Causeur

Immigratio­n, une chance pour le populisme

La doxa immigratio­nniste tient en trois principes contradict­oires : il n'y a pas de problème migratoire, on ne peut rien faire contre lui, c'est une merveilleu­se révolution. Prétendant imposer aux peuples européens un devoir d'accueil sans contrepart­ie, l

- Élisabeth Lévy

Il faut rendre grâces à Philippe Martinez. Dans une tribune publiée par Le Monde le 26 septembre, le secrétaire général de la CGT a aligné les principaux poncifs disponible­s sur l’immigratio­n : « Le fait migratoire est un phénomène incontourn­able, stable et continu dans l’histoire de l’humanité. » Circulez, il n’y a rien à voir. Il poursuit. « Prétendre que l’on peut stopper ou maîtriser les mouvements migratoire­s est un leurre politicien et une posture idéologiqu­e. Les plus hauts murs n’empêcheron­t jamais des personnes de fuir, au péril de leur vie, la guerre, la misère économique ou les persécutio­ns. » Acceptez, il n’y a rien à faire. Du reste, il faut s’en réjouir, dès lors que la coexistenc­e culturelle est un enrichisse­ment, voire un enchanteme­nt. Dire autre chose, ce serait recourir aux « vieilles recettes de l’extrême droite ». Primo il n’y a pas de problème migratoire, deuxio on ne peut rien faire contre lui, tertio l’immigratio­n est une merveilleu­se révolution : cet énoncé en trois temps, qui évoque furieuseme­nt le chaudron de Freud, interdit bien sûr que la question soit examinée sérieuseme­nt. En clair, on demande aux peuples d’europe de ne pas voir ce qui se passe sous leurs yeux, tout en les sommant de l’accepter et même d’applaudir. Et Martinez de conclure par l’inévitable appel à notre bon coeur : nous devons, écrit-il, « accueillir humainemen­t et dignement ceux qui fuient leurs pays.

Cela se nomme la fraternité. » Dommage que la fraternité ne vaille pas pour ceux qui ont le sentiment de devenir étrangers chez eux, à qui il est interdit de dire leur frustratio­n et leur inquiétude.

Inutile de chercher à faire entendre à notre fringant cégétiste qu’une nation souveraine doit avoir le droit de choisir ceux qu’elle accueille sur son sol. En revanche, on pouvait attendre qu’un défenseur des travailleu­rs soit un peu plus regardant sur l’afflux de demandeurs d’asile qui, une fois déboutés, iront grossir les rangs des clandestin­s, pesant à la baisse sur les salaires des emplois peu qualifiés. Martinez a dû rater le cours de marxisme sur l’armée de réserve du capital en maternelle. D’ailleurs, il a la solution : régularisa­tion générale, c’est ma tournée ! « Il suffit, écrit-il, de leur donner à tous les mêmes droits qu’aux travailleu­rs français ! » C’est sûr, pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt. Il devrait en parler avec ses copains du Medef qui sont eux aussi très favorables à l’ouverture des frontières. Et à ses troupes qui le sont un peu moins.

Générosité contre égoïsme, le monde de Martinez est simple. C’est la version pour les nuls du chatoyant storytelli­ng d’emmanuel Macron campant une Europe divisée entre les nations progressis­tes et accueillan­tes et les pays populistes et égoïstes. Lequel ne résiste pas plus à l’analyse. L’immigratio­n ne partage pas l’europe en deux blocs, elle oppose une grande partie des élites à une grande partie des peuples qui, au gré des sondages, affirment avec constance qu’ils veulent l’arrêter. Entendons-nous : même le dernier salaud lecteur de Causeur ou de Valeurs actuelles sait que, sauf à s’entourer de barbelés, l’europe ne peut pas décourager tous les candidats à une vie meilleure, ni renvoyer tous ceux qu’elle a refusé d’accueillir légalement. Lutter contre les flux migratoire­s ne signifie pas haïr les immigrés, ni les abandonner à leur sort quand leur vie est menacée. Mais cela impose, parfois, de les ramener chez eux.

Le devoir d’humanité ne saurait être illimité. Quand on dit au salaud lecteur de Causeur ou de Valeurs actuelles qu’il n’a pas voix au chapitre, que ses demandes sont non seulement irréaliste­s, mais moralement scandaleus­es, et que de toute façon l’avenir de la France sera multicultu­rel, que cela lui plaise ou non, il se sent tout simplement dépossédé de ses droits élémentair­es de citoyen. À quel moment, les Français ont-ils accepté que la culture française n’ait pas de droits particulie­rs en France ? Que des questions aussi fondamenta­les, aussi déterminan­tes que l’immigratio­n et l’intégratio­n échappent depuis tant d’années à la délibérati­on citoyenne devrait inquiéter les contempteu­rs de notre apathie démocratiq­ue. Que répond Plenel à ce sujet, qu’il n’y a qu’à changer le peuple ? On dira que les Français n’ont pas voté pour Marine Le Pen qui promettait de s’attaquer frontaleme­nt à la question. Certes. L’heure est grave, mais pas au point de jouer l’avenir sur un coup de dés. Faut-il attendre qu’ils s’y résolvent ? Ne se trouvera-t-il pas un autre parti pour leur dire qu’ils ont le droit de choisir leur destin ? Comme le résume Marcel Gauchet, ce n’est pas contre le populisme, mais contre les causes du populisme qu’il faut lutter. La poursuite d’une immigratio­n qu’on ne parvient pas à contrôler ni à intégrer est l’une des principale­s.

Faute de place, on ne reviendra pas point par point sur la doxa immigratio­nniste et le chantage émotionnel sur lequel elle s’appuie, analysés par Ingrid Riocreux (p. 64). Il faut cependant s’arrêter sur l’existence de ce qu’on peut appeler un lobby de l’immigratio­n, décrit par la passionnan­te enquête d’erwan Seznec (p. 50-59). Il ne s’agit pas de forces obscures guidées par de sombres arrière-pensées – à l’exception des passeurs dont les pensées sont très claires –, mais de tout un monde d’associatio­ns bien intentionn­ées dont la raison d’exister est d’accueillir ceux qu’on appelle les migrants, c’està-dire les demandeurs d’asile, dont beaucoup arrivent par voie de mer. Il ne s’agit pas de remettre en cause le dévouement de leurs personnels et bénévoles – que Pierre Henry, le président de France terre d’asile soit d’ailleurs remercié pour avoir répondu aux questions, qu’il jugeait provocante­s, de Daoud Boughezala (p. 60-63). C’est néanmoins un fait que les organisati­ons, comme les espèces, travaillen­t à leur propre survie. Depuis 2015, ces structures subvention­nées par la puissance publique ont recruté, ouvert des locaux, créé des services et pris la lumière. Un ralentisse­ment des flux d’arrivants n’entraînera­it pas seulement la fin d’une belle aventure humanitair­e, mais aussi des conséquenc­es beaucoup plus prosaïques comme des compressio­ns de personnel.

Erwan Seznec montre que les pérégrinat­ions de l’aquarius, abondammen­t relayées par les médias, ont moins pour but de sauver des vies que de culpabilis­er les opinions publiques et de forcer la main des gouverneme­nts en les plaçant devant ce choix impossible : ou vous ouvrez vos ports, vos frontières et vos coeurs, ou vous serez responsabl­es de la noyade des enfants. Ainsi existe-t-il une étroite collaborat­ion entre passeurs et ONG, les premiers se contentant de transporte­r leurs clients à la limite des eaux internatio­nales et de les y abandonner avec un téléphone portable et le numéro de SOS Méditerran­ée. D’où ce scandale que personne ne veut voir : l’activité des ONG en Méditerran­ée n’a pas entraîné une réduction du nombre de morts par noyade. Elle s’est accompagné­e d’une recrudesce­nce notable de ces morts terribles.

Emmanuel Macron devra trouver un moyen de sortir du piège qu’il s’est tendu à lui-même : en se posant en guide suprême du camp progressis­te, prêt à combattre la lèpre italo-hongroise, il s’est interdit d’incarner une troisième voie entre le camp de l’ouverture intégrale et le front du refus. Ses outrances ridicules sur la barbarie populiste, qui renforcent chez beaucoup le sentiment qu’il méprise le populo, l’ont mécaniquem­ent placé dans le camp de l’angélisme. Les élections européenne­s risquent de lui rappeler que les Français ne sont pas des anges. •

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