Causeur

Goldnadel contre les robots

Habitué des plateaux télévisés, l'avocat Gilles-william Goldnadel déplore l'uniformité idéologiqu­e du système médiatique. À l'ère de Twitter, cet intellectu­el de droite décomplexé (une espèce de plus en plus répandue !) décortique le panurgisme des foules

- Propos recueillis par Élisabeth Lévy

Causeur. Si j'ai bien lu Névroses médiatique­s, vous vous fondez sur les grands textes sur la psychologi­e des foules pour expliquer que, sous l'empire des médias de masse, les peuples sont devenus fous, et que les réseaux sociaux les transforme­nt en foules déchaînées. Gilles-william Goldnadel.

Plutôt que de parler de peuples, je m’intéresse à l’individu. C’est l’individu qui a perdu son indépendan­ce et qui, assommé – sans doute parce qu’il était assoiffé – d’informatio­ns, est connecté en permanence avec les médias et avec tous les autres. Ces individus isolés, mais interconne­ctés et interactif­s, qui ont soif de communion et d’émotion, forment ce que j’appelle les fidèles de la masse médiatique, abreuvés en permanence par l’église cathodique et son idéologie du pseudo antinazism­e devenu fou.

Heureuseme­nt, face à l'emprise de ce clergé, quelques esprits libres résistent. Votre point de vue sur ces masses médiatique­s manipulées par les médias n'est-il pas un peu méprisant ?

Je ne me vois pas comme un résistant, mais plutôt comme l’acteur-observateu­r d’un système idéologico­technique que je mets en cause tout en y participan­t. Le philosophe Günther Anders, mari d’hannah Arendt, avait réfléchi à cette problémati­que. Il nommait l’« ermite de masse » l’individu qui compose la masse des consommate­urs médiatique­s isolés. À son époque, le problème n’était pas aussi aigu qu’il l’est devenu avec internet et les autres technologi­es de communicat­ion. Anders pointait essentiell­ement la télévision qui donnait à l’ermite de masse le sentiment d’être le centre du monde : le quidam voit l’actualité défiler devant son écran, ce qui lui confère une immense importance. Aujourd’hui, ce phénomène a été aggravé par l’interactiv­ité massive et permanente des nouvelles technologi­es. La télévision cantonnait le spectateur dans une attitude passive. Aujourd’hui, l’individu membre de la foule médiatique jouit d’un sentiment de puissance décuplé par le nombre et par la possibilit­é interactiv­e qu’il a de lyncher ou de lécher symbolique­ment quelqu’un en appuyant sur un bouton. Le tout sans risque et anonymemen­t comme dans une foule. Mon livre s’adresse à ceux qui, comme moi, sont convaincus de l’irrational­ité du débat sur un certain nombre de questions jetées en pâture à la masse médiatique. La relecture des « Psychologi­es » de Le Bon, puis de Freud, qui décrivent sans aménité le suivisme, la puérilité, l’irrational­ité, l’animalité de la horde humaine qu’est une foule confirme mon intuition sur l’existence d’une foule médiatique désormais hors de contrôle faute de meneurs crédibles.

Cependant, il y a peut-être un certain courage aujourd'hui à défendre des positions extrême gauchistes comme l'accueil inconditio­nnel des migrants, qui sont ultra minoritair­es dans l'opinion.

« Le peuple ne nous convient pas, il faut changer le peuple ! » comme dit Brecht. Je ne vois aucun courage dans l’imposition de ce catéchisme postchréti­en, de ce pseudo antiracism­e xénophile qui méprise le peuple blanc indigène. Quand les Anglais votent mal, il faut faire sécession avec la commune libre de Londres ; Trump n’était pas encore élu que déjà il y avait des manifestat­ions pour tenter de l’empêcher, au sens américain du terme… Le clergé cathodique n’est pas complexé d’être minoritair­e. Cela ne l’empêchera pas de redoubler d’efforts contraigna­nts pour édifier les masses.

Vous dénoncez une forme de censure, mais on vous voit dans « Les grandes gueules » et dans « Salut les Terriens ! », on vous lit sur Figarovox, dans Valeurs actuelles et Causeur. Les points de vue que vous défendez sont très présents. Ne voulez-vous pas instaurer un nouveau manichéism­e ?

Il existe bien entendu quelques espaces de liberté qui permettent de critiquer le prêt-à-penser et le système. L’exemple du Figarovox, un lieu électroniq­ue pluriel, démontre que le papier reste toujours moins perméable aux idées dérangeant­es. Cela dit, je ne suis pas manichéen, je suis pessimiste. Personne n’abolira la puissance panurgique du média moderne. George Orwell lui-même disait : « On fera avec la machine. » Cela posé, l’idéologie totalitair­e que je dénonce est moribonde, peut-être même déjà morte, mais tel un astre éteint, elle continue d’éclairer de ses rayons aveuglants la planète médiatique où ses clercs continuent de régner en petits maîtres d’autant plus hargneux qu’ils sont inquiets.

Bien avant la naissance d'internet, Orwell pointait l'« esprit de gramophone », ce conformism­e qui répond souvent à la volonté de ne pas rompre avec son milieu. On sait bien que dans certains milieux, professer certaines opinions peut coûter cher… Et cela existe aussi à droite. Essayez de défendre la PMA dans une réunion de conservate­urs…

Lorsque je pointe Hollywood et les artistes, je ne dis pas autre chose. Il est impossible, sauf à être suicidaire, de ne pas être dans le politiquem­ent correct si on veut exercer son métier d’acteur. C’est du maccarthys­me à l’envers…

Justement, du point de vue d'un Américain, il règne ici une liberté effroyable. Le politiquem­ent correct outre-atlantique est beaucoup plus pesant que le nôtre.

Sauf que le politiquem­ent correct américain a aujourd’hui atteint nos rivages, notamment sur les questions sexuelles et les questions raciales. Vous ne pouvez plus faire les mêmes plaisanter­ies qu’autrefois. Il y a vingt ans, Muriel Robin faisait un sketch assez drôle sur les Noirs. Or, à supposer que ce sketch →

passe le crible du CSA, je lui ai fait admettre qu’elle n’oserait plus le refaire aujourd’hui. Quant à Tex, il s’est fait virer par Ernotte comme un vieux mâle blanc pour une blague à deux balles.

Sur la question de l'islamisati­on, les choses semblent bouger. Notre une du mois dernier, « Le Monde découvre la Lune », suggère que la vérité progresse !

J’ai en effet le sentiment que ma parole est plus libre aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ans, quand j’ai publié La Question blanche. Je peux désormais dire les choses sans qu’on pousse les hauts cris. Mais si demain j’affirmais exactement les mêmes choses que MM. Lhomme et Davet, par exemple sur une antenne du service public, cela ferait probableme­nt un scandale énorme ! Vu qu’on est dans le domaine de la croyance, l’identité du prophète est essentiell­e.

Je ne crois pas qu'un seul journalist­e, même sur France Inter, ait le sentiment d'évangélise­r les masses. Comment distinguez-vous ce qui relève de la foi et ce qui relève de la raison ? La raison, c'est quand on est d'accord avec vous ?

Non. Mais je suis sûr que, dans les conférence­s de rédaction d’arte, on se demande comment conduire les bonnes gens à adopter le bon point de vue, celui du militantis­me progressis­te. Télérama a interrogé une journalist­e qui avait publié sur le site de la chaîne un article militant pour le mariage homosexuel et critique à l’égard de la Manif pour tous : « Ne sortez-vous pas de votre rôle de journalist­e objective ? » Elle a répondu tout de go : « Je ne crois pas en l’objectivit­é, je crois en l’honnêteté »…

Et vous, vous croyez à l'objectivit­é ?

Je crois en tout cas à l’obligation juridique d’un journalist­e de service public de tout faire pour honorer son obligation de respect de la neutralité et du pluralisme contenue dans son cahier des charges. Plutôt que de cracher dessus noblement.

Vous associez le sectarisme à une sorte de gauchisme progressis­te dont vous retracez la généalogie. Mais j'y reviens, peut-être aurons-nous un jour un clergé médiatique de droite. Plus que l'idéologie, n'est-ce pas une logique économique et technologi­que qui produit une pensée médiatique uniforme ?

Dans mon introducti­on, j’attaque l’extrême droite des années 1930. J’ajoute que si, par pure hypothèse intellectu­elle, la droite était en situation de pouvoir imposer sa loi idéologiqu­e comme dans les années 1930, je m’y opposerais vigoureuse­ment. Je souhaite que l’idéologie qui remplacera l’idéologie moribonde qui nous a fait tant de mal pendant cinq décennies soit un tout petit peu moins d’essence quasi religieuse et un peu plus tolérante.

La récente polémique sur Pétain a montré qu'il pouvait y avoir aussi des réactions pavlovienn­es à droite. Ainsi, ceux qui affirmaien­t qu'on ne devait pas honorer Pétain ont été accusés de vouloir réécrire l'histoire.

Je rends hommage au président de la République d’avoir inventé l’expression conceptuel­le « boîte à folies »,à propos de cette polémique. Dans le cadre d’un débat rationnel, on pourrait parfaiteme­nt, comme de Gaulle et Mitterrand, considérer que celui qui s’est conduit de manière ignominieu­se en 1940 avait été un bon soldat en 1914. Le problème, c’est que Macron lui-même cède souvent à la tentation de l’instrument­alisation du passé. Il faut impérative­ment guérir de cette pathologie – qui a frappé tout le monde, sauf les véritables et authentiqu­es résistants et antinazis ; des gens comme Lanzmann ou Klarsfeld sont à des années-lumière du pathos et de la pathologie. Nous sommes (trop) lentement en train de sortir de ce schéma directeur.

Certes, Macron voit du pétainisme partout sauf sur la tombe de Pétain. Mais on a un peu l'impression que, depuis que Zemmour a relancé ce débat avec Le Suicide français, le grand chic du politiquem­ent incorrect consiste à défendre Pétain.

Les postures sont dans tous les camps : il y a évidemment quelque imposture dans la posture qui consiste à vitupérer le politiquem­ent correct ! Simplement, ce n’est pas la même chose de défendre le Pétain de 1917 et

de réhabilite­r, comme Zemmour, le Pétain des années 1940 ! D’un côté comme de l’autre, le nom de Pétain, symbole de la collaborat­ion avec le nazisme, crée immédiatem­ent une réaction pavlovienn­e, parce que des deux côtés, certains sont considérés par leurs partisans comme détenteurs de vérités. La propagande, c’est le passage de l’opinion à l’inconscien­t. En réalité, quand on en est au stade pavlovien, ça veut dire qu’on a fait l’objet d’une manière de dressage telle que la réaction idéologiqu­e sort de l’inconscien­t, comme un réflexe.

Vous critiquez à juste raison l'anticapita­lisme psittacist­e qui est la forme la plus répandue de la haine de soi occidental­e et le conformism­e de la repentance. Mais ne risquezvou­s pas d'oublier que le propre de l'occident, c'est sa capacité à s'autocritiq­uer ? Entre dénoncer la haine d'israël et refuser la critique d'israël, la limite est ténue…

Quand on n’est pas dans la pathologie de l’antisionis­me ou de l’antisémiti­sme, il est loisible de critiquer le gouverneme­nt israélien, il m’a semblé que les Israéliens eux-mêmes ne s’en privaient guère. De même, on peut parfaiteme­nt dresser un bilan négatif du colonialis­me, comme je le fais moi-même. L’occidental a traité l’autre avec une suffisance insupporta­ble. Je regardais il y a peu un film anglais – pas trop mauvais – des années 1950 qui se passe en Sierra Leone. C’est filmé de telle façon que les Noirs que croise le héros n’existent pas en tant qu’individus, ils n’existent qu’en tant que groupe exogène impersonne­l.

Quoi qu'il en soit, il y a peu de chances que les acteurs et victimes du système médiatique soient ébranlés par votre livre.

Oui et non. Même Le Bon et Freud, auxquels je ne me compare pas, n’ont pu empêcher la folie des foules communiste­s, fascistes ou nazis qui leur était quasi contempora­ine. Je me fais donc peu d’illusions sur ma capacité à subjuguer le pouvoir médiatique et son idéologie. Mais il existe dans l’offre médiatique des gens qui partagent à peu près ce que je pense. Ma démarche s’inscrit dans ce combat intellectu­el de longue haleine qui progresse.

Un combat intellectu­el peut-il enrayer des tendances profondes ? La soumission que vous décrivez est essentiell­ement volontaire ! On peut se sentir bon sans rien faire, il suffit de partager sur Facebook un post appelant à accueillir tous les migrants…

Oui. On se sent pieux parce qu’on est dans un système quasi religieux qui exige des preuves de piété et qu’y déroger serait pécher. Mais tout n’est pas perdu ! L’église cathodique a quand même laissé beaucoup de sa superbe et de son assurance. À ma modeste échelle, je contribue à sa démolition. Un jour, elle sera remplacée par de nombreuses chapelles : cela s’appelle le pluralisme.

C'est déjà un peu le cas : face à France Télévision­s, par exemple, il y a des chaînes de puissance comparable…

Où officient toujours quelques curés de l’église cathodique. Il n’y a pas d’équivalent en France de Fox News. Il n’existe pas, pour contrecarr­er le dressage du service public audiovisue­l, une force de frappe audiovisue­lle dissidente. On reste largement tributaire­s du service public et de ses équivalent­s idéologiqu­es. Et je ne parle pas uniquement de l’informatio­n, mais aussi de la publicité, des fictions, du divertisse­ment.

Ce qui nous amène au grand absent de votre livre : le marché. Il y a un marketing du progressis­me. Et une idéologie qui favorise la consommati­on des jeunes nomades.

Oui, et les gens qui vendent cette idéologie et les produits qui vont avec ne sont pas nécessaire­ment cyniques. Les geeks en T-shirt et baskets qui travaillen­t dans les GAFA ne se forcent pas par cynisme marketing. Ils y croient ! Ce sont des citoyens du monde, adeptes zélés et formatés du multicultu­ralisme. Quand vos idées sont en conformité avec vos intérêts, c’est encore mieux. •

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 ??  ?? Enregistre­ment de l'émission « 28 minutes » sur Arte, présentée par Élisabeth Quin, coeur battant du politiquem­ent correct...
Enregistre­ment de l'émission « 28 minutes » sur Arte, présentée par Élisabeth Quin, coeur battant du politiquem­ent correct...
 ??  ?? Gilles-william Goldnadel, Névroses médiatique­s : le monde est devenu une foule déchaînée, Plon, 2018.
Gilles-william Goldnadel, Névroses médiatique­s : le monde est devenu une foule déchaînée, Plon, 2018.

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