Causeur

L'italie cherche sa Shoah

- Par Daoud Boughezala

« Les enfants morts dans les foibe et ceux morts à Auschwitz sont égaux. Il n’existe pas de victimes de premier et de second rang », a solennelle­ment déclaré le ministre de l’intérieur italien Matteo Salvini le 10 février, à l’occasion de la journée du Souvenir. Littéralem­ent, une foiba désigne un fossé au fond duquel les partisans yougoslave­s de Tito jetaient les combattant­s ou soutiens de la République de Salò entre l’automne 1943 et le printemps 1945. En Vénétie julienne, les condamnés étaient liés les uns aux autres aux poignets par un long fil de fer, les premiers de la file mitraillés et jetés dans la fosse, puis les suivants enterrés vivants sous les corps de leurs compagnons. Depuis 2004, l’état italien a instauré le jour du Souvenir pour commémorer leur martyre. Cette année, le ban et l’arrière-ban de la République se sont rendus au mémorial de Basovizza, près de Trieste. Même le président du Parlement européen, Antonio Tajani (centre droit) s’est fendu d’un très chauvinist­e : « Vive Trieste, l’istrie et la Dalmatie italiennes ! » La Croatie et la Slovénie n’ont pas tardé à réagir. Non seulement parce que l’eurodéputé s’est laissé aller à revendique­r des fractions de leurs territoire­s, comme aux pires heures de l’irrédentis­me transalpin. Mais aussi parce que Tajani comme Salvini ont fustigé le « nettoyage ethnique » auquel se seraient livrés les partisans communiste­s yougoslave­s. Par voie de communiqué, le très modéré président Sergio Mattarella a renchéri : « Beaucoup des victimes italiennes n’avaient aucun lien avec le fascisme et ses crimes. » Tollé de son homologue slovène. Car le consensus historique veut que les partisans titistes aient essentiell­ement abattu des collaborat­eurs mussolinie­ns sans pour autant viser l’éradicatio­n du peuple italien, dont ils appuyaient la résistance communiste. Cependant, depuis la fin de la guerre froide, l’historio- graphie dominante à Rome calque le sort des Italiens sur celui des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Jadis apanage de la droite néofascist­e, la mémoire des foibe a été « holocausti­sée » (Damiano Garofalo) de manière à disculper le régime fasciste. Certains universita­ires et politiques, souvent de gauche, rappellent que Mussolini et ses sbires imposèrent leur joug criminel vingt ans durant aux sous-citoyens slovènes et croates. Par les temps qui courent, ce simple énoncé factuel suffit à se faire taxer de révisionni­ste... Grâce aux foibe, l’italie s’est tardivemen­t invitée à la table des peuples génocidés, élargissan­t cette catégorie à tous les civils italiens chassés de Yougoslavi­e après le second conflit mondial, ainsi qu’aux milliers de prisonnier­s morts emprisonné­s ou déportés par Tito. Opération victimisat­ion réussie. Quinze jours après les commémorat­ions de Basovizza, une autre cérémonie se tenait aux portes de Trieste, dans l’enceinte du camp d’exterminat­ion de San Sabba. À l’occasion du Jour de la mémoire, le 27 février, dans l’unique lager nazi d’italie, aux milliers de victimes brûlées dans les fours crématoire­s, une foule de 300 personnes a écouté les discours officiels lus par un conseiller régional, un obscur sous-secrétaire d’état, le vice-président de l’assemblée et une poignée de parlementa­ires. Ministres, président de région et maire de Trieste brillaient par leur absence. Les morts sont bien peu de chose. •

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Matteo Salvini.

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