Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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Prochaine parution : le 3 avril 2019

Mercredi 13 (février) pas de pourboire, les billets sont gratuits, on est entre pros et en direct sur France 3. Victoires de la musique classique. Ne pas confondre avec les Victoires de la musique, décernées cinq jours plus tôt. Entre musique classique et musique, il y a un océan. Ni Atlantique ni encore moins Pacifique. L’océan Lexique. Dans classique, il y a ique. Mais d’abord il y a classe.

Renaud Capuçon, nouveau Menuhin qui lui ressemble de plus en plus, efface la frontière d’un coup d’archet en hommage à Michel Legrand, et d’une phrase : « Je me demande toujours pourquoi on dit musique classique, c’est de la musique tout court. » Ah ? Interroge n’importe qui, bon chevalier Renaud, dans la rue, au bureau, à la préfecture. Longtemps que la musique n’est plus l’« art des sons » que dit le dictionnai­re. Rock ou rap, Souchon ou Rihanna, ça s’en va et ça revient, c’est fait de tout petits riens, ça se chante et ça se danse et ça revient ça se retient comme une chanson populaire.

La musique classique ? Des non-chansons impopulair­es qui se dansent pas, se retiennent pas, sentent le Chanel et prennent le thé chez les Guermantes. Bye bye Frédéric Lodéon, gilet jaune des violons pendant plus de quinze ans : ce soir, les deux animatrice­s ont le sourire inquiet des nonnes en civil. En civil, façon de parler. Leïla Kaddour, ex-joker de Laurent Delahousse sur la 2, a mis sa robe du soir, truc en plumes blanches moins Lac des cygnes que look de mouette. La belle collection­ne les mots d’excuse. À propos du pianiste Lang Lang : « On peut être un artiste de renom et avoir des références très populaires » (c’est elle qui souligne). Plus tard à propos d’un trio de Schubert : « Vous connaissez cet air, rassurez-vous, il a servi de bande son au film de Kubrick Barry Lyndon » (c’est elle qui resouligne). Ou encore un adagio de Mozart : « Moi, il me donne envie d’être amoureuse », sous-entendu les trésors sont à tout le monde, même aux nouilles. N’empêche. Amazone sport chez Delahousse, marquise à plumes chez les classiques. Le classique l’a classée.

On ne peut d’ailleurs pas lui reprocher grand-chose, à la princesse Leïla. Elle récite avec entrain le credo du prompteur : « Cette soirée sera placée sous le signe de la jeunesse, de la transmissi­on et du partage. » Pour le partage, nous repasseron­s. Ce défilé d’artistes entre deux jets, à peu près tous de la même agence et chez le même éditeur (« Je remercie mon agent, J. T., et mon éditeur, A. L., qui m’ont fait une confiance incroyable, etc., etc. »), sonne froid. Comme l’orchestre. Un chef guindé sémaphoris­e au radar, loin des solistes pour cause de caméra volante. Donc, partage bof. Transmissi­on ? Bof itou : 1 148 000 téléspecta­teurs, 138 000 perdus depuis l’année dernière qui faisait déjà moins que 2017 et ainsi de suite. En dialecte local : 6,4 % de parts de marché, une misère. Jeunesse ? Là oui ! Insolente jeunesse. Voix et guitare : les deux « révélation­s » rivalisent de panache. Victoire de l’art lyrique pour Stéphane Degout le bien nommé, baryton du ciel et de la terre qui phrase long comme un violoncell­e, large comme Victor Hugo. Et « air des bijoux » de Faust décastafio­risé par Elsa Dreisig, soprano qui monte qui monte à 27 ans. La classe, Elsa. La vraie classe. Tout ça filmé sur l’île Seguin à Billancour­t, hier usines Renault, aujourd’hui Seine musicale. Vous tôliez ? j’en suis fort aise, eh bien ! chantez maintenant. •

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