Le journal de l'ouvreuse
Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Comme des mouches. Il y a un an, le New York Times révèle que quatre mâles adultes portent plainte contre James Levine, directeur musical du Metropolitan Opera depuis près d’un demi-siècle. Les « attouchements » remontent aux années 1960, tout le monde savait et trouvait ça rigolo, le chef hier encensé a aujourd’hui 75 balais, dirige en chaise roulante, n’importe. Qu’on le pende ! Quand on a le pouvoir, on ne défait pas les braguettes subordonnées. Non mais quoi. Un article de presse et hop, déballé c’est pesé. À peine le maestro Levine banni du Metropolitan, quatre adultes, femelles ce coup-là, attaquent l’octogénaire Charles Dutoit, don Juan marié trois fois et père d’enfants qui ne sont pas tous de ses épouses. Illico presto les orchestres déchirent leurs contrats avec le maestro Dutoit, la mairie de Montréal, ville dont il fut l’idole, reprend ses médailles, la radio canadienne interdit que son nom soit prononcé à l’antenne quand elle diffuse un de ses innombrables concerts – phono-montage genre « heures les plus sombres » du NSDAP et du KGB mais à l’envers, dans la joie de qui remonte enfin ses pendules. Hormone félonne du passé, t’a’ar’ta gueule. Février 2018, une blogueuse accuse le chef autrichien Gustav Kuhn d’« assauts sexuels » pendant le festival qu’il a fondé au Tyrol. Cinq voix rejoignent le choeur des plaignantes, Herr Kuhn démissionne et se retire… dans un monastère (Jésus Marie Joseph, pourvu qu’il ne soit pas bi !). Juillet 2018, le Washington Post dévoile les « expériences inappropriées » qu’aurait eues, il y a vingt ans, le chef Daniele Gatti avec des musiciennes du Concertgebouw d’amsterdam dont il n’est le patron que depuis 2016 – on se demande comment lesdites ont pu permettre une promotion si récente ! Une semaine plus tard, sans sommation, sans tribunal, le Concertgebouw renvoie M. Gatti. Stop ou encore ? Encore. Chef d’orchestre a longtemps été le job le plus sacré du monde. Plus hégémonique, plus testostérique que chef d’état ou producteur de films. Mitou va se régaler. Et il n’y aura pas que des victimes. D’abord les Russes, derniers machos de la région, en profitent : maestro Gergiev, barde rapproché du tsar Poutine, ouvre grand la Philharmonie de Saint-pétersbourg à ses frères Gatti et Dutoit. Ensuite le roi Orchestre achève ainsi sa mue démocratique – Leonard Bernstein, qui voulait faire des musiciens ses « potes », triomphe par K.-O. du tyran vénéré Toscanini. Enfin et par conséquent, la place est libre. Un collectif symphomane guidé par Notre Baguette Laurence Equilbey dénonce depuis dix ans « un réel déséquilibre, une réelle injustice ». Fini ! La Finlandaise Susanna Mälkki, qui a gouverné l’ensemble intercontemporain au début du siècle, dirige maintenant les philharmoniques de Vienne, de Berlin et de partout. En 2016, la Lituanienne Mirga Gražinytė-tyla a conquis Birmingham, ancien fief de la superstar Simon Rattle. L’année dernière, la Nancéenne Nathalie Stutzmann a pris du galon en Irlande et en Norvège tandis que la Romaine Speranza Scappucci gagnait Liège. En octobre, la Néozélandaise Gemma New devenait « première invitée » du Dallas Symphony, et l’opéra de Bâle nommait l’estonienne Kristiina Poska. Chaque semaine un poste en vue change de sexe. Dégage, maestro qui n’a de toute façon pas attendu la vengeance des copines pour choir du Valhalla. Bienvenue, maestra. Merci qui ? Merci Mitou. •