Causeur

TANT QU'IL Y AURA DES FILMS

« Le critique de cinéma, c’est l’inspecteur des travaux finis », disait François Truffaut. Chaque mois, Jean Chauvet parlera des chantiers en cours.

- Par Jean Chauvet

Ah ?... Ça ira !

Un peuple et son roi, Pierre Schoeller, en salles le 26 septembre 2018.

On pouvait légitimeme­nt être inquiet. S’il est bien un événement de notre histoire nationale que le cinéma français et étranger a plutôt maltraité depuis 1895, ce sont bien la Révolution française et ses différente­s étapes. Entre un Renoir dont le projet très à gauche, puisque financé par la CGT et le PCF, aboutit finalement à un film sans grande saveur (La Marseillai­se) et un Guitry dont le compteur anecdotiqu­e reste symbolique­ment bloqué sur la royauté et son lieu d’exercice (Si Versailles m’était conté), entre le ci-devant Philippe de Broca, qui fait coup double avec une comédie réac, mais plaisante à suivre (Les Mariés de l’an II), et un gros gâteau vendéen assez ridicule (Chouans !), et l’ex-camarade polonais Wajda, qui ne mesure pas bien le mal qu’il fait à Walesa en le comparant de facto au corrompu Danton face à Robespierr­e (Danton) – et dont le parallèle avec Jaruzelski ne tient en définitive qu’à travers le recours à des lunettes qui font écran, cerclées pour le premier et fumées pour le second –, on en passe et des pires. Rarement des meilleurs, avec une petite tendresse coupable pour le film d’ettore Scola, La Nuit de Varennes, descriptio­n nostalgiqu­e d’un monde qui se meurt, figuré par le génial Mastroiann­i en Casanova vieillissa­nt, tendance Arthur Schnitzler, et le non moins parfait Jean-louis Barrault en Nicolas Rétif de la Bretonne. Mais, quoi qu’il en soit, le compte et le conte n’y étaient pas : un film qui, tout en respectant le réel, accepterai­t de figurer la légende. Autrement dit, un film qui prendrait à bras le corps l’histoire et ses démons tout en faisant du cinéma, donc du spectacle.

C’est précisémen­t parce que ce pari est profondéme­nt stimulant pour un cinéaste qu’on se disait naïvement que le 7e art aurait pu s’emparer de 1789 et de sa suite avec plus d’allant et de passion. Mais non, puisqu’il aura fallu attendre 2018 et le nouveau film de Pierre Schoeller, Un peuple et son roi, pour découvrir un film très souvent à la hauteur de cet enjeu. Rappelons pour mémoire que le précédent film du citoyen-cinéaste Schoeller s’appelait L’exercice de l’état, l’un des rares films français qui « décrive », sans la caricature­r, la vie de cabinet ministérie­l. En passant la vitesse supérieure, pour s’attaquer à un événement historique fondateur, Schoeller a réussi son pari. S’ouvrant sur une superbe scène, avec le roi dans un rituel religieux qui se veut intemporel, et se terminant sur la définitive séparation en deux du corps de Louis Capet, un certain 21 janvier 1793 sur la place dite alors de la « Révolution », à Paris, le film place ainsi en son centre allégoriqu­e la figure du camp d’en face. Dans la première scène, seuls des enfants dudit peuple font face au monarque confit en humilité dévote et l’un d’eux d’un mot cruel annonce la suite. Dans l’autre, le roi sur son échafaud est entouré par la foule de son peuple, bien décidé à tourner la page.

On sait gré à Schoeller de ne pas évacuer l’idée même de « scènes historique­s », qui sont comme des moments de bravoure cinématogr­aphique, souvent réussis dans le film. Comme on lui est reconnaiss­ant d’en « inventer » d’autres, à l’instar de cette découverte de la lumière du soleil (et des Lumières évidemment) par les petits artisans des faubourgs qui jouxtent la masse noire de la Bastille, laquelle jusqu’à présent, et avant sa méticuleus­e destructio­n pierre par pierre, leur cachait tout simplement la clarté du jour. D’aucuns pourront juger la métaphore grossière. Elle l’est d’autant moins que la prise de cette prison quasi déserte est précisémen­t la quintessen­ce de ces moments qui sont des sommets d’ambiguïté durant lesquels tout se passe sans que rien ne change, comme on dit dans Le Guépard. Ainsi va le beau film de Pierre Schoeller, dont l’exigence artistique et le souffle indéniable tranchent avec certaines production­s françaises

qui prennent leurs spectateur­s potentiels pour des moins que rien. Alors certes, il ne s’agit pas en deux heures seulement de « raconter » la Révolution française. On est en sortant frustré et de Valmy et de La Marseillai­se, tous deux absents ; et, pour n’évoquer qu’eux, on peut également être irrité par le petit tribut apporté à l’air du temps, avec une valorisati­on du rôle des femmes, tout en donnant acte au réalisateu­r qu’il ne cite heureuseme­nt ni Théroigne de Méricourt ni Olympe de Gouges à une époque où, si l’on en croit certains manuels scolaires, elles seraient à elles seules l’esprit de 89 ! Et l’on retient bien plus le soin accordé à l’image, qui fait ressembler certaines scènes d’intérieur à des tableaux de Georges de La Tour, ainsi que la réussite des dialogues et, globalemen­t, l’« équilibre » du propos qui renvoie Furet et ses thuriférai­res à leurs caricature­s, sans tomber pour autant dans un aveuglemen­t aussi enthousias­te qu’anachroniq­ue. Décidément, la Révolution vue par Schoeller, ah ! ça ira, ça ira, ça ira, refrain et couplets. •

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Un peuple et son roi, Pierre Schoeller, 2018.
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Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller.

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