Causeur

La décennie de la jupe

- Jean-paul Lilienfeld

Presque dix ans après la sortie de son film La Journée de la jupe (2009), narrant l'histoire d'une prof de banlieue au bord de la crise de nerfs, Jean-paul Lilienfeld constate que rien n'a changé. Malgré un début de prise de conscience chez les politiques, la gauche culturelle persiste à faire l'autruche.

La vidéo du collégien braquant sa prof dans un collège de Créteil rappelle tellement La Journée de la jupe qu’elle m’a valu de nombreux messages. Ceux qui me félicitent d’avoir été en avance. Ceux qui se désolent que presque dix ans plus tard rien n’ait changé. Et ceux qui me demandent si je compte ouvrir un cabinet de voyance. Aucun d’eux ne m’a fait plaisir. Je n’étais pas en avance, j’acceptais simplement d’observer la situation existante, malgré la réprobatio­n du plus grand nombre qui s’employait à popularise­r le mot « stigmatisa­tion ». Dix ans après, rien ne me semble en effet avoir changé. D’après les témoignage­s que je recueille, cela a même empiré. Quant au cabinet de voyance, j’envisage plutôt d’ouvrir une entreprise d’aveuglemen­t. Elle trouverait à recruter de grandes compétence­s sans difficulté. Je me souviens parfaiteme­nt du mépris rageux de la presse dite « sérieuse » au moment de la sortie du film. Celle qui faisait l’opinion, celle qui dégainait le mot « facho » chaque fois qu’elle manquait du moindre argument à opposer au réel. Du Monde à Chronic’art, en passant par Slate et Les Cahiers du cinéma, La Journée de la jupe a été qualifié de « film dangereux », « démagogiqu­e », « malsain », « vaudeville médiocre », « cousu de fil blanc », voire de « bien sinistre entreprise »… Certes, Martine Aubry a récemment eu une illuminati­on sur l’insécurité et les dealers qui minent les banlieues. Certes, Gérard Collomb a déclaré le jour de son départ de la Place Beauvau : « La situation est très dégradée. » Certes, le premier secrétaire fantôme du PS, Olivier Faure, a cité la confidence que lui a faite un électeur de gauche : « Il y a des endroits où [...] on est dans une sorte de colonisati­on à l’envers. » Mais je ne partage pas l’optimisme de certains. Je vais vous raconter une anecdote qui en dit long. Il y a quelques jours, je me trouvais entouré du gratin de l’édition parisienne à la remise de décoration d’un auteur au ministère de la Culture. Les entendre se gausser du succès d’inch’allah, de Davet et Lhomme, m’a confirmé qu’on était encore loin du bout du chemin… « Ça se vend comme un Zemmour, c’est la même clientèle », ricanait le patron d’une grande maison. Et l’assistance d’opiner du chef. Lorsque j’eus le malheur de dire que je trouvais révélateur que ces deux journalist­es du Monde, porte-étendard de la parole autorisée, osent enfin écrire ce que d’aucuns disent depuis dix ans en se faisant traiter de fachos, ces messieurs ont subitement eu affaire aux quatre coins du salon doré… Ne nous y trompons pas. Même s’il leur faut bien s’adapter aux goûts de la clientèle, le diapason de ceux qui donnent le « la » indique toujours la même note. •

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Jean-paul Lilienfeld.

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