Causeur

LES VAUTOURS DE CHRISTCHUR­CH

Est-il bien raisonnabl­e de laisser un cinéaste déraisonna­ble commenter chaque mois l'actualité en toute liberté ? Assurément non. Causeur a donc décidé de le faire.

- Par Jean-paul Lilienfeld

« Pas d’amalgame » m’a toujours semblé la phrase clef, l’escroqueri­e initiale – d’ou le nom de cette chronique. Cette injonction m’énervait tellement que, malgré mon naturel pacifique, je lui avais accolé le sous-titre « Sauf dans tes dents ».

De quoi était-il question ? De l’islam bien sûr. « Les patrons, tous des salauds » ou « Les vieux, ces gâteux » ne font pas bondir grand-monde. En réalité, la plupart des « Zemmoukiel­krautiens », que l’islam effraie ou indispose pour cause d’islamisme, s’abstiennen­t de confondre un musulman et sa religion. Beaucoup d’entre eux estiment que le problème pourrait venir, sauf votre respect, excusez-moi de vous demander pardon, du Coran qui, étant incréé, ne peut être par définition ni abrogé ni même arrondi aux angles. En général, même ceux qui n’aiment pas l’islam (ce qui est un droit) considèren­t que le croyant, en revanche, est avant tout un être humain susceptibl­e de s’abstenir du pire.

J’évoque là des discours ayant pignon sur rue, n’ignorant pas que chaque individu est capable d’être un âne raciste à titre personnel, surtout dans un pays où l’industrie de l’andouille se porte à merveille. S’agissant des faits, toujours têtus, les juifs tués et les églises profanées arrivent fièrement devant les violences faites aux mosquées.

À titre personnel, je pense que ce sont les hommes et non les textes qui sont coupables lorsqu’ils choisissen­t de suivre à la lettre un texte violent, anti-tout ce qui ne suit pas ses injonction­s. Il est de bon ton de dire qu’en matière de prescripti­ons meurtrière­s, toutes les religions se valent. C’est factuellem­ent faux, mais peu importe. Là n’est pas la question. Force est de constater que, quelle que soit la teneur du texte sacré de chaque religion, qui est à contextual­iser, ni le judaïsme ni le christiani­sme ne s’en servent en 2019 pour légitimer des actes immondes. Aucun juif, aucun chrétien n’entend conquérir la planète pour la dévouer à « son » Dieu. Surtout, quelle organisati­on structurée a commis ces dernières décennies de multiples attentats criminels au nom de la Torah ou des Évangiles ? Les juifs et les chrétiens ont-ils brandi leurs livres pour se justifier de décapitati­ons, de lapidation­s, d’enlèvement de jeunes filles ou de marché aux esclaves ?

Après l’attentat terroriste de Christchur­ch, qu’il est doux d’entendre tous ceux qui me font l’honneur d’avoir le titre de ma chronique pour

mantra, pratiquer l’amalgame dans la seconde où ils se sentent concernés. À l’époque où je m’émerveilla­is (et me réjouissai­s) que ce type de massacre n’ait pas lieu plus souvent, monsieur Belattar déplorait certaineme­nt une disette d’arguments pour faire porter le chapeau aux suspects habituels.

Le 29 janvier 2017, première horreur dans une mosquée au Canada, six musulmans tués, 35 blessés. Et même pas un petit bisou du tireur à Zemmour lorsqu’il est arrêté.

Le 19 juin 2017, au Royaume-uni, une camionnett­e fonce dans la foule des fidèles qui sortaient d’une prière du ramadan : un mort et 12 blessés et aucune citation de Finkielkra­ut, l’ingrat !

Avec Christchur­ch, la mouche change enfin d’âne. L’occasion est trop rare pour ne pas tenter de l’exploiter. Alors, il accuse tranquille­ment Zemmour d’avoir fait tuer 50 personnes.

« Je ne vois pas pourquoi il serait plus inspiré par moi que par des actions qui ressemblen­t directemen­t à celle qu’il a commise », a répliqué Zemmour. Il serait rappeur, on dirait que c’est sa meilleure « punchline ». Implacable contreargu­ment.

Dans un très long texte, le tueur évoque comme catalyseur un voyage touristiqu­e en Europe au printemps 2017 où « l’état des villes françaises » l’aurait particuliè­rement accablé. « Pendant des années, j’avais entendu des histoires sur l’invasion de la France par les non-blancs, mais je pensais que c’était des rumeurs ou des exagératio­ns. Mais quand je suis arrivé en France, [...] j’ai vu que dans toutes les villes françaises, les envahisseu­rs étaient là. »

Il n’en fallait pas plus à l’ancien comique et à tous les Boniface du microcosme pour décréter que les intellectu­els qu’ils exècrent à longueur d’année étaient les inspirateu­rs directs du massacre. Car il est bien connu que le Néo-zélandais moyen lit chaque matin son réac en français dans le texte.

Pourtant, après avoir lu ce « manifeste », je n’y ai trouvé trace d’aucun de leurs noms. L’auteur y prétend que le déclic s’est fait lors de la visite d’un cimetière de soldats américains morts pour libérer l’europe envahie. « C’est là que je me suis dit que je passerais à l’action, à la violence. Que je me battrais contre les envahisseu­rs moi-même. » (Le tueur oublie que ces soldats dont il voulait honorer le sacrifice luttaient contre des fascistes et des racistes qu’il vénère probableme­nt.)

Mieux. Un peu plus loin on peut encore lire : « Y a-t-il une personne qui vous a radicalisé le plus ? »

On va enfin savoir qui est le coupable ! Finkie ? Renaud Camus certaineme­nt…

« Oui, la personne qui m’a le plus influencée est Candace Owens. Chaque fois qu’elle parlait, ses idées m’étonnaient et ses propres opinions me poussaient de plus en plus dans la conviction que la violence prévalait sur la douceur... »

Il est à noter que Candice Owen est… une jeune Américaine, activiste conservatr­ice, noire. Tout le portrait de Finkielkra­ut… Comme Jeanmarie Le Pen, qui s’intéressai­t plus à son cousin qu’à son voisin, monsieur Bellatar se soucie plus du massacre affreux de Christchur­ch que de celui, tout aussi horrible d’utøya, dont il n’a pas tiré des conclusion­s amalgamant­es sur la socialisto­phobie. (Ce sont de jeunes socialiste­s que Breivik avait tués.)

Dans ce « créneau », j’ai une suggestion qui rendrait son combat crédible et épargnerai­t des millions de vies. Il s’agirait de s’attaquer à un conflit millénaire qui a déjà fait plusieurs millions de mort parmi les musulmans : le chiisme contre le sunnisme.

Depuis qu’à la mort du prophète Mahomet, en 632, la question du successeur le plus légitime pour diriger la communauté des croyants s’est posée, on ne sait pas ce qu’est l’islam : sunnisme ou chiisme ? La guerre au Yemen, qui met aux prises, derrière les milices locales des deux camps, les deux grandes puissances rivales du Proche-orient, l’arabie saoudite et l’iran, donne toute la mesure de l’antagonism­e qui ensanglant­e la région depuis des siècles.

Elle ne se réclame d’aucun auteur français.

Elle est la répétition millénaire d’une rivalité meurtrière écrite noir sur sang.

Tant que Yassine Belattar ne se mobilisera pas contre cette boucherie, je continuera­i de penser que, pour lui, dénoncer les meurtriers qui l’arrangent compte beaucoup plus qu’épargner les vies d’innocents. •

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