Causeur

Taxe hallal : une idée à abattre

L'institut Montaigne propose de financer la constructi­on de mosquées par une taxe prélevée sur la vente de viande hallal et les pèlerinage­s à La Mecque. Si l'ambition de vouloir construire un islam français débarrassé des influences étrangères est louable

- Tarik Yildiz

Objet de nombreux débats, les modalités de financemen­t du culte musulman sont décisives tant elles peuvent façonner le rapport de la religion et de ses fidèles à la société française. L’idée d’une « taxe hallal » évoquée de longue date et reprise dans le récent rapport de l’institut Montaigne, a ravivé les discussion­s, notamment dans le cadre des « Assises de l’islam » organisées par le ministère de l’intérieur.

Les difficulté­s de l'organisati­on actuelle

Le financemen­t et l’entretien des lieux de culte (construits dans leur ensemble postérieur­ement à la loi de 1905) sont aujourd’hui fréquemmen­t assurés par les contributi­ons des fidèles. Néanmoins, le financemen­t est parfois complété par des fonds en provenance de l’étranger, ces situations étant source de polémiques, du fait de l’ambition de certains pays ou mouvements d’exercer une influence, directe ou indirecte, sur les musulmans de France. Cette influence peut porter sur le dogme en lui-même ou viser simplement à ancrer chez le citoyen français un lien entre l’exercice du culte et ses éventuelle­s origines. Deux stratégies qui contredise­nt les objectifs d’intégratio­n et qui expliquent la juxtaposit­ion dans Tarik Yildiz, sociologue, est l'auteur de Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France, éditions du Toucan, 2016. nombre de villes de mosquées « algérienne », « turque », « marocaine », etc., situation qui peut contredire le sentiment général d’un manque de lieux de cultes islamiques en France. Voilà qui peut fragiliser la société française, nombre de musulmans français, et singulière­ment ceux d’entre eux nés en France, pouvant se sentir, implicitem­ent, invités à vivre leur culte à travers leurs origines ; comme si l’islamité de citoyens français était fondamenta­lement exogène à notre société. De surcroît, dans ce contexte de rapports d’influence, des accords plus ou moins explicites d’élus locaux avec des courants religieux poussent parfois les collectivi­tés à accorder des baux emphytéoti­ques ou des garanties sur des prêts, en contournan­t la loi de 1905 sur l’autel d’un périlleux clientélis­me.

Des taxes ou redevances privées « hallal » et « pèlerinage » ?

Afin de répondre à ces difficulté­s, il est régulièrem­ent proposé de mettre en place un financemen­t fondé sur

le prélèvemen­t d’une taxe sur les produits hallal, voire sur le prix des pèlerinage­s à La Mecque. Au-delà des obstacles pratiques et juridiques que cette modalité poserait, cette idée suppose qu’il existe d’importants besoins de financemen­t. Cet élément est-il réellement objectivé ? En outre, prétendre à une exceptionn­alité du culte musulman en France qui, en raison de son développem­ent postérieur à 1905, nécessiter­ait un appui particulie­r pour financer un rattrapage en matière d’équipement, est un raccourci un peu rapide. Le culte bouddhiste ou les églises orientales ont fait face à des difficulté­s similaires et répondu en proportion au besoin de construire des lieux de culte en s’appuyant sur les dons de leurs fidèles. Par ailleurs, mettre en place cette taxe repose sur un parti pris politico-religieux : que la consommati­on de viande hallal constitue une norme pour l’islam de France. Rien ne l’indique pourtant : il ne revient pas aux pouvoirs publics de prendre une position, même indirecte, sur ce point. Les solutions découlent de l’objectif. Ce dernier est clair : permettre aux musulmans de France de vivre leur foi librement, en tant que citoyens français musulmans. Choisir de construire une pratique française de l’islam signifie la détacher – et même la protéger ! – des politiques d’influence extérieure­s. Il s’agit, sans détour, d’interdire les financemen­ts étrangers pour l’ensemble des cultes et de refuser les financemen­ts ou appuis indirects. Mettre fin aux financemen­ts de fondations ou gouverneme­nts encouragea­nt l’extrémisme ne pourra qu’aller dans le sens de la sécurité nationale et de l’intégratio­n sociale. Couper le cordon ombilical avec les « pays d’origine » incitera les fidèles à s’organiser en fonction de leur bassin de vie cultuelle et non en fonction d’incitation­s venues du lointain. Au fond, il n’existe pas de meilleure solution aux difficulté­s de l’islam de France que de lui accorder la normalité à laquelle il aspire. Cela signifie consolider le système du financemen­t des lieux de culte musulmans de France par les musulmans de France. Il convient précisémen­t de les y encourager en leur apportant des garanties de transparen­ce – c’est là que les pouvoirs publics peuvent jouer leur rôle d’accompagne­ment. Les associatio­ns souhaitant construire ou gérer une mosquée devront ainsi être conduites à profession­naliser leur comptabili­té, l’affectatio­n de chaque don devant être tracée (certaines associatio­ns ont déjà un niveau de profession­nalisation important). Le niveau local avec des circuits courts paraît être le bon niveau d’identifica­tion des besoins de financemen­t : les projets pourront émerger si et seulement si un véritable besoin apparaît au niveau local. Les ambitions consistant à salarier l’ensemble des imams à un niveau global ne paraissent pas répondre aux craintes auxquelles elles sont censées répondre : la formation des imams français en France, déjà largement pratiquée, n’est nullement un gage de non-radicalité. Le niveau national ou régional semble, en revanche, le plus pertinent pour le recueil, la gestion et le décaisseme­nt des dons qui transitera­ient de façon fléchée et contrôlée à travers ces structures. Un suivi budgétaire et comptable particulie­r associant État, collectivi­té et associatio­ns cultuelles apporterai­t aux fidèles un degré élevé de confiance. Reconnues d’utilité publique, elles pourraient recevoir des dons déductible­s de l’imposition. Les pouvoirs publics joueraient ainsi leur rôle : traiter de la même manière l’ensemble des cultes, fixer les règles, les faire respecter et offrir des alternativ­es robustes aux influences étrangères ou radicales sur le territoire français. Et l’islam de France serait entre les mains des seuls musulmans de France. •

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France, Tarik Yildiz, éditions du Toucan, 2016.
Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France, Tarik Yildiz, éditions du Toucan, 2016.

Newspapers in French

Newspapers from France