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Claire O'petit, députée LREM : « Je comprends le ras-le-bol des Français »

Ex-commerçant­e, la députée LREM de l'eure Claire O'petit est l'une des rares grandes gueules de la majorité. Celle qui présente le profil sociologiq­ue des « gilets jaunes » dénonce la déconnexio­n entre certaines élites parisienne­s et le quotidien des clas

- Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur. En tant que députée La République en marche (LREM) très présente sur le terrain, avez-vous vu venir le mouvement des « gilets jaunes » ?

Claire O'petit. Je n’ai pas cette prétention. Néanmoins, avant même le déclenchem­ent de la crise, je sentais un grand mécontente­ment. L’été dernier, sur les marchés, dans les vide-greniers et lors de mes permanence­s, tout le monde me parlait de la limitation à 80 km/h de la vitesse autorisée sur les petites routes. Et le plus inquiétant, c’était le décalage entre deux visions des choses : à Paris, le gouverneme­nt s’est justifié au nom de la sécurité, car cela évite des morts, mais nous n’avons à aucun moment débattu de la portée sociale de cette mesure. Quand on fait 60 km par jour pour aller travailler, cinq minutes supplément­aires de transport compliquen­t considérab­lement la vie. Il suffit d’un impondérab­le qui fait perdre du temps, oblige à accélérer pour se retrouver flashé par un radar. Chaque excès de vitesse vaut un point de permis et un PV de 45 ou 90 euros. C’est déjà ça en moins sur le pouvoir d’achat ! Quand vous avez perdu deux ou trois points, vous craignez de perdre votre permis et de ne plus pouvoir aller travailler. L’augmentati­on des taxes carbone n’a fait qu’enflammer la colère qui couvait.

Vous venez d'un milieu modeste et votre parcours de vie ressemble à celui de nombreux « gilets jaunes ». Si vous n'étiez pas députée, auriez-vous occupé un rond-point ?

Je n’aurais pas été sur un rond-point ni participé à une manifestat­ion non déclarée. Au cours de ma vie, j’ai participé à des grèves et des mouvements sociaux sans jamais enfreindre la loi ni faire usage de violence ou dégrader des biens. Cela dit, je comprends la détresse et le ras-le-bol des Français qui n’en peuvent plus. Après l’adoption des 80 km/h, nous étions quelques députés de la majorité à voir que cela ne passait pas en province. Nous avons aussi fait remonter au sommet le mécontente­ment des retraités. Au départ, même

nous, les élus, n’avions pas compris que la hausse de la CSG toucherait des retraites aussi basses ! Pendant la campagne présidenti­elle, il ne nous a jamais été expliqué qu’un couple de retraités, avec une femme touchant une pension de 500 euros par mois et le mari 1 200 euros, allait être affecté par la hausse de la CSG.

Au-delà de la fracture économique et sociale, on a le sentiment d'un fossé culturel entre les parlementa­ires LREM et la France périphériq­ue. Partagez-vous ce constat ?

Oui. Au point que j’ai pensé quitter le groupe parlementa­ire, bien que je soutienne encore à 100 % le programme d’emmanuel Macron. Il faut dire que je ne me sens pas écoutée ni respectée par certains. Cela s’explique peut-être par le fait qu’au sein de LREM, nous ne nous connaissio­ns pas, exactement comme les « gilets jaunes » ! Reste une phrase du président que je garde constammen­t en tête : « Je veux que les Français à la fin de mon mandat vivent mieux qu’au début. »

C'est mal parti…

Ne le croyez pas. Beaucoup de choses ont été faites. Dans un premier temps, le gouverneme­nt a choisi de favoriser le maintien et l’implantati­on des entreprise­s en France afin de créer des emplois. Cela n’a pas empêché certaines erreurs de communicat­ion, qu’ont notamment commises de jeunes députés LREM qui passaient dans les médias en enjoignant aux retraités : « Certes, vous gagnez moins, mais pensez à l’avenir de vos petits-enfants… » Si j’avais entendu mon petitfils de 30 ans bien coiffé dire cela à la télévision, je lui aurais mis mon pied au cul !

À quels autres signes voyez-vous que la plupart des élus, notamment LREM, sont déconnecté­s de la base ?

Certains députés partagent une permanence avec d’autres sociétés, comme s’ils étaient une start-up ! Dans ces conditions, comment voulez-vous recevoir des citoyens qui veulent vous parler de leurs difficulté­s avec l’administra­tion ? Chaque semaine, je reçois au moins une vingtaine de Français qui ont des problèmes avec une banque ou les services sociaux. Ils ne viendraien­t sûrement pas s’exprimer si j’accueillai­s des sociétés dans la même pièce. D’autres députés ont une permanence cachée au fond d’une cour que personne ne connaît. Il m’a été dit que certains n’avaient même pas encore de permanence, un an et demi après leur élection !

Revenons au fond de la question sociale. Les annonces présidenti­elles (annulation de la taxe carbone, 100 euros de plus sur le SMIC, baisse de la CSG pour certains retraités) suffiront-elles à calmer la tension ?

Emmanuel Macron a eu le ton, la gravité et l’empathie nécessaire­s. Pour bien connaître notre président, je peux vous assurer qu’il a entendu les « gilets jaunes ». Il a fait le maximum possible dans la limite des contrainte­s financière­s. Au quotidien, il se bat pied à pied pour obtenir les 100 euros de hausse du SMIC, ainsi que la prime de fin d’année des entreprise­s aux salariés. Certains salariés ont obtenu jusqu’à 1 000 euros de prime, bien que ce ne soit pas facile pour les PME. Les employés des petites entreprise­s n’ont rien en dehors des congés payés obligatoir­es, ni tickets restaurant, ni primes spéciales… Certes, toutes ces annonces ne suffisent pas à apporter une réponse de long terme. Mais ce n’est que le début d’une grande négociatio­n. À cette fin, le président a créé les conditions favorables à l’ouverture d’un débat social de trois mois avec chaque corporatio­n. Il faut absolument qu’un consensus raisonnabl­e émerge.

Votre parti est-il en mesure de participer à ces négociatio­ns ?

À l’heure actuelle, LREM n’est pas structuré pour le faire. Au départ, Christophe Castaner a été élu délégué général. Il devait y rester. Mais après sa nomination Place Beauvau, des responsabl­es travaillan­t au siège, très structuré politiquem­ent, ont été nommés dans différente­s administra­tions. Ce noyau-là nous manque cruellemen­t. Le nouveau délégué général, Stanislas Guerini, n’est absolument pas en cause. C’est un problème de quantité. Je pense à ces députés qui n’ont pas été élus au sein du parti, mais nommés à des postes de vice-président. Ils prennent la grosse tête et perturbent la mise en place de cette direction.

Dans son discours, le président a évoqué la question migratoire et la laïcité. Il doit donc savoir que la revendicat­ion des « gilets jaunes » concerne tout un mode de vie. Jusque-là, il incarnait le camp des ouverts, des modernes, face aux populistes à l'esprit étroit. Doit-il devenir un peu populiste ?

Populiste, non. Cela reviendrai­t à flatter les Français, à les faire rêver et à proposer des actions qui, si elles étaient appliquées, conduiraie­nt notre pays à la ruine. Les populistes sont des irresponsa­bles. Par contre, on peut rester progressis­te sans pour autant oublier les classes les plus populaires. Ça, notre président le sait très bien. Par ailleurs, notre mouvement doit entamer sa mue pour se transforme­r en un mouvement de masse qui lui permettra de s’inscrire durablemen­t dans le paysage politique. Au sein du groupe LREM, je compte impulser la création d’un pôle populaire et rural pour éviter des déconnexio­ns futures avec la réalité. •

« Certains députés LREM partagent une permanence avec d'autres sociétés, comme s'ils étaient une start-up ! »

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Claire O'petit est députée LREM de l'eure.

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