Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT C'EST LA FAUTE À RIMBAUD

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

« Ce peuple luthérien, qui a vécu les transforma­tions de ces dernières années, n’est pas exactement le Gaulois réfractair­e au changement ». On sait que le président de la République a beaucoup choqué avec cette phrase, lors de son voyage officiel au Danemark, à la fin août. On a peut-être été un peu injuste avec lui. À peine est-il sorti d’un été éprouvant avec l’affaire Benalla, qu’il apprend, lors de ce déplacemen­t, la démission de Nicolas Hulot : sans doute a-t-il eu besoin de lire pour se changer les idées. Nous ne savons pas s’il est autant amateur de poésie que Georges Pompidou, à qui on doit une excellente anthologie, mais, pour tenir de tels propos, nous parierions qu’il avait pris dans ses bagages Une saison en enfer de Rimbaud. Dans un poème intitulé, comme par hasard, « Mauvais sang », l’ardennais le plus célèbre de la littératur­e avoue avec cynisme : « J’ai de mes ancêtres gaulois l’oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. » D’emblée, il y a là un aveu qui n’a pu qu’énerver le président. N’estce pas cette « cervelle étroite » que Macron, quand il était encore ministre de l’économie, décelait chez les ouvrières gauloises des abattoirs Gad « pour la majorité illettrées » ou chez les « gens qui ne sont rien » qu’on croise dans les gares ? Et cette « maladresse dans la lutte » ne préfigure-t-elle pas la compétitiv­ité insuffisan­te dénoncée par le président qui voit se creuser le déficit du commerce extérieur malgré sa politique pro-business ? Rimbaud continue : « D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; – oh ! tous les vices, colère, luxure, – magnifique, la luxure ; – surtout mensonge et paresse. » Si le président n’a rien contre l’« idolâtrie » des médias gaulois qui ont marqué le début de son quinquenna­t, il a déjà vu à l’oeuvre la « colère et la luxure » de la CGT (Confédérat­ion gauloise du travail) lors de la grève de la SNCF. Ne parlons pas de la « paresse », péché capital pour Macron qui commence sérieuseme­nt à songer à la dégressivi­té des indemnités chômage pour ce peuple d’assistés, spécialist­e de la fraude sociale. La seule erreur du président a peut-être été dans la comparaiso­n. Certes, les Gaulois sont tout ce que Rimbaud et Macron en disent, mais leur citer en exemple le Danemark était sans doute maladroit. En effet, vouloir transforme­r le Gaulois en luthérien, c’est mission impossible, comme l’avait bien vu Léon Bloy, exilé là-bas en 1899 : « Traits caractéris­tiques des protestant­s, quelque secte qu’ils appartienn­ent. Haine de la pénitence, amour de tout ce qui est facile, indifféren­ce monstrueus­e pour tout ce qui est beau. » •

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