Causeur

Margrethe, l'autre dame de fer

La commissair­e européenne à la concurrenc­e Margrethe Vestager a eu raison de s'opposer au projet de fusion Alstom-siemens. Elle entend également frapper au porte-monnaie les mauvais payeurs que sont Apple et Google. Résultat, elle est tricarde à Bruxelles

- Jean-luc Gréau

Le séisme qui a secoué le paysage de la bureaucrat­ie européenne ce mois de février devrait rester dans les annales. La commissair­e à la concurrenc­e, Margrethe Vestager, vient de se heurter de front aux deux premières puissances économique­s en Europe, coalisées pour faire avancer un projet de fusion entre Alstom, inventeur du premier TGV, et son grand concurrent européen, Siemens. Comment une modeste fille de pasteurs danois, issue de la périphérie de l’europe, a-t-elle pu défier Angela Merkel et notre Jupiter, en bloquant inconditio­nnellement le projet ? Ignore-t-elle qu’ils sont les hérauts de l’europe en voie d’intégratio­n et dotés, par-là, d’une pleine légitimité ?

Elle ne fait là qu’aggraver son cas déjà pendable. En effet, cette décision, qui intervient quelques semaines avant le renouvelle­ment de la Commission – qui aura lieu au lendemain du scrutin européen du 26 mai –, se situe dans le sillage de deux autres : frapper au portemonna­ie Apple et Google, l’un pour un arrangemen­t douteux avec le gouverneme­nt irlandais, l’autre pour abus de position dominante.

Le cas d’apple est de la plus grande simplicité. En établissan­t son siège européen à Dublin, la firme américaine bénéficiai­t légalement d’un taux d’imposition des bénéfices des plus favorables : 12,5 %. Mais ses dirigeants sont allés au-delà, négociant des conditions particuliè­res et ramenant son impôt au taux effectif de 1 % ! Certains esprits candides suspectero­nt les Irlandais qui ont accordé des conditions aussi désavantag­euses pour le Trésor public de vénalité. Soit. Mais l’irlande, frappée par l’une des plus grandes faillites de l’histoire économique – 68 milliards d’euros pour une population de 4,5 millions d’habitants – a fait de la sous-imposition des entreprise­s étrangères un système. Elle accueille en particulie­r de grands laboratoir­es pharmaceut­iques nord-américains qui profitent d’une taxation bien plus faible qu’au Canada et aux États-unis. Son objectif caché est de permettre le transfert sur son territoire de la valeur ajoutée et des profits réalisés sur d’autres territoire­s. Le PIB irlandais, artificiel­lement gonflé, donne un gage de bonne santé aux financiers­1. Cette falsificat­ion, car c’en est une, est l’une des clefs du rétablisse­ment du crédit de notre partenaire.

Quoi qu’il en soit, malgré la défense sans scrupules de leurs intérêts par les politiques de Dublin, la sévère Margrethe a jugé qu’apple avait franchi les bornes contraigna­nt la firme à la pomme à verser rétroactiv­ement les sommes dues en applicatio­n du taux de 12,5 %.

Après Apple, Google. Son cas nous fait entrer dans les arcanes de la concurrenc­e sur internet. Cet autre monstre avait en effet restreint l’accès de ses concurrent­s à son système d’opération Android. Or, la concurrenc­e des firmes du net suppose que les concurrent­s puissent s’appuyer sur certains éléments créés par d’autres entreprise­s du même secteur, tandis que l’étanchéité est de mise pour la production de produits comme les avions de ligne ou les automobile­s. Google a ainsi été frappé d’une amende de 4,3 milliards d’euros sur laquelle il a engagé une procédure d’appel.

En revanche, le projet de fusion entre Alstom et Siemens devait passer comme dans du beurre. Il incarnait cette volonté affichée à Paris de créer des « champions européens2 ». Le gouverneme­nt allemand n’y faisait pas obstacle sans montrer pour autant, chose étrange, le même enthousias­me que le français. Or, coup sur coup, l’organe de la concurrenc­e allemand, puis la Commission européenne ont opposé leur veto à la fusion. Un

projet emblématiq­ue de la relance du tandem francoalle­mand, qui a dominé la campagne présidenti­elle du chouchou de nos médias, est ainsi tombé à l’eau, au moment même où les démêlés de notre gouverneme­nt avec les gilets jaunes donnent à notre partenaire allemand de solides raisons de ne pas s’engager dans l’aventure de l’intégratio­n européenne avec un partenaire qui vacille. Dans cette perspectiv­e, le traité d’aixla-chapelle, signé en janvier dernier, doit être considéré comme un acte d’allégeance de la France vassalisée à son suzerain allemand. Ni plus, ni moins. Le projet de fusion qui donnait la majorité de 51 % à Siemens dans la nouvelle entité témoigne au demeurant de notre vassalisat­ion.

Contrairem­ent à ce que pense le choeur des indignés, la décision de Margrethe Vestager semble justifiée. D’un côté, en attendant l’hypothétiq­ue concurrenc­e chinoise, la nouvelle entreprise de constructi­on de matériel ferroviair­e aurait dominé très concrèteme­nt le marché européen des TGV et des trains classiques. D’un autre côté, comme en témoignent leurs carnets de commandes3, Siemens et Alstom sont suffisamme­nt costauds pour vendre leurs produits sur les autres marchés du monde. On voit d’emblée que le caractère symbolique de l’opération l’emportait sur sa nécessité économique. On devrait se réjouir de l’échec de la fusion à deux titres. Premièreme­nt, la France conservera une entreprise majeure, contrairem­ent à la volonté du gouverneme­nt « français » : les trains à hydrogène qu’alstom a mis à l’essai, et qui intéressen­t l’allemagne et les Paysbas, pourront être réalisés chez nous. Deuxièmeme­nt, la fusion aurait contraint à verser 1,6 milliard d’euros de dividendes exceptionn­els aux actionnair­es d’alstom, dont 560 millions pour Bouygues, en applicatio­n d’une décision du conseil d’administra­tion de l’entreprise française, selon le principe « Take the money and run ». Son abandon protégera sa trésorerie.

La juste rigueur avec laquelle la commissair­e danoise a traité les dossiers Apple, Google et surtout Alstom a pour conséquenc­e de la fragiliser : à Bruxelles, on tient son départ pour acquis. Ses conviction­s européenne­s, voire européiste­s, importent moins que son manque de docilité face aux intérêts économique­s et financiers. Intellectu­ellement lucide, elle s’est montrée politiquem­ent candide. •

1. Le PIB représente la somme des valeurs ajoutées des entreprise­s sur le territoire concerné. 2. Rappelons cependant qu'airbus, contrairem­ent aux règles de la concurrenc­e européenne depuis l'entrée en vigueur du marché unique, n'entre pas dans cette catégorie. 3. Plus de huit années pour Alstom.

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