Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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On ne va pas finir 2018 sans dire adieu à Leonard Bernstein (1918-1990) – Lenny pour les intimes, autant dire tout le monde, ce qui le flattait au début et l’horripilai­t à la fin.

Bernstein avait quatre métiers : compositeu­r, chef d’orchestre, pédagogue et people. Compositeu­r, il faisait déjà quatre métiers : fournisseu­r de ballets dès Fancy Free en 1944 ; maître du musical et père en 1957 d’un miracle nommé West Side Story ; symphonist­e sérieux, et trousseur d’opéras (laborieux, mais Candide, fiasco en 1956, se bonifie avec le temps).

Le pédagogue avait quatre écoles : Harvard et Tanglewood où il fut élève puis prof de maestros (et maestras : Marin Alsop est un peu sa fille) ; ses propres livres qui sont des cours d’initiation ; enfin, ou plutôt d’abord, la télévision qu’il a éduquée pendant vingt ans (l’éditeur Kultur publie en DVD ses 53 Young People’s Concerts, preuve en image que l’amérique des sixties savait ce que pouvait être un service public de l’art. Et preuve que c’est fini, là-bas comme ici).

Le people avait quatre étoiles : le couple Kennedy qui le dorlotait ; Lauren Bacall, voisine et confidente au Dakota Building, sur Central Park ; Herbert von Karajan, son anti-moi européen ; et le public avec lequel il partageait joies et blessures jusqu’à l’indécence. Anar doré, c’est pour lui que Tom Wolfe inventa la locution assassine « radical chic ».

Le chef d’orchestre avait 1 003 amours, de Mozart à Copland, mais quatre passions : Ravel, Chostakovi­tch, Mahler et lui-même. Globe-trotter plus souvent à l’hôtel qu’à la maison, il avait aussi quatre cités : New York, son coeur, son Philharmon­ic ; Tel-aviv, terre promise où les aurores sont divines et les garçons jolis ; Vienne, « naziland » à qui il réapprend Mahler, fierté de sa vie ; et Paris.

Paris ! Ville « angélique » tellement plus fraîche que la diabolique Vienne. Paris, ville du ciel : il loge place de la Concorde, au Crillon, où vous pouvez maintenant occuper la fameuse « Suite Bernstein » avec terrasse, 25 000 euros la nuit. Paris, ville des plaisirs, des amis Noureev, Nadia Boulanger. Ville des orchestres hypnotisés qui ne se plaignent pas, comme à New York, de perdre leur discipline.

Paris, ville ingrate. L’événement du centenaire aura eu lieu à Toulon où la comédie musicale de 1951, Wonderful Town, a connu en janvier sa… création française ! Ailleurs, une symphonie, une suite de danses, l’énorme Mass à Lille. Paris ? Un bref Trouble in Tahiti à l’athénée, re-mass à la Philharmon­ie (bof), un modeste Candide monté de Marseille aux Champs-élysées le 17 octobre – en version de concert. Et puis ? Pas un cycle symphoniqu­e digne du génial chouchou. Pas une Songfest. Pas un nouveau West Side Story – c’était pourtant l’occase vu que le clef-en-main pour touristes made in Broadway on n’en peut plus. L’opéra national ? À part un bout de West Side, il y a dix ans, Bernstein, connaît pas. Misère !

L’anniversai­re se termine, nous reste quoi ? Les disques. Mais alors là, c’est Byzance. Deutsche Grammophon a bourré deux coffrets mirifiques : un pour le chef (121 CD, 36 DVD), un pour le compositeu­r (26 CD, 3 DVD). Des années 1960, Sony tire une « remastered edition » : cent ans, 100 CD. Cerise on ze cake, Warner vient de publier sept CD de studios, répétition­s et concerts parisiens avec l’orchestre national de France (An American in Paris, entre Ravel 1975, mirobolant, et Rachmanino­v 1979). Restez chez vous : tout Lenny est là. •

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