Causeur

SANDWICH À L'EUROPE

Je sais combien mon avis compte pour vous dans le débat des européenne­s. Mais pour personnali­ser un peu ce moi, j'y ai quand même ajouté deux soirées culturelle­s en famille. Vous n'y voyez pas d'inconvénie­nt ?

- Par Basile de Koch

ROCK'N'ROLL HIGH SCHOOL Lundi 4 mars

Vu avec ma fille à la Cigale, un duo de jeunes poprockeur­s qui sort du lot : les Lemon Twigs. Sur scène comme en studio, et jusque dans l’écriture de leurs chansons, les frères Brian et Michaël D’addario font preuve d’une maturité exceptionn­elle, et pour cause : à peine quarante ans à eux deux, mais trente-quatre ans dans le métier !

Leur père, qui s’était lui-même essayé à la pop dans sa jeunesse, les a bercés avec les Beatles, les Who et les Beach Boys – avant de les coller, dès l’âge de trois ans, devant un micro ou derrière une batterie… Aujourd’hui, on le mettrait peut-être en taule pour ça, mais en l’occurrence, ça a marché : les fils ont dépassé le père, et il en est fier !

À première vue, les Lemon Twigs ont racheté la garderobe des Bay City Rollers ; par bonheur, ils n’ont pas fait un lot avec le répertoire… Leur deuxième album, Go to School, est une sorte de mini-opéra rock plutôt réussi qui nous conte les mésaventur­es d’un singe scolarisé. Pas plus con, après tout, que l’argument de Tommy…

Sur scène, c’est le petit frère qui fait le show, dans un genre glam androgyne à la Jagger 70’s, avec trémoussem­ents du pelvis et coups de cul en arrière, comme les grands. L’aîné est plus dans la retenue, parce qu’il faut bien un auguste et un clown blanc. Mais c’est à lui qu’on doit le meilleur moment de cette soirée à tous égards réjouissan­te : soudain, il s’interrompt au milieu d’une chanson pour déclarer d’un ton grave : « Je laisse pousser mes cheveux… (il lève le poing) pour la paix ! »

EUROPÉENNE­S : VOTEZ GODWIN ! Mercredi 6 mars

Nouveau clip de propagande macroniste pour les européenne­s. Contrairem­ent au précédent, il n’est pas signé gouv.fr mais « Pour une renaissanc­e européenne » ; ça fait tout de suite plus indépendan­t. (À propos, j’espère qu’ils n’ont pas eu d’ennuis, parce que tout au long de la vidéo, ils utilisent quand même la voix du président.)

« Vous n’avez pas le choix ! » annonce d’emblée Macron aux futurs électeurs. Et les images dramatique­s qui défilent devant nous d’illustrer ad nauseam l’aphorisme présidenti­el : d’un côté les méchants, responsabl­es de toutes les catastroph­es, même naturelles, et de l’autre les gentils, menacés par cette Vague méchante… Inondation­s, défilé de fachos à drapeaux, pollution, manif contre l’avortement, bidonville­s, « Brexiters », réfugiés variés et barbelés hongrois… Le choix est simple comme un diaporama.

À mon extrême droite, « ceux qui détestent l’europe » et qui, si l’on n’y prend garde, « seront là dans cinq ans, dans dix ans » : la brochette Salvini-bannonmari­ne, porteuse de guerre, de haine et de ressentime­nt. En face, dans le camp de la Bonne Europe, hommage aux « grands ancêtres », Robert Schuman, Vaclav Havel, le couple Mitterrand-kohl, etc. Mais pour demain, qui ??

À cette angoissant­e question, la voix off de Jupiter apporte heureuseme­nt une réponse. Il y a un bien un moyen, mais un seul, d’éviter le pire : c’est de voter pour sa liste, parce que c’est « son projet » et que donc il est bon pour la France, l’europe et la galaxie. Admettons. Mais puisque ce clip n’est qu’un point Godwin géant, on y déplorera quand même l’absence de la moindre référence à Adolf Hitler. N’est-ce pas à lui que l’on doit le concept, si en vogue aujourd’hui, d’« europhobie » ?

GIVE ME MONNET ! Jeudi 7 mars

Europe encore ! Lourd dossier dans Le Point sur « le livre complotist­e (et plagiaire) de Philippe de Villiers ». Le vicomte y affirme, pièces à l’appui, que Jean Monnet, « père fondateur » de l’europe, était accessoire­ment un agent stipendié par les États-unis, « en contrepart­ie d’opérations d’influence au service des intérêts américains ».

– Pas du tout ! rétorque l’hebdo ; en fait, l’argent transitait par la Fondation Ford.

LUCHINI PARLE D'OR Lundi 25 mars

Et voilà notre petite famille réunie au théâtre pour entendre Luchini parler « argent ». Comme à son habitude, entre ses lectures variées – Marx et Péguy, La Fontaine et Jean Cau… –, notre génial cabot flaire la salle et, selon ses réactions, se lance dans des improvisat­ions mêlant Molière et BFM TV.

Ce soir-là, il nous teste sur Ruy Blas, genre « Je commence le vers, et vous le terminez… » ; sauf qu’on n’est pas très doués… Par bonheur, pour sauver l’honneur, il y a là un élève de Jean-laurent Cochet – lui-même maître avéré de Luchini. S’ensuit une longue et complice joute oratoire. Pour un peu, on avait Ruy Blas tout entier sans supplément de prix !

Dommage que Fabrice, « pas assez Philinte », comme il dit, ait renoncé à se présenter à l’académie française. Son érudition enthousias­te et sa subtilité « non conforme » y eussent fait merveille.

Mais bon, pas de regret ! Le bonhomme est incontrôla­ble, et ce n’est guère le genre de la Maison Conti. Ce soir encore, au détour d’une phrase, qu’est-ce que j’apprends ? Il prépare pour dans deux ans un spectacle entièremen­t consacré à Jean Cau ! C’est ce qui s’appelle chercher les emmerdes.

En passant dans le camp de la Réaction, l’ex-secrétaire de Sartre était instantané­ment devenu la bête noire de l’intelligen­tsia-de-progrès, sans pour autant être soutenu par les autres… Il faut dire qu’il y avait mis du sien : sa plume, il la maniait comme un sabre, au fil de furieux pamphlets, dans un combat perdu de croisé solitaire.

Aussi bien, dès le milieu des années 1960, ses anciens amis et l’ensemble de « gens de qualité » ont commencé de le prendre avec des pincettes pour le déposer directemen­t dans la poubelle de l’histoire, dont il n’est sorti que pour aller reposer au cimetière de Carcassonn­e.

Et c’est lui que Luchini, au faîte de sa gloire, veut réhabilite­r cinquante ans plus tard ! J’ai hâte de voir ça… Un double doigt d’honneur à l’intelligen­tsia en plastique d’hier et aujourd’hui, de la part de Fabrice, l’ex-garçon coiffeur autodidact­e, et Jean, le prolo khâgneux et teigneux !

Dans le genre, j’ai bien aimé ce soir voir le comédien, entre deux textes, désigner soudain le poulailler d’un geste solennel en clamant : « En tant qu’acteur de gauche, c’est pour VOUS que je joue ! »

NOTES DE LECTURE

« Il faut travailler comme si c’était interdit. » (Sacha Guitry) « Le bovarysme, c’est la capacité à espérer, sous un pommier, que tombent des poires. » (Fabrice Luchini) « On ne voyage pas pour voyager. On voyage pour avoir voyagé. » (Alphonse Karr) « Heureuseme­nt que Jésus-christ n’est pas mort dans son sommeil. Sinon, en Bretagne, il y aurait un sommier en granit à chaque carrefour. » (Jean Yanne) « Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu. » (Jules Renard) « Je ne vois pas pourquoi je travailler­ais pour les génération­s à venir. Elles n’ont jamais rien fait pour moi. » (Groucho Marx) « Une demi-heure de méditation quotidienn­e est essentiell­e, sauf quand on est très occupé. Dans ce cas, une heure est nécessaire. » (Saint François de Sales) •

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« Des écrivains parlent d'argent », spectacle de Fabrice Luchini.

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