un boulot pour porcelaine­s chinoises (oui, c’est un boulot, d’ailleurs, c’est payé). Accessoire­ment, comme l’écrit Cyril Bennasar (p. 46), si les propos de Zemmour sont la pire violence raciste qu’hapsatou Sy ait jamais rencontrée, c’est une excellente nouvelle. Certes, face à un contradict­eur qui refuse de vous comprendre (ou, plus énervant encore, qui en est inca- pable), qui travestit votre pensée ou interrompt toutes vos phrases, il serait préférable de ne jamais se départir d’un calme empreint d’une élégante distance. Dans un monde parfait, personne ne s’énerverait jamais, et on périrait d’ennui. Zemmour s’est énervé. Au lieu de se cantonner à une analyse froide de la désassimil­ation d’une partie des petits-enfants d’immigrés, il a attaqué bille en tête une personne (et ses parents qui n’étaient pas là pour répondre). « Insulte à la France », c’était déplacé, trop méchant. Insupporta­ble à l’aune de la sensibleri­e contempora­ine. Il s’est donc passé sur le plateau de Thierry Ardisson l’un des événements courants de l’existence : une engueulade entre convives d’un soir. On s’emporte, on se caricature soi-même, on dit des choses blessantes, on refuse de céder un pouce à l’adversaire. Quelqu’un calme le jeu, la conversati­on reprend et cela reste un amusant souvenir. Prudents, les producteur­s décident cependant de couper l’incident au montage – dans les codes de la télévision, cela signifie qu’il n’a pas eu lieu. Et là, Hapsatou Sy n’est pas d’accord. Pas question de laisser échapper son quart d’heure de gloire (qui durera une bonne semaine). Elle ne peut pas se taire. Et elle ne va pas le faire. « Très affectée par la violence de la scène que j’ai eu à vivre, écrit-elle sur Twitter, je songe à quitter l’émission. » « Violence », n’est-ce pas un chouia excessif, mignonne ? Peu importe, ça marche. Hanouna en tête, tout ce que la profession compte de grands coeurs se lamente, la chouchoute, la couvre de textos, de « tiens bon ma chérie », de « tu es la bienvenue quand tu veux », la direction de C8 la câline, Laurence Ferrari la sanctifie. À force de commenter, d’enjoliver et de prendre des poses, nos grandes conscience­s, de Joffrin à Aphatie, sans oublier Nabilla qui se déclare « très concernée », finissent par croire à leur fable. Zemmour est raciste, cette fois, on a une preuve irréfutabl­e. Pourrait-on leur expliquer que l’hyper-assimilati­onnisme de Zemmour n’est pas du racisme, et qu’un raciste penserait au contraire qu’une femme noire, même prénommée Corinne, ne peut pas être vraiment française ? Éric ne dit pas à Hapsatou qu’elle ne peut pas être française, il lui demande de l’être plus, est-ce vraiment pendable ? Certains mots et certains noms empêchent de réfléchir. En attendant, Hapsatou Sy a trouvé une cause à défendre : il faut que Zemmour se taise. En même temps que la vidéo de son « calvaire », elle publie sur Change. org une pétition, appelant purement et simplement les télévision­s à boycotter Zemmour. Sa popularité ne fait pas hésiter tous ceux qui sont tapis en embuscade, au contraire. C’est la preuve qu’il est urgent de contrer son influence. Pas en lui répondant. En le bâillonnan­t. Bien sûr, il n’est pas question de l’inviter à vider la querelle d’homme à homme. Ont-ils peur de se salir les mains ou d’être incapables d’argumenter face à un rhéteur entraîné ? Les petits perroquets du Bien entrent

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