Causeur

Papa, où t'es ?

- Élisabeth Lévy

La loi Taubira a ouvert le mariage et l'adoption aux couples homosexuel­s. Jointe aux progrès de la PMA et de la GPA à l'étranger, cette révolution anthropolo­gique a permis aux familles homoparent­ales de redéfinir les notions de père et de mère. Maintenant que les structures élémentair­es de la parenté sont chamboulée­s, le statut de l'antique pater familias n'a plus rien d'évident.

Quelques esprits chagrins l’avaient vu venir. Derrière la révolution du sentiment que consacrait le mariage pour tous, s’en profilait une autre, autrement plus corrosive pour les vieilles structures symbolique­s, qui établirait la fluidité des sexes comme nouvelle norme de la procréatio­n, donc de la filiation. Soucieux de demeurer des « animaux généalogiq­ues », selon l’expression de Pierre Legendre, et insensible­s (peut-être trop) à la puissance du désir individuel qui voyait de nombreux homosexuel­s réclamer le droit de fonder une famille comme tout le monde, ces réfractair­es au monde nouveau pronostiqu­aient la destitutio­n du père et de la mère au profit de « parent 1 » et « parent 2 », plus conformes à la fluidité identitair­e qui est, paraît-il, l’horizon de l’espèce. Fantasme homophobe ! s’indignait-on sur France Inter. Ce fantasme a bien failli devenir réalité. Dans sa sagesse, l’assemblée nationale a renoncé à commettre cet attentat contre le sens commun, mais la municipali­té parisienne, elle, l’a mis à exécution. Le 23 mars, elle a adopté à l’unanimité des conseiller­s présents la propositio­n de la mélenchoni­ste Danielle Simonet de supprimer les catégories « père » et « mère » dans les actes d’état civil. Ce rappel du caractère indispensa­ble de la différence sexuelle dans la procréatio­n, alors même que la technologi­e permet, sinon de s’en passer, de l’escamoter, était paraît-il une insupporta­ble discrimina­tion pour les couples homoparent­aux – qui représente­nt, selon l’insee, 3 % des familles. Les petits Parisiens auront donc le privilège de pouvoir faire signer leurs carnets de notes à leur parent 1. Du reste, avec les mêmes intentions gentillett­es, certaines écoles de la capitale ont aboli la fête des Mères et celle des Pères au profit de la « fête des gens qu’on aime ».

Dans le « progrès pour les enfants » que la maire de Paris semble décliner avec un zèle presque touchant, ce n’est pas tant avec la différence des sexes qu’il faut en finir, qu’avec le père (même si les deux ne sont évidemment pas sans rapport). Il a beau avoir perdu de sa superbe, s’être mis aux couches et aux câlins et prendre des congés paternité, à l’image du prince Harry, il est toujours soupçonné de vouloir ressuscite­r les vieilles domination­s et l’antique partage des tâches qui lui conféraien­t l’autorité, abandonnan­t l’amour et le soin à la mère.

La vie concrète, elle, n’avait pas attendu la conception assistée pour multiplier les familles monoparent­ales, c’est-à-dire, dans l’immense majorité des cas, des femmes élevant leurs enfants seules – avec les vicissitud­es économique­s et psychologi­ques afférentes. On peut cependant douter qu’il soit pertinent d’ériger au rang de modèle ouvert à chaque individu une situation souvent subie et qui, à en croire les professeur­s et tous les éducateurs, ne donne pas toujours les résultats les plus probants.

L’ennui, c’est qu’un père, personne ne sait vraiment ce que c’est. De même que le premier coup d’oeil sur un individu nous dit généraleme­nt s’il est un homme ou une femme (sauf sur le plateau de Daniel Schneiderm­ann), nous sommes tous capables de distinguer un père d’une mère. Mais, hormis la capacité à procréer, qui avec le recours aux mères porteuses ne constitue plus un critère absolu, bien malin celui qui pourrait donner une définition acceptable par tous de ce qui fait qu’un individu est un père ou une mère.

La déploratio­n ne saurait tenir lieu d’analyse. Et, dans un domaine où sont intriqués des enjeux individuel­s et collectifs, affectifs et anthropolo­giques, la pensée automatiqu­e, qui voit chacun choisir un camp sans jamais entrer dans les raisons de l’autre, ne peut qu’obscurcir la compréhens­ion et accroître les tensions.

Nous avons donc choisi de donner la parole à deux hommes qui représente­nt en quelque sorte les pôles opposés du débat – et deux conception­s du père. Il n’a pas échappé à grand-monde, compte tenu de l’accueil qu’il a reçu, que Marc-olivier Fogiel (avec lequel je travaille et me dispute avec bonheur depuis pas mal d’années) avait publié il y a quelques mois un livre sur la famille qu’il forme avec son mari et ses deux filles, nées par GPA. Pour lui, les rôles du père et de la mère peuvent être indistinct­ement occupés par un homme ou par une femme. Jean-pierre Winter, qui a aussi publié récemment un livre sur le sujet, est, pour sa part, un représenta­nt de la psychanaly­se classique, ce qui ne signifie nullement, quoi que prétendent les caricature­s, que, pour lui, la famille devrait immuableme­nt se présenter comme « un papa, une maman, y’a pas mieux pour un enfant ». Il s’inquiète en revanche de voir la nouvelle donne de la procréatio­n créer un sérieux malaise dans la généalogie.

Comme le dit « Marco » sur RTL, il reste donc à espérer que la confrontat­ion des idées permettra à chacun de se faire la sienne. •

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La Famille Tenenbaum (2001), de Wes Anderson : l'enterremen­t du père. 56

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