Causeur

CINQUANTE NUANCES DE JAUNE

Employée de Bercy, sympathisa­nt black bloc ou militant de gauche, ils ont défilé dans les rues parisienne­s vêtus de chasubles fluo. Rencontre avec ces derniers de cordée.

- Par Rachel Binhas

Nathalie* fait partie de ses mères célibatair­es qui peinent à joindre les deux bouts. À 45 ans, cette employée au service logistique de Bercy a hésité à manifester : « J’ai eu peur que cela me porte préjudice au travail, d’ailleurs je n’en ai parlé à personne ! » Ses trois adolescent­s l’ont accompagné­e à chaque rassemblem­ent des « gilets jaunes ». Les 1 400 euros nets ne suffisent pas à boucler les fins de mois, mais Nathalie ne demande pas d’aides sociales : « Ce que je réclame, c’est un salaire décent pour élever mes enfants. » Chez elle, pas de déception à l’égard de Macron, elle n’a jamais cru en lui. Depuis plusieurs années, cette habitante de Vitry-sur-seine assume un tropisme frontiste : « J’ai voté Marine Le Pen aux dernières élections. » « Patate douce » est le nom de scène de ce membre des black blocs. Sec et musclé, il a laissé tomber capuche et masque pour distribuer des conseils aux « gilets jaunes » peu coutumiers des manifestat­ions. Il explique aux employés de bureau comment réagir face aux mouvements de foules ou se protéger des bombes lacrymogèn­es. Peu concerné par les revendicat­ions sociales, Patate douce justifie sa présence place de l’étoile par la volonté d’aider les manifestan­ts. Si les adeptes du black bloc sont rodés à la casse, il assure n’avoir fait preuve d’aucune violence les samedis de décembre. « Lors du G20, l’objectif clairement affiché était de casser, mais pas lors des rassemblem­ents des “gilets jaunes”. » Avant d’affirmer : « J’ai aidé une mère avec son enfant en poussette ainsi que des personnes âgées à se sortir d’un nuage de gaz lacrymogèn­e. Il m’est même arrivé de ranger le mobilier d’un hôtel. » Trop jeune pour voter lors des dernières élections, Patate douce admet avoir été séduit par le candidat Macron, « car il n’est pas nationalis­te comme les autres ». Libraire à Paris, Jeanne est une habituée des samedis des « gilets jaunes ». Avec ses amis, elle défile pour la souveraine­té du peuple et la justice sociale. « C’est un peu conceptuel, ce ne sont pas des revendicat­ions précises, et ça nécessiter­ait une rupture radicale avec la politique actuelleme­nt menée », reconnaît cette quadra. Elle a voté Mélenchon au premier tour des élections présidenti­elles avant de s’abstenir au second, malgré la pression de ses amis pour qu’elle fasse barrage au Front national : « Je ne regrette rien, au contraire. Je suis soulagée de ne pas m’être rendue coupable de “ça”. » Selon elle, la suite du bras de fer se jouera à Bruxelles, puisque « l’état d’urgence économique et sociale » décrété par Macron va creuser le déficit public de la France. « Que va faire la Commission européenne, qui a déjà retoqué le budget de l’italie ? Et comment Macron l’européiste va-til réagir ? » s’interroge Jeanne. Et de conclure : « Je suis heureuse que les gens sachent que, désormais, on peut faire plier le gouverneme­nt par l’action collective. Nous ne sommes pas près de l’oublier. » * Tous les prénoms ont été modifiés.

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Paris, 1er décembre 2018.

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