Causeur

Pacte de Marrakech Non contraigna­nt toi-même !

- Régis de Castelnau

Le 10 décembre, 150 États dont la France ont signé le pacte de Marrakech sur les migrations. Théoriquem­ent non contraigna­nt, ce document onusien qui fait de la migration un droit de l'homme et pénalise toute critique de l'immigratio­n pourrait bien peser sur le droit français. Car nos juges constituti­onnels et administra­tifs sont friands d'acrobaties juridiques pour créer des normes en faisant fi de la démocratie.

De très vives polémiques se sont déroulées en Europe à propos d’un texte émanant de L’ONU. Nommé « pacte de Marrakech », parce qu’il devait faire l’objet d’une signature solennelle le 10 décembre dans la ville marocaine, le document n’avait fait l’objet d’aucune communicat­ion préalable permettant de vraiment s’en faire une idée. Et comme c’était prévisible, en plein mouvement des « gilets jaunes », cette initiative destinée à présenter les processus migratoire­s massifs comme souhaitabl­es a provoqué une levée de boucliers. Une partie de la presse et les réseaux s’en sont donné à coeur joie, et les protestati­ons ont fait rage sur les ronds-points.

Six pays de L’UE ont préféré se retirer : l’autriche, la République tchèque, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne et la Slovaquie. Les accusation­s habituelle­s de populisme, de xénophobie, voire pire, ont fusé pour condamner cette abstention et qualifier ceux qui s’opposent à ce texte. Sa lecture fastidieus­e est pourtant édifiante au regard des objectifs qu’il affiche. Comme l’affirment ses promoteurs, le document propose une lecture positive des migrations, qui permettrai­ent un enrichisse­ment mutuel des pays et des population­s. Et tant pis si ce n’est manifestem­ent pas l’opinion des peuples des pays d’accueil. Pour tenter d’éteindre l’incendie, les bien-pensants ont brandi un argument à leurs yeux imparable : celui du caractère juridiquem­ent non contraigna­nt du pacte pour les pays signataire­s. C’est simplement une plaisanter­ie.

Le pacte de Marrakech est l’aboutissem­ent d’un processus ouvert par la Déclaratio­n de New York pour les réfugiés et les migrants du 19 décembre 2016, votée à l’unanimité par l’assemblée générale des Nations unies. En dehors des défaillanc­es précitées, il a bien été approuvé lundi 10 décembre 2018 à Marrakech (Maroc), devant les représenta­nts d’environ 150 pays réunis en conférence intergouve­rnementale. Prenant acte des migrations comme conséquenc­e heureuse de la mondialisa­tion, au travers d’une liste de 23 « objectifs pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », il propose finalement de faire du droit à la migration un droit de l’homme, et souhaite enclencher un processus devant déboucher sur la disparitio­n des citoyennet­és nationales au profit d’une citoyennet­é mondiale. Or, sur l’ensemble de la planète, les peuples se cabrent contre cette évolution dont ils ne veulent pas. Et font de la question migratoire une question politique majeure de la vie démocratiq­ue. La France n’y échappe évidemment pas, résultats électoraux et études d’opinion montrant que le peuple français perçoit de plus en plus les vagues migratoire­s comme une menace.

L’argument principal avancé par les défenseurs de ce texte consiste donc à expliquer qu’il s’agit d’une pétition de principe sans aucune valeur normative obligatoir­e. Voyons pourquoi ce n’est pas recevable.

Certes, le pacte n’est pas un traité ou une convention. Il n’a donc pas vocation à entrer directemen­t dans l’ordre juridique national, comme ont pu le faire les traités européens ou la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ce cas, pourquoi vouloir à tout prix signer un voeu pieux ? Eh bien, tout simplement, parce que ce n’est pas le cas. Parmi les 23 objectifs que les signataire­s s’engagent à mettre en oeuvre, les deux tiers pourraient donner lieu très rapidement en France à des évolutions juridiques qui les rendraient obligatoir­es, en particulie­r avec l’assemblée nationale issue des élections de 2017, qui a toutes les caractéris­tiques d’une chambre d’enregistre­ment caporalisé­e. Examinons l’objectif numéro 6 : « Favoriser des pratiques de recrutemen­t justes et éthiques et assurer les conditions d’un travail décent. » Doit-il permettre d’instaurer une préférence à l’embauche des migrants, avec des quotas, comme c’est déjà le cas, et à juste titre, pour des travailleu­rs handicapés ? L’assemblée nationale actuelle en est tout à fait capable. Dans un pays où il y a 6 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres, on imagine l’acceptabil­ité sociale d’une telle mesure et les troubles qu’elle pourrait entraîner. L’objectif 17 ensuite invite à « éliminer toutes les formes de discrimina­tion et encourager un débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues. » C’est clairement un appel à une propagande publique en faveur d’une orientatio­n politique dont les couches populaires ne veulent pas. Et à une répression des positions divergente­s. Que des tribunaux zélés ne manqueraie­nt pas d’appliquer.

En effet, même si le phénomène est peu connu, l’ordre juridique national est désormais à la merci d’un pouvoir judiciaire devenu particuliè­rement actif. Notre pays est doté de pas moins de quatre cours suprêmes. Toutes, outrepassa­nt leur rôle, s’autorisent à imposer des interpréta­tions maximalist­es du droit tout en délivrant des cours de morale intempesti­fs – qui vont généraleme­nt à l’encontre de ce qui est souhaité et décidé par le peuple. Nous avons le Conseil constituti­onnel, la Cour de cassation, le Conseil d’état, sans oublier la Cour des comptes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nos magistrats n’ont pas froid aux yeux quand il s’agit de tordre le droit et d’oublier qu’ils statuent au nom du peuple français. La haute fonction publique judiciaire n’a plus besoin pour complaire au pouvoir politique de recevoir des ordres. Pour des raisons politiques, idéologiqu­es et sociologiq­ues, elle s’est auto-instituée en source de droit supérieure à celles de la loi. Elle fera de même avec le pacte de Marrakech.

Prenons, par exemple, l’annulation par le Conseil constituti­onnel de la loi réprimant l’aide aux migrants clandestin­s par les passeurs de la nouvelle traite humaine. L’astuce cette fois-ci a consisté à intégrer au « bloc de constituti­onnalité » le terme « fraternité », issu de la devise de la République, et à lui donner une valeur constituti­onnelle ! On voit mal le Conseil s’abstenir d’acrobaties du même genre quand il s’agira de faire plaisir aux belles âmes immigratio­nnistes. Le Conseil d’état, pour sa part, a largement montré, tant dans ses rapports que ses arrêts, son zèle en faveur de l’immigratio­n irrégulièr­e. Quant à la Cour de cassation, elle pourra continuer à étendre à l’infini la répression de la « discrimina­tion », comme elle le fait déjà depuis quelques années grâce à son interpréta­tion de l’article 225-1 du Code pénal.

Le texte du pacte se révélera ainsi une source d’inspiratio­n invoquée à tout propos dans des décisions qui s’inscriront immédiatem­ent dans l’ordre juridique.

Le fonctionne­ment du dispositif de production normative en France est devenu aujourd’hui le moyen d’imposer un droit qui n’est plus national, et encore moins issu de l’expression souveraine du peuple français. Nous en avons pris l’habitude avec le droit européen. L’utilisatio­n du pacte de Marrakech en sera une nouvelle illustrati­on. Un droit supranatio­nal étroitemen­t articulé avec un système économique, celui de la mondialisa­tion néolibéral­e, va une fois de plus peser sur notre ordre juridique interne. Donc sur notre destin collectif. •

 ??  ?? Discours d'angela Merkel à la Conférence intergouve­rnementale pour l'adoption du Pacte mondial sur les migrations, Marrakech, 10 décembre 2018.
Discours d'angela Merkel à la Conférence intergouve­rnementale pour l'adoption du Pacte mondial sur les migrations, Marrakech, 10 décembre 2018.

Newspapers in French

Newspapers from France