Causeur

Deux journalist­es du Monde ne devraient pas dire ça

Gérard Davet et Fabrice Lhomme - qui ont grandi en banlieue - ont été choqués par les résultats de l'enquête sur la Seine-saint-denis qu'ils ont dirigée. Leur livre Inch'allah décrit par la menu l'islamisati­on de la société qui gangrène ce départemen­t auj

- Propos recueillis par Daoud Boughezala, Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Entretien avec Fabrice Lhomme et Gérard Davet Propos recueillis par Daoud Boughezala, Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Causeur. À la lecture de votre livre Inch'allah : l'islamisati­on à visage découvert, on a l'impression que vous découvrez la lune. Depuis Les Territoire­s perdus de la République, on ne compte plus les livres, les enquêtes et les lanceurs d'alerte qui décrivent et dénoncent l'islamisati­on du pays. Il a fallu que François Hollande exprime devant vous ses profondes inquiétude­s sur la question pour que vous découvriez le problème ! Fabrice Lhomme. D’abord, ne nous assimilez pas à l’ensemble de la presse française ! En fait, Hollande a été le déclencheu­r de notre enquête. Nous nous sommes dit que si même le président de la République, de surcroît un homme de gauche, réputé pour sa modération, voyait dans l’islamisati­on un problème très important, c’est qu’il devait y avoir un sujet. Mais à vrai dire, on le voyait déjà monter depuis des années. Les remontées venant de connaissan­ces ou de sources (policiers, magistrats, préfets...) révélaient une islamisati­on préoccupan­te, notamment en banlieue parisienne. Nous ne vous assimilons pas à l'ensemble de la presse française, nous pensons que le journal pour lequel vous travaillez a été à la pointe du déni ! Le Monde a consacré il y a deux ans (31 octobre 2016) un portrait élogieux au fondateur du Collectif contre l'islamophob­ie en France (CCIF) qui se répand dès qu'il le peut sur le racisme d'état et autres sornettes. Et le même journal diabolise Georges Bensoussan, le coordinate­ur des Territoire­s perdus de la République, au prétexte qu'il observe l'existence d'un antisémiti­sme arabo-musulman… Gérard Davet. D’abord, c’est votre droit de critiquer notre journal, et notre devoir de le défendre ! Surtout, Fabrice et moi sommes des reporters dont les enquêtes ne sont absolument – et volontaire­ment – pas idéologisé­es. Ce livre ne dévoile pas un Watergate et ne prétend rien révolution­ner. C’est d’abord un projet pédagogiqu­e, puis une enquête réalisée par cinq jeunes journalist­es que nous avons encadrés. Il met au jour des éléments, connus pour certains, mais avec aussi nombre de révélation­s. Les journalist­es qui sont allés sur le terrain n’ont rapporté que des faits. Alors, peut-être en effet y sommes-nous allés trop tard, peut-être que le journalism­e dit d’« investigat­ion » aurait dû s’intéresser aux territoire­s supposés perdus… Résultat, on a laissé le terrain à des idéologues au détriment de journalist­es se limitant aux faits et s’abstenant de toute interpréta­tion. Mais l'interpréta­tion fait partie des missions du journalism­e. Et Les Territoire­s perdus de la République, publié en 2002, est une compilatio­n de témoignage­s de professeur­s qui n'ont rien d'idéologiqu­es. En réalité, c'est votre idéologie qui vous a empêchés de voir et d'entendre ! Fabrice Lhomme. Encore une fois, nous réfutons toute approche idéologiqu­e. Par ailleurs, je vous rappelle que Gérard et moi sommes des journalist­es spécialisé­s dans les affaires politico-financière­s, les sujets dits de société, ce n’est donc pas notre terrain naturel. Cela dit, nous ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : la thématique de l’islamisati­on est connue depuis au moins une décennie. Une libraire du Bourget, qui nous a contactés après la sortie du livre pour nous reprocher de découvrir l’eau chaude, nous raconte qu’elle a dû fermer et partir à cause de la pression islamiste. Le vrai sujet, c’est que la gauche – au sens large – politique, et souvent journalist­ique, a refusé de se saisir de cette thématique, paniquée et paralysée à l’idée d’être accusée de faire le jeu de l’extrême droite. Appelez ça comme vous voulez, omerta, autocensur­e, déni ou aveuglemen­t, en tout cas, cela a abouti à un résultat catastroph­ique. Du coup, quand on ose évoquer l’islamisati­on, on est lynchés en place publique ! Bienvenue au club ! Et ça se manifeste comment ? Fabrice Lhomme. Depuis la sortie du livre, nous sommes qualifiés d’islamophob­es, de fascistes et même de nazis sur les réseaux sociaux, que nous considéron­s, plus que jamais, comme des réseaux « asociaux », au sens propre du terme. Twitter, par exemple, est devenu une véritable arme de diffamatio­n et de délation massives, une bénédictio­n pour les lâches, les frustrés… Parmi eux, hélas, certains journalist­es, totalement irresponsa­bles. Savez-vous que notre éditrice, Sophie de Closets, →

dont il faut saluer le courage, a appris que dans des librairies parisienne­s, des personnes dissimulai­ent Inch’allah afin qu’il ne puisse être acheté ? Quelle sera la prochaine étape ? Des autodafés, comme dans Fahrenheit 451…? Évidemment, nous ne vous souhaitons pas d'ennuis, mais il n'est pas inutile que vous compreniez ce que nous vivons depuis vingt ans. Et bien sûr, nous sommes un peu envieux de voir que, quand deux journalist­es du Monde voient ce que beaucoup de Français voyaient, on les entend jusqu'à France Inter. Mais revenons à votre enquête. François Hollande vous avait déclaré que l'islam n'était pas intrinsèqu­ement dangereux, que les problèmes venaient du fait qu'il cherchait sa place en France. Les résultats de votre enquête confirment-ils cette analyse ? Fabrice Lhomme. Dans Un président ne devrait pas dire ça, Hollande, qui a accepté de nous parler assez longuement de l’islam, dit deux choses a priori contradict­oires : d’une part, que « la femme voilée d’aujourd’ hui sera la Marianne de demain » – ce qui signifie qu’elle retirera son voile et s’intégrera ; mais de l’autre, qu’une partie de la communauté musulmane porte des revendicat­ions visant à imposer ses normes sociales dans l’espace public. C’est la définition même de l’islamisati­on qui pèse d’abord, il faut à chaque fois le préciser, sur la majorité des musulmans français qui respectent la République. La plupart des témoins rencontrés pour ce livre, qui dénoncent l’islamisati­on, sont musulmans, ce n’est pas un hasard. Ainsi, Mokhtar, un vieux prof d’histoire, qui a vu sa ville de Saint-denis complèteme­nt métamorpho­sée, s’attriste : « Ce n’est pas ma religion ! Elle est dévoyée ! » Ce discours est une réalité aussi palpable que les dérives islamistes. Oui, depuis 2015, on a même des études très sérieuses, menées par l'institut Montaigne et le CNRS, qui nous apprennent qu'il y a parmi les musulmans français une grosse minorité (environ 30 %) culturelle­ment séparatist­e. Fabrice Lhomme. D’après le consultant Hakim El Karoui, environ un quart de la population musulmane française serait en sécession, et cette proportion monterait à 50 % chez les moins de 25 ans – ce qui signifie que tous les autres ne le sont pas. La moitié des jeunes, c'est déjà très inquiétant, non ? D'autant que la majorité est de plus en plus silencieus­e. Ce sont les extrémiste­s qui tiennent le pavé. Cette réalité, que vos apprentis journalist­es ont pu toucher du doigt, vous a-t-elle personnell­ement surpris ? Gérard Davet. Ces chiffres semblent astronomiq­ues, nous n’avons pas pu nous-mêmes les vérifier. Mais nous n’avons pas été surpris par le phénomène en tant que tel, plutôt par son ampleur et son avancement. Quand les étudiants ont rapporté les résultats de leurs investigat­ions, nous avons vu le tableau d’ensemble : des

éléments très forts, précis et factuels, mettaient irréfutabl­ement en lumière une islamisati­on agressive en train de s’installer dans certains pans de la société de la Seine-saint-denis. Fabrice et moi sommes tous les deux originaire­s de banlieue parisienne, nous y avons non seulement grandi, mais aussi travaillé. Et pas dans les meilleurs quartiers. Mes parents y vivent toujours, mes soeurs y enseignent, j’ai donc des capteurs pour détecter cette religiosit­é musulmane prégnante, de plus en plus revendicat­ive et ostentatoi­re. Au Parisien, où j’ai commencé ma carrière, j’ai suivi les banlieues dites sensibles – Vitry-sur-seine, Villeneuve-saint-georges, Orly… – de 1987 à 1995. Fabrice a également sillonné la banlieue pour le même journal à cette époque. Les problèmes des cités, c’était le banditisme, la drogue, la délinquanc­e, pas l’islam. D’ailleurs, en presque dix ans, je n’ai jamais traité d’affaire liée à la religion. Fabrice Lhomme. J’ai été moi aussi choqué par l’ampleur du phénomène et par certains faits. Ce qu’a vu l’une de nos journalist­es dans l’école salafiste de Sevran où elle a réussi à passer du temps, a de quoi glacer n’importe quel républicai­n : des fillettes entièremen­t voilées, des enfants qui n’ont pas le droit d’écouter de la musique ni de reproduire la face humaine, leurs poupées n’ont pas de visage… Mais, en même temps, les mamans expliquent que dans leurs quartiers règnent le trafic de drogue, les armes, la violence... Elles jugent l’école publique dépourvue d’autorité, ce pour quoi elles préfèrent scolariser leurs enfants dans une structure, même salafiste, qui les recadre. Cela montre bien comment l’islam radical s’engouffre dans les failles de la République. Le problème est d’abord social avant d’être religieux. La radicalisa­tion est un phénomène mondial, de l'afghanista­n à Sevran, de Khartoum à Stockholm. Peut-être reflète-t-il une difficulté d'acculturat­ion intrinsèqu­e de l'islam plutôt que les fautes des pays d'accueil ? Et en France, les premières revendicat­ions sur le voile remontent à la fin des années 1980. L'état providence était encore très généreux. Fabrice Lhomme. Personnell­ement, je crois l’islam soluble dans la République. Je connais nombre de musulmans parfaiteme­nt intégrés en France, et qui sont les premiers contempteu­rs de ces dérives islamistes. Je ne suis pas pessimiste. Le problème vient plutôt des nouvelles génération­s qui se sentent moins françaises que leurs parents. Des enfants moins intégrés que leurs parents, ça vous rend optimiste ? Même chez les plus républicai­ns des musulmans, une certaine vision du monde séparant les musulmans des mécréants, le hallal du haram, progresse. L'exemple par lequel vous ouvrez le livre est parlant : vous évoquez les revendicat­ions de policiers du 93 sur la viande et le contact avec les femmes pendant le barbecue annuel… Gérard Davet. C’est peut-être l’exemple le moins significat­if ! Sur une centaine d’officiers de la police judiciaire du départemen­t, auxquels il faut ajouter les familles et les gardiens de la paix invités, quelques-uns ont fait savoir à leur hiérarchie qu’ils ne souhaitaie­nt plus venir parce que l’événement n’était pas hallal. Ce qui est en revanche préoccupan­t, et a déjà été documenté, c’est que cette islamisati­on n’épargne plus la police nationale. Justement, cet exemple est révélateur : des citoyens français musulmans veulent contribuer à défendre la République, à condition que la République devienne hallal et renonce à un certain nombre de ses principes comme l'égalité homme-femme, la laïcité, une forme de sociabilit­é… Fabrice Lhomme. Cette vague revendicat­ive s’inscrit dans le cadre d’un retour planétaire du religieux, notamment dans le monde musulman. Pour nous, il serait déplacé d’aller au-delà du constat factuel et, dans le cas présent, de l’enquête que nous avons dirigée. On préfère laisser les sociologue­s, les historiens et les islamologu­es en expliquer les causes et les conséquenc­es. Chacun son job. Le rôle des journalist­es ne serait pas d'analyser, d'expliquer, d'interpréte­r ? Nous avons un désaccord de taille sur ce point. Cela dit, il y a un quasi-absent dans votre livre : le « petit Blanc » malheureux devenu minoritair­e sans immigrer. Avez-vous mieux compris ses angoisses identitair­es et ses inquiétude­s en milieu islamisé ? Fabrice Lhomme. On n’a pas eu besoin de lancer nos jeunes journalist­es sur cette enquête pour être sensibles à cette question. Il y a onze ans, l’actuel directeur des rédactions du Monde, Luc Bronner, a obtenu le prix Albert-londres pour ses écrits sur la banlieue, évoquant notamment le malaise de ceux qu’on appelle parfois les « petits Blancs ». Le chapitre sur la communauté juive illustre pour partie ce phénomène. Ce n’est pas un scoop : les juifs restent entre eux pour se protéger. Si les juifs se regroupent, par mimétisme, les Asiatiques, les Maghrébins, les « Blancs » resteront entre eux. C’est ce qu’on appelle le communauta­risme, pourtant totalement étranger à la République française. S'agissant de l'islam radical, le communauta­risme ethnico-religieux est redoublé par la séparation des sexes. Chez les femmes auxquelles vous donnez la parole, on décèle une tension entre la pression religieuse du groupe (sacralisat­ion de la virginité féminine avant le mariage) et les stratégies individuel­les de gestion du désir (réparation­s d'hymens, mariages temporaire­s). Pensez-vous, comme nombre d'observateu­rs, que les femmes sont les meilleurs agents du changement social ? Gérard Davet. Il y a de tout : des musulmanes qui combattent l’islamisati­on, mais aussi certaines →

qui s’en accommoden­t, voire y participen­t. D’un côté, la préfète déléguée à l’égalité des chances du 9-3, d’origine algérienne, Fadela Benrabia, ou la gynécologu­e d’origine libanaise, Ghada Hatem, sont des lanceuses d’alerte qui combattent l’obscuranti­sme et la soumission des femmes. De l’autre, on trouve des femmes qui se débrouille­nt dans une situation qui leur est imposée, comme ces conductric­es de taxi spécialisé­es dans le convoyage de femmes voilées. Beaucoup de femmes créent des business spécifique­ment liés à la religiosit­é qui s’intensifie dans ces territoire­s. Outre les musulmans, qui est responsabl­e de cette islamisati­on par le bas : les politiques, les élites, les journalist­es qui ont laissé faire ? Fabrice Lhomme. Tous les acteurs de la société, du policier au professeur en passant par le journalist­e, sont manifestem­ent passés à côté de quelque chose. Le témoignage d’une directrice d’école de Bobigny est instructif : des enfants ne voulaient pas entrer dans la basilique de Saint-denis parce qu’ils sont musulmans, d’autres répartis entre tables « pures », pour les élèves musulmans, et tables « impures »… Mais elle raconte aussi comment elle a réussi à les retourner par un mélange d’argumentat­ion et de fermeté. Cet exemple, comme tant d’autres, suggère que l’on pouvait collective­ment faire autrement et qu’on a raté le coche… Cela dit, si beaucoup n’ont rien vu venir, d’autres voyaient, mais avaient peur de parler ou d’agir. La peur d’être rangé à l’extrême droite, d’être accusé d’islamophob­ie, mais aussi, pour ceux qui vivent l’islamisati­on au quotidien, la simple peur physique. Tout cela a incité au silence. Et cela continue. Plusieurs personnes citées dans le livre ont essayé de prendre leurs distances une fois qu’il a été publié, et on peut les comprendre ! Gérard Davet. Mokhtar Ammi, le prof d’histoire retraité dont le témoignage ouvre le livre, n’assume plus ses propos. Interrogé à la télévision, il ne dit plus du tout « on m’a volé ma religion », il délaye. Parce qu’il a peur. Le problème, c'est que Mokhtar Ammi a des raisons d'avoir peur. Pour beaucoup de juifs, la France a été une opportunit­é pour les individus, notamment les femmes, de s'émanciper du groupe. Sur trente ou quarante ans, on observe une évolution inverse chez les musulmans : le groupe reprend le contrôle des individus… Fabrice Lhomme. Ce qui est frappant, c’est qu’on retrouve dans le débat public la pression du quartier exercée par les voisins, la « rue », la communauté... Collective­ment, on subit cette pression. Et c’est spécifique à ce sujet, qui est un peu l’ultime tabou. Notre cellule de jeunes enquêteurs s’appelle « Spotlight », en hommage aux journalist­es du Boston Globe qui ont révélé en 2002 un scandale de pédophilie dans l’église. Mais les reporters du Boston Globe ne se sont jamais fait taxer – pardon pour le néologisme – de « catholicop­hobie » ! Pour tout le monde, il est évident que dénoncer des prêtres pédophiles, voire dire qu’il y a un vrai problème de pédophilie dans l’église, ne signifie en aucun cas stigmatise­r l’ensemble des catholique­s. Mais quand il s’agit de l’islam, c’est impossible. Il y a une peur, un interdit même, qu’il revient aux intellectu­els d’analyser. Cette peur a aussi d'autres causes plus immédiates, et plus physiques. Depuis le carnage de Charlie Hebdo, on sait que les djihadiste­s peuvent tuer leurs contradict­eurs. Or, sur France Inter, vous avez expliqué ne pas avoir traité le djihadisme, parce qu'il ne serait pas lié à l'islamisati­on. Le sécessionn­isme, culturel, géographiq­ue ou physique, n'est-il pas le terreau du terrorisme ? Fabrice Lhomme. Nous évoquons quand même ce phénomène, notamment avec l’histoire de la famille Roy dont le fils, converti, est mort en Syrie dans les rangs de Daech. Mais il est vrai que nous n’avons pas voulu aller sur ce sujet, car le risque d’amalgame est trop fort : je ne crois pas que toutes les personnes qui ont la volonté d’imposer un islam rigoriste dans le débat public soient des terroriste­s potentiels, et heureuseme­nt ! Tous les islamistes ne sont pas terroriste­s, mais tous les terroriste­s sont islamistes. Comme disait Mao, un bon guérillero doit se sentir dans son environnem­ent comme un poisson dans l'eau. Dans Le Monde, Ariane Chemin a révélé l'empreinte du complotism­e

et de l'antisémiti­sme dans la madrasa de la mosquée de Paris. Et Florence Aubenas, également dans Le Monde, a rencontré l'entourage de la cousine du chef du commando du Bataclan, où l'on explique que « condamner les voyages en Syrie serait un peu se trahir » et « qu'une fille portant le voile sera toujours mieux que celles qui aiment la fête. » Bref, votre livre parle de la forêt où se cache l'arbre djihadiste. Fabrice Lhomme. Les exemples que vous prenez attestent que Le Monde n’évite pas le sujet ! Nous essayons de ne pas mêler notre avis personnel aux faits même si, j’en conviens, la limite est parfois ténue. Au risque d’être accusés de pusillanim­ité voire de tartufferi­e, nous nous contentons de mettre des faits sur la place publique. Par exemple, dans le chapitre sur l’islamisati­on dans l’entreprise, deux modèles sont présentés : un chef d’entreprise laïcard pur et dur qui ne veut pas de religion et notamment pas de prières dans sa société ; un autre qui compose et négocie. Et nous ne tranchons pas, d’abord parce qu’en l’espèce je ne suis pas sûr d’en être capable, mais surtout parce qu’on juge les lecteurs assez intelligen­ts pour se faire eux-mêmes un avis. Gérard Davet. Il y a une phrase de Montaigne qui dit tout : « Les hommes, aux faits qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers à en chercher la raison qu’à en chercher la vérité. Ils laissent là les choses, et s’amusent à traiter les causes. Plaisants causeurs ! » C’est notre conception du journalism­e, depuis toujours. Un journalism­e à l’anglosaxon­ne, alors qu’en effet le journalism­e français, par tradition, est souvent empreint d’idéologie. On a publié des enquêtes visant Sarkozy, d’autres sur les « affaires » du FN, puis un livre qui a fait chuter Hollande... Je pense que nous sommes inclassabl­es, parce qu’on tient à chaque fois à en rester aux faits. Bah voyons ! Comme si la vérité ne se trouvait pas aussi dans les raisons. Alain Finkielkra­ut définit le politiquem­ent correct comme le refus de voir ce que l'on voit. Par exemple, vous évoquez l'employé de la RATP, Samy Amimour, qui s'est fait sauter au Bataclan : il n'y a aucun rapport entre son acte et le célèbre dépôt « hallal » de la RATP aux Pavillons-sous-bois ? Gérard Davet. Mais on n’en sait rien ! On est incapables d’établir un lien direct et constant entre l’irruption du fait religieux musulman dans tous les secteurs de la société en Seine-saint-denis et l’apparition d’un terreau djihadiste. Fabrice Lhomme. Un de nos jeunes enquêteurs a réussi à pénétrer dans ce fameux dépôt RATP. Il a trouvé une situation pas forcément rassurante, mais qui ne correspond­ait pas au repaire d’islamistes, voire de djihadiste­s, décrit par certains médias. Cependant, quand on entend que des chauffeurs de bus ne veulent pas saluer une femme ou prendre leur service après une femme, c’est inquiétant. Il y a aussi un local pour prier, ce qui est interdit dans une entreprise publique. Ce genre de revendicat­ion au travail se généralise dans le 93. Précisant que les musulmans forment une bonne moitié de la population du départemen­t, vous écrivez : « Depuis peu, le départemen­t n'est plus un sas [où] on venait, puis on repartait. » « La masse des foulards et des barbus » que vous décrivez correspond-elle au projet de vie de la majorité locale ? Le contrôle social islamique est-il plébiscité par la base ? Fabrice Lhomme. Faute d’étude spécifique, hormis peut-être les travaux de Hakim El Karoui, difficile de savoir si la communauté musulmane se reconnaît dans ce modèle de société. Et puis, du fait du contrôle social, de la pression collective, beaucoup d’habitants n’osent pas parler sincèremen­t. Gérard Davet. Auparavant, dans le 9-3, les cités et quartiers étaient « tenus » par les communiste­s. Ce maillage social disparaît peu à peu au profit d’associatio­ns culturelle­s ou cultuelles qui prennent de plus en plus de place. Certains en profitent pour se faire une place au soleil en engrangean­t des bénéfices sur le marché du hallal, la constructi­on de mosquées… Pour autant, sont-ils si religieux que ça ? Je n’en suis pas sûr. Fabrice Lhomme. Cela nous amène sur le terrain politique, et donc le clientélis­me, répandu aussi bien à gauche qu’à droite. Pour être élus, des hommes politiques transigent avec la communauté musulmane, font des concession­s, quitte parfois à faire des entorses à la laïcité. C’est un phénomène très prégnant en Seine-saint-denis. Mettons-nous une minute à la place des politiques, a fortiori des maires : sauf à commettre un suicide électoral, ils ne peuvent ignorer les revendicat­ions des musulmans… Fabrice Lhomme. Bien entendu ! Les politiques sont censés répondre aux aspiration­s de leurs administré­s, particuliè­rement à l’échelon local. Reste que dans les villes à majorité musulmane, nombreuses en Seine-saintdenis, ils sont confrontés à de plus en plus de revendicat­ions communauta­ires, voire communauta­ristes. Mais, encore une fois, une grande partie des musulmans français y sont non seulement opposés, mais sont aussi victimes de ce processus. Alors, au motif que nous disons crûment les choses, il est insultant, mais surtout absurde, de nous accuser de jeter l’opprobre sur une communauté ! C’est au contraire aider les musulmans que dénoncer les dérives radicales, qui sont encore minoritair­es. Ce n’est pas le mensonge ni le silence qui les protégeron­t, mais au contraire la vérité, aussi déplaisant­e soit-elle parfois, et le débat public. C’est exactement le but de cet ouvrage. •

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Samy Amimour, terroriste du Bataclan, travaillai­t au célèbre dépôt « hallal » de la RATP, aux Pavillons-sous-bois.
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Inch'allah : l'islamisati­on à visage découvert, sous la direction de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Fayard, 2018.

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