Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Prochaine parution : le 7 mai 2019

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Une musique plus musicale que les autres, c’est la musique de chambre. Ni acrobatie comme le récital de piano, ni baratin comme l’opéra, ni raffut comme Mahler ou la techno. Ni Kleenex comme la chanson ni tiroir-caisse comme la pop. Ni rien. Des notes qui racontent des histoires de notes.

Quelqu’un disait : « Gelée royale de la musique. » (Le reste étant le miel, on présume.) Peu avare de métaphores culinaires, Proust aimait mieux « refrains oubliés du bonheur ». La Sonate de Vinteuil ne lui fichait pas moins le bourdon que « ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines ». (Hum ! « l’odeur du fer du coiffeur » que lui chante le violon !), surtout cette « petite phrase » de la sonate où le dandy Swann retrouve « ce qui de ce bonheur perdu avait fixé à jamais la spécifique et volatile essence ». Humons.

Cette musique-là s’en va. Qui joue des sonates pour violon à la maison ? Qui en écoute même ? Au concert, combien d’âmes ont encore la patience d’aller « où l’indécis au précis se joint » ? (Après Proust, Verlaine. Sûr que ce n’est pas dans ces éthers que le lecteur découvrira le pays réel.) Fleurissen­t de par le monde, et en ce moment beaucoup en France, des quatuors à cordes fantasmida­bles, mais l’auditoire grisonne et s’éparpille. Musique de musiciens, la musique de chambre perd son ancien public, déprime le nouveau, ses trésors brillent dans des salles clairsemée­s.

C’est en tout cas ce que craint le violoncell­iste Jérôme Pernoo, concepteur et animateur du Centre de musique de chambre de Paris, nom austère d’un machin tout le contraire d’austère1. Le public se fane parce qu’il manque de soleil et de purin ? Donnons-lui les deux. Le Centre a élu domicile salle Cortot, près de Malesherbe­s, à Paris. Son principe : nourrir, chauffer. Oeuvre unique à 19 h 30, première audition de bébés compositeu­rs (Freshlycom­posed) et, à 21 h, spectacle. Vrai spectacle avec scénario, vidéo, tableaux, plein à voir sans aucune diversion. Récemment, le Centre donnait ainsi corps à la Gran Partita qui n’est pas le truc le plus facile de Mozart, entrait dans l’oreille malade de Beethoven et dans la tête de Tchaïkovsk­i. Un enfant peut suivre, un pro s’émerveille­r.

Jérôme Pernoo, il faut dire, a de qui tenir. Son mentor, Yves Petit de Voize, fondait avec lui, il y a plus de vingt ans, le Festival de Pâques de Deauville2, vivier d’à peu près tout ce qui compte au royaume de la chambre. Ici, rien à voir de plus sensationn­el que la salle Élie de Brignac où le reste de l’année les pas-du-tout-giletsjaun­es viennent acheter leurs pur-sang. La musique pure comme au temps où on aimait ça, sans spectacle, mais aussi fraternell­e que salle Cortot, et aussi variée du violon à la percussion, du quatuor à cordes au quatuor vocal, de Haydn à Xenakis, du fameux Brahms à l’obscur Cornelius, jusqu’à la Passion selon saint Jean de Bach, qui n’est pas de chambre mais bon, c’est Pâques. Ici comme là en tout cas, gelée royale à la portée de tous. •

1. « Boeuf de chambre », le 6 avril (finale de la saison avec « Rien que des surprises ! »). Détails et infos ici : www.centredemu­siquedecha­mbre.paris 2. 23e Festival de Pâques, du 20 avril au 4 mai. Rendez-vous là : musiqueade­auville.com ; ou là : 01 56 54 14 80.

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