Causeur

Balance ton républicai­n !

- Par Gil Mihaely

Elle se souvient du moindre détail. C’était il y a trentesix ans. Elle avait 15 ans, lui 17. Pendant une fête, il l’avait entraînée dans une pièce isolée, l’avait allongée sur le lit, déshabillé­e et essayé de la violer pendant une fête, jusqu’à ce qu’un autre invité intervienn­e et repousse son bourreau. L’agresseur présumé nie catégoriqu­ement.

Précisons que celui-ci s’appelle Brett Kavanaugh et qu’il s’agit d’un juge fédéral américain que Donald Trump voudrait nommer à la Cour suprême. Cerise sur le gâteau, ce conservate­ur apprécié du président a travaillé aux côtés du procureur Kenneth Starr, le magistrat qui menait l’enquête contre Bill Clinton dans l’affaire Monica Lewinsky.

L’accusatric­e, c’est Christine Blasey Ford, professeur de statistiqu­es à l’université de Palo-alto (Californie). Dès qu’elle apprend la possible nomination de Kavanaugh au sein de la plus haute instance de la justice américaine, Blasey Ford contacte le Washington Post et l’élue démocrate de sa circonscri­ption pour leur raconter son histoire, sous le sceau de l’anonymat. Ses accusation­s sont publiées, mais ne produisent pas l’effet escompté puisque la candidatur­e de Kavanaugh poursuit son petit bonhomme de chemin au Sénat.

C’est alors que Blasey Ford décide de dévoiler son identité et de s’exprimer publiqueme­nt le 13 septembre. Pour corroborer ses dires, elle subit le test du détecteur de mensonges et produit les notes prises par son psy en 2012, après qu’elle lui eut confié avoir subi une tentative de viol. Ces notes précisent qu’elle était lycéenne à l’époque de l’agression, mais évoquent plusieurs assaillant­s élèves d’un prestigieu­x lycée pour garçons, dont certains font aujourd’hui partie de l’élite washington­ienne. Le nom de Kavanaugh n’y est jamais mentionné. Or, non seulement Kavanaugh nie tout en bloc, mais les participan­ts à ladite soirée assurent n’avoir jamais rien vu ni entendu de suspect.

Las, le 23 septembre, le journalist­e à l’origine du mouvement #metoo, Ronan Farrow, porte un second coup à Brett Kavanaugh dans les colonnes du New Yorker. Le magazine publie en effet le témoignage d’une certaine Deborah Ramirez, selon lequel, au cours d’une fête bien arrosée, son condiscipl­e de Yale, Brett Kavanaugh aurait poussé son pénis vers son visage. Kavanaugh a catégoriqu­ement démenti ces accusation­s qui s’appuient sur la seule parole de Deborah Ramirez.

Voici a priori une affaire #metoo bien banale. Des événements (supposés) vieux de dizaines d’années et un faisceau d’indices faibles ou inexistant­s rendant impossible toute enquête policière sérieuse. Mais le cas Kavanaugh relance la guerre d’images que se livrent démocrates et républicai­ns. Alors que la chute de Weinstein avait porté un sacré coup aux élites de Hollywood proches des Clinton, les soupçons qui pèsent sur Kavanaugh visent les milieux républicai­ns à quelques semaines des élections de mi-mandat. Pour l’opposition démocrate, qui rêve d’affaiblir Trump, il est difficile de résister à la tentation d’en faire des caisses. Une question se pose néanmoins au camp progressis­te américain : comment aider les victimes présumées sans priver les coupables présumés de leurs droits les plus élémentair­es ? •

 ??  ?? Brett Kavanaugh.
Brett Kavanaugh.

Newspapers in French

Newspapers from France