Un mois de samedis
L’effet de surprise, c’est la règle numéro un d’une bonne révolution à la française. Sur ce point, les « gilets jaunes » avec leurs chasubles sans manches n’ont pas déçu, Castaner en sait quelque chose. C’est à un drôle de dialogue entre le pouvoir et le peuple que nous avons assisté en cette fin d’automne. Un dialogue qui a fait fi de toute règle, tout en réactivant les traditions, les images et les pratiques d’une histoire conflictuelle. D’une réglementation contraignante imposant un gilet fluo dans chaque voiture, les damnés du gazole ont fait leur étendard. Dans un Paris vidé de ces classes intermédiaires, où la voiture est un signe extérieur de pauvreté, ils sont entrés, d’abord doucement puis, samedi après samedi, comme une déferlante, tandis que le public découvrait le dimanche les déprédations – ou dévastations – occasionnées par leur passage. Ces manifestants déambulant plus qu’ils ne défilaient ont utilisé toute la panoplie des supports : slogans, graffitis, barricades, tout ce qui pouvait faire une bonne image y est passé. En face, on s’est adapté : visitessurprise des ministres, lacrymo en abondance, charges de CRS, blindés, interpellations en masse de dangereux détenteurs de lunettes de piscine, parole du chef à la télévision, sans oublier la voirie et propreté de Paris en action pour remettre le décor en place avant une nouvelle représentation. Un mois de samedis. Le 17 novembre, place de la Concorde, nous étions venus voir la fin d’un épiphénomène né sur les réseaux sociaux d’un ras-le-bol de ces Français qui roulent en bagnole. En dix minutes, ne soyons pas radin, en 22, les CRS avaient fait remonter du Rond-point des Champs-élysées jusqu’à l’étoile la petite foule des « gilets jaunes » qui essayaient de bloquer la circulation au royaume du baron Haussmann. Le 24 novembre, les Parisiens furent donc tout surpris de voir la police débordée et s’excuser d’avoir été prise de court dès potron-minet par un groupe d’hyperactifs. Puis, les 1er et 8 décembre, les Parisiens, avec un attentisme digne de juin 40, se sont terrés pour attendre l’arrivée des barbares venus de nos provinces. Motards en colère, petits artisans aux fins de mois impossibles, vieille garde du GUD, mélenchonistes ravigotés, anticapitalistes sur le retour et casseurs opportunistes se sont offert le pavé parisien toute la journée. À défaut d’une cause commune, chacun faisait preuve de bienveillance pour celle du voisin. Ce conglomérat de mécontents avait le vent en poupe et, pourtant, une semaine plus tard, le 15 décembre « il n’y avait déjà plus personne ! », aurait pu proclamer Jalons. Début d’un changement de fond ou fin ultime d’une jacquerie contre le nouveau monde ? À mi-chemin entre Jules Michelet et Pierre Bellemare, l’historien de 2030 nous comptera peut-être l’extraordinaire histoire des « gilets jaunes ».
Pour l’heure plongée dans les manifestations de ces dernières semaines. •