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LE MIGRANT UNE VALEUR REFUGE

La majeure partie de l'hébergemen­t des demandeurs d'asile été confiée à CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts qui a créé un Fonds d'investisse­ment spécial. Ce produit financier dégage 3.5 % de marge. Une bonne affaire.

- Par Erwan Seznec

Filiale de la Caisse des dépôts, CDC Habitat a racheté fin 2016 au groupe Accor 62 hôtels F1 (ex-formule 1). De quoi loger 7 700 personnes, dans le cadre d’un appel d’offres public pour l’hébergemen­t de 10 000 réfugiés, lancé par le gouverneme­nt. Ayant remporté 70 % du marché, CDC Habitat a créé un fonds d’investisse­ment social de 200 millions d’euros, abondé pour moitié par des institutio­nnels et pour moitié par la Banque du conseil européen. C’est avec les sommes levées qu’elle a racheté ses hôtels low cost à Accor, qui rechignait à financer leur indispensa­ble rénovation. Le choix était judicieux. Cubes sans grâce construits dans les années 1980, hyperfonct­ionnels, la plupart des F1 sont posés en bordure de quatre voies, dans des zones d’activité. On n’y trouve guère de riverains susceptibl­es de monter au créneau contre le changement d’affectatio­n des hôtels et l’arrivée de cette nouvelle clientèle atypique (qui s’avère du reste fort discrète). Inconvénie­nt, les F1 sont excentrés. Ils ont été pensés pour des automobili­stes. Concernant celui que nous avons visité, dans la zone commercial­e de Gourvily, en périphérie de Quimper, les locataires ont trouvé une solution : des vieux vélos s’entassent devant l’entrée. Dans le hall, une affichette donne les horaires d’un atelier de réparation de cycles animé par des bénévoles. Bretagne, terre de migrations et de cyclisme. L’état accorde 16,50 euros par nuitée à CDC Habitat, ce qui permettra à la société de dégager une rentabilit­é de 3,5 % sur ce produit. Avec le livret A à 0,75 %, ce n’est pas si mal. Le rendement du réfugié est, point crucial, garanti par l’état, qui fournit les locataires et paye les loyers ! Comme placement sous-jacent d’un actif financier, on peut imaginer plus risqué.

« Nous allons industrial­iser nos procédés et le contrat sur cinq ans nous permettra de réguler les dépenses », promettait dans Les Échos du 15 mars 2017 Vincent Mahé, le secrétaire général de CDC Habitat. La société ne manque pas d’expérience. Sa branche Adoma, en charge des foyers d’accueil, est l’ex-sonacotra. Son investisse­ment, mûrement réfléchi, par ailleurs, suggère que la « crise » des migrants est partie pour devenir structurel­le. CDC Habitat pourrait difficilem­ent amortir les sommes investies en cinq ans seulement. L’hébergemen­t d’urgence ne se borne pas aux migrants, mais ces derniers en constituen­t néanmoins le segment le plus dynamique, le SDF classique faisant plutôt figure de marché mature, sans réel potentiel de croissance et avec une forte saisonnali­té. Hors des pics de froid, le SDF est difficile à fidéliser, contrairem­ent au demandeur d’asile.

L’état, quant à lui, devrait réaliser quelques économies, car la filiale de la Caisse des dépôts est nettement moins chère que les hôteliers ordinaires, qu’il faut défrayer en urgence. En matière de crise humanitair­e, l’heure n’est plus à l’improvisat­ion, mais à la financiari­sation. L’emprunt social de CDC Habitat (ou « social bond ») n’est pas un cas unique. La Finlande a expériment­é une démarche comparable pour l’intégratio­n des migrants en 2017. L’ingénierie mise en place était assez subtile, ce qui contribuai­t opportuném­ent à occulter une évidence. En définitive, dans un emprunt public, c’est toujours la collectivi­té qui assume le remboursem­ent, intérêts compris. •

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