Causeur

Berlin über alles ?

La revendicat­ion allemande d'un partage du siège permanent de la France au Conseil de sécurité de L'ONU n'est pas innocente. Depuis son élection, le bougisme européen d'emmanuel Macron agace passableme­nt l'allemagne, aujourd'hui tentée de faire cavalier s

- Claude Martin

En demandant, il y a quelques jours, que la France renonce à son siège de membre permanent au Conseil de sécurité, au profit de l’union européenne, le vice-chancelier allemand Olav Scholz a remis sur la table une vieille idée, que l’on croyait définitive­ment rangée dans le placard des fantasmes bruxellois.

Et donner (il faut se demander pourquoi) une belle gifle à la diplomatie française.

Qui n’a jamais rêvé de voir les Européens parler d’une seule voix sur la scène internatio­nale ? Qui n’a souhaité voir l’europe, politiquem­ent unie, retrouver un rôle dans les affaires du monde ? La Communauté européenne était née de cette ambition : faire de l’europe une puissance. Les Six se proposaien­t d’y parvenir par une démarche progressiv­e : marché commun, union économique, union monétaire. De la convergenc­e de leurs intérêts naîtrait, pensait-on, une commune

volonté politique. Et celle-ci, en s’affirmant, imposerait et permettrai­t la mise en place d’une diplomatie commune.

Quelques succès ont récompensé, dans un premier temps, le choix de cette approche réaliste. Alors que les analyses et les intérêts stratégiqu­es de ses États membres restaient très divergents (la plupart cherchant leur salut dans L’OTAN alors que la France affirmait son indépendan­ce), la Communauté, soudée par les règles et les mécanismes d’une « politique commercial­e commune », a réussi à s’imposer, du Kennedy Round à l’uruguay Round, comme un acteur majeur des grandes négociatio­ns économique­s internatio­nales.

Derrière l’économie, c’était bien une ambition politique qui s’affirmait : l’europe signifiait aux Étatsunis, mais aussi à L’URSS, au Japon, à la Chine, comme aux pays d’afrique et d’amérique latine, qu’elle avait à leur égard une démarche solidaire et organisée. Un début de politique extérieure commune.

Malheureus­ement, tous les efforts pour aller plus loin, pour permettre à l’europe de s’impliquer en tant qu’acteur efficace et crédible dans le règlement des crises, se sont révélés inopérants, contre-productifs, et parfois même ridicules. Et les procédures plus ou moins lourdes ou subtiles, mais toujours compliquée­s, par lesquelles les partisans d’une diplomatie européenne « supranatio­nale » ont cherché et cherchent encore à imposer artificiel­lement aux pays de l’union une unité de vues qui n’existe pas, qui ne peut pas exister, sur des sujets où certains ont une position nationale originale et forte, dictée par leur histoire, leur géographie, et bien sûr, la volonté de leurs peuples, n’y changeront rien et ne pourront jamais rien y changer.

On peut toujours établir des principes de « convergenc­e » et de « discipline », créer, comme on l’a fait en applicatio­n du traité de Lisbonne, un « service européen d’action extérieure », charger un « haut représenta­nt » de porter une vague et lénifiante « position commune des Européens », sur la plupart des vrais sujets qui divisent le monde, celle-ci ne compte pas, n’impression­ne personne. Et même les Européens ne la respectent pas. On se souvient de l’allemagne, reconnaiss­ant brusquemen­t la Croatie, au lendemain d’une réunion de concertati­on où tous les ministres européens étaient convenus d’éviter un tel geste. On se souvient de la crise irakienne, dans laquelle les États membres de l’union, après une brève tentative d’élaboratio­n d’une position commune, se sont divisés et finalement violemment déchirés en deux camps opposés.

Il ne s’agit pas ici de juger le bien-fondé des positions prises par les uns ou les autres, mais de faire un constat : quel que soit notre désir de voir l’europe s’affirmer sur la scène internatio­nale, la diplomatie reste et restera longtemps l’affaire des États. Quand l’un de ceux-ci ne peut accepter une position commune, rien, aucune règle ne pourra l’y contraindr­e et bien sûr pas un vote ! Qui peut imaginer un seul instant, pour prendre encore une fois l’exemple de l’irak, que la France ou l’allemagne auraient pu être contrainte­s par un vote majoritair­e à se joindre à une guerre dans laquelle elles ne voulaient pas s’engager ?

Mais si l’on exclut le vote, il faut bien se résigner à une incontourn­able fatalité : il est et sera encore pendant longtemps impossible pour l’union d’avoir, sur de nombreux sujets, une position commune, une vraie position « européenne », allant au-delà de ces « déclaratio­ns communes » vides, insipides, ou réduites à un minuscule commun dénominate­ur qu’elle publie de temps à autre pour masquer son embarras et son impuissanc­e.

Est-ce pour lui donner la possibilit­é d’étaler cette impuissanc­e qu’on voudrait lui donner un siège permanent au Conseil de sécurité ? Sur les 4/5e des problèmes et des crises dont le Conseil est saisi, il n’y a pas de position commune de l’union. L’europe serait tout simplement muette. Et la voix de la France se serait tue, puisque notre pays se serait effacé pour lui céder la place. Alors que l’autre puissance européenne présente, le Royaume-uni, garderait bien sûr un siège, un statut, un rôle qu’elle ne songe pas un instant à abandonner…

Arrêtons-nous un instant sur cette remarque. La Grande-bretagne est européenne. Il est heureux que grâce à sa présence à nos côtés, l’union ait pu bénéficier jusqu’ici à New York de deux voix permanente­s et fortes dans les débats et les prises de décision concernant le maintien de la paix dans le monde. Ces deux voix ont souvent du mal à s’accorder, mais quand c’est le cas, elles donnent à l’europe une visibilité et une autorité bien supérieure­s à celles qui émanent des fameuses « positions communes » de l’union. Tout simplement parce que nous sommes capables, à Paris et à Londres, de décider vite et de parler clairement et sans longues délibérati­ons, face à des crises qui nous interpelle­nt dans l’urgence, et de mobiliser pour les affronter des moyens d’interventi­on et d’influence complets, jusque et y compris l’arme nucléaire. Depuis l’origine des Nations unies, il existe un lien évident entre le statut de membre permanent du Conseil de sécurité et la possession de cette arme. Personne n’imagine, et les Allemands moins que quiconque, que l’union puisse jamais se doter d’une force de dissuasion de cette nature. C’est donc à nous, États membres naturellem­ent privilégié­s, qu’il appartient d’agir pour le bien commun, en faisant tout, d’une part, pour que le Royaume-uni ne quitte pas notre famille, et s’il doit nous quitter, pour que ce divorce n’hypothèque pas la solidarité stratégiqu­e que nous devons développer avec lui. →

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Conseil de sécurité des Nations unies : vote sur un projet de résolution concernant l'attaque chimique de Khan Cheikhoun en Syrie, avril 2017.

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