Causeur

La violence policière est légitime

Face aux débordemen­ts de certains « gilets jaunes » et à la violence croissante des casseurs, les forces de l'ordre exercent le monopole de la violence physique légitime en protégeant civils et commerces. Sous le feu des critiques et la surveillan­ce des c

- Hadrien Desuin

Macron déchaîne la répression » : ce titre, donné à une vidéo du Media TV, résume la journée du samedi 8 décembre sur les Champs-élysées. Le journalist­e qui commente les images regrette dès les premières minutes que les masques et lunettes de plongée soient saisis à l’occasion de fouilles de sac et de préfiltrag­es. Comme on pouvait s’y attendre, le reporter revient longuement sur les « violences policières » et fait l’impasse sur les casseurs qui saccagent les avenues de Paris le soir même. À chaque mouvement social, surtout s’il est violent, les forces de l’ordre sont accusées, au choix, de brutalité gratuite, d’incompéten­ce ou de manipulati­on. Quand on ne parle pas tout simplement d’état policier et de dictature capitalist­e. Tel témoin a reconnu des policiers en civil, casqués, armés et sans brassard (on n’infiltre pas des casseurs avec un brassard apparent...). Tel autre a vu une vitrine se briser sans que la police n’intervienn­e. L’arc de Triomphe a été saccagé, mais ce n’est pas le fruit du hasard : « S’il y a des incidents, la responsabi­lité en incombe d’abord au gouverneme­nt qui ne bouge pas... », explique Jean-françois Barnaba, figure des « gilets jaunes » et fonctionna­ire sans activité depuis des années.

Ces commentair­es que l’on retrouve ad nauseam sur les réseaux sociaux, les forces de l’ordre y sont habituées et n’y font presque plus attention. Elles font leur travail : l’exercice du « monopole de la violence légitime », pour reprendre l’expression forgée par Max Weber. La critique est facile tandis que le commandeme­nt est un art difficile. Le civil, qui n’a pas toujours fait son service militaire, ne réalise pas combien il est compliqué de faire manoeuvrer des troupes, combien il est lent de coordonner des appuis-feu et du soutien logistique avec des jeunes recrues, du stress et de la fatigue accumulés. Il faut ensuite supporter l’exploitati­on médiatique d’un dérapage isolé, le plus souvent des « baqueux » (brigades anticrimin­alité ou BAC), plus habitués aux interpella­tions vigoureuse­s dans les quartiers difficiles qu’à la gestion d’une grande manifestat­ion politique.

Autre lieu commun entendu ici et là : le policier ou gendarme n’est pas responsabl­e de la répression, car il obéirait à des ordres incendiair­es ou à des stratégies politicien­nes à trois bandes. En réalité, les unités disposent dans l’action d’une autonomie certaine : plus c’est compliqué sur le terrain et plus les salles de commandeme­nt ont du mal à diriger les unités qu’elles ne connaissen­t pas toujours. Dans l’urgence, le réseau radio et téléphoniq­ue est saturé. Malgré les caméras, les autorités n’ont d’autre choix que de faire confiance aux commandant­s de la troupe pour assurer le rétablisse­ment de l’ordre du mieux qu’ils peuvent. L’acte IV a été mieux géré que l’acte III parce que les forces de l’ordre avaient plus de liberté d’action. L’attention des autorités a pu se concentrer sur le traitement médiatique de l’événement plutôt que sur telle ou telle manoeuvre dans une rue adjacente. Le ratio journalist­e/émeutier étant parfois égal ou supérieur à un, il faut savoir communique­r rapidement.

Certes, les petits commerçant­s ont le sentiment d’être abandonnés, car l’attention des forces de l’ordre est focalisée sur les violences aux personnes. Mais on ne pourra jamais placer un effectif devant chaque devanture. Cela n’exclut pas les remises en question. Les militaires de la gendarmeri­e agissent à visage découvert et ont l’habitude de rédiger des rapports qui sont autant de justificat­ions ou de « retours d’expérience » (retex) sur la façon de faire de la foule et les nouvelles tactiques pour s’y adapter. En plus des blindés, des canons à eau et des dispositif­s de « retenue du public » (grands murs dépliables en plexiglas), les expériment­ations se sont multipliée­s : déploiemen­ts de drones, d’hélicoptèr­es, de chiens, de motos, de chevaux. Équipés de protection­s, ces derniers pourraient être encore plus efficaces contre des casseurs si le cavalier avait des moyens de coercition adaptés. Pour le moment, sa mission principale est de dissuader et renseigner.

La mission est d’autant plus difficile que l’opposant en colère est disparate et désorganis­é. Le « gilet jaune » le plus pacifiste, qui n’a pas conscience de participer à un attroupeme­nt puni par la loi, est entraîné ou mêlé à des militants radicaux qui s’attaquent au pouvoir public, voire au mobilier urbain et aux commerces. Enfin, profitant du désordre, se trouvent les pillards, le plus souvent des petits délinquant­s de banlieue. Ils viennent casser et voler en fin de manif, par simple plaisir de détruire ou de s’enrichir. La racaille salit la légitime colère d’une manifestat­ion pacifique. Mais personne ne leur a demandé de venir, ni les organisate­urs ni les autorités.

Face à cela, les forces de l’ordre doivent faire respecter la loi, y compris celle qui encadre leur action dans le Code de la sécurité intérieure (CSI). En France, la technique la plus répandue est la diffusion de gaz lacrymogèn­e (grenade à main ou propulsé en tir courbe à 50, 100 ou 200 mètres). Un produit qui, lorsqu’il est concentré, interdit à la foule indiscrimi­née toute action autre que celle de sortir du nuage le plus vite possible. Mais l’émeutier s’adapte. Il est de plus en plus équipé pour y résister. Il a parfois une raquette de tennis pour renvoyer les petits plots de lacrymogèn­e CM6 vers le tireur de lance-grenade « Cougar ». Effets pernicieux dans les espaces confinés et urbains : le nuage de fumigène peut empêcher les policiers et gendarmes de constater une dégradatio­n, un caillassag­e ou une voiture mise à feu. Mais c’est un produit qui reste incontourn­able pour disperser une manifestat­ion qui dégénère en insurrecti­on.

Pour dégager un adversaire particuliè­rement coriace, il existe par ailleurs deux types d’armes privilégié­s : le lanceur de balle de défense (LBD, parfois appelé « Flash-ball ») et la grenade assourdiss­ante de type F4, progressiv­ement remplacée par la GM2L. Non létales, ces armes sont très dangereuse­s si l’émeutier est touché à la tête ou ramasse la grenade. Dans la précipitat­ion et la confusion du mouvement de foule, tirer juste n’est pas si simple. Il faut donc les manipuler avec précaution.

La tendance est aujourd’hui à la judiciaris­ation du maintien de l’ordre. On demande de plus en plus aux troupes de filmer et documenter les exactions et surtout d’interpelle­r. La bataille des images a été cruciale à Notre-dame-des-landes. Mais une interpella­tion avec remise à OPJ (officier de police judiciaire), suivie d’une garde à vue est particuliè­rement consommatr­ice de temps et de moyens. Quant à la réponse pénale, elle est finalement assez peu dissuasive.

Quoi qu’il en soit, la plus petite des bavures est redoutée pour une raison très simple : ceux qui reprochent aux forces de l’ordre de manipuler les casseurs contre le peuple ne supportent pas non plus qu’on les mette à genoux. •

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Paris, 8 décembre 2018.

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