Causeur

JEAN-FRANÇOIS COLOSIMO « CATHOPHOBI­E, NON, PERTE DE SENS DU SACRÉ, OUI »

- Propos recueillis par Erwan Seznec

Peut-on selon vous parler de « cathophobi­e » en France ?

Non. Cette idée relève d’une forme de concurrenc­e victimaire et de rivalité mimétique avec les juifs et les musulmans. Une frange identitair­e a pris cette option, mais son poids réel chez les catholique­s est inversemen­t proportion­nel à sa présence sur le terrain. Vous ne croisez pas dans les paroisses ces cathos identitair­es. Leur conception religieuse, muséale, est un repli sur le « blanc manteau d’églises » de la France millénaire – en oubliant au passage que nous devons les cathédrale­s à un mouvement de foi et pas à un souci de conservati­on du patrimoine.

Les catholique­s pratiquant­s sont néanmoins minoritair­es.

La France n’est plus seulement catholique, certes, mais elle est impensable sans le catholicis­me. Et c’est un chrétien orthodoxe qui vous le dit. Il y a une érosion de la pratique, mais le

catholicis­me garde une importance politique, économique et sociale qui n’a aucun équivalent dans les autres confession­s. Si demain les écoles, les maisons de retraite et les associatio­ns caritative­s d’inspiratio­n chrétienne­s et en premier lieu catholique­s cessaient de tourner, l’état français se trouverait face à un abîme budgétaire insurmonta­ble. Le catholicis­me garde également des réseaux médiatique­s tout à fait significat­ifs.

Comment expliquer selon vous la hausse impression­nante des atteintes aux lieux de culte chrétiens ?

Il y a un élément matériel. Le tissu catholique était très maillé [51 000 lieux de cultes catholique­s, en service ou non, au 4 janvier 2019, selon l’observatoi­re du patrimoine religieux, NDLR]. Il est touché par la désertific­ation des zones rurales. Des églises ferment et sont exposées au vandalisme. Il y a aussi, en parallèle, un effondreme­nt culturel en France, un climat de grande violence, une rupture sociétale. Une partie de la population est larguée et peut se tourner contre les lieux de culte, qui ont été désignés comme des cibles.

Par qui, et de quelle manière ?

Le vandalisme envers les églises, mosquées ou synagogues est le signe d’une perte du sens du sacré, qui a des racines profondes. Le statut du fait religieux est dévalorisé depuis très longtemps. Une mauvaise conception de la laïcité le réduit à un obscuranti­sme, sur fond de haine du passé et d’acceptatio­n de la violence. C’est la profanatio­n des tombeaux des rois de France à Saint-denis, en 17931.

Comment doivent réagir les catholique­s, selon vous ?

Un chrétien ne peut pas s’étonner d’être mal compris ou rejeté. Il y a, au fond, une relation antithétiq­ue entre l’église et le monde. Plus concrèteme­nt, quand le père Hamel est assassiné [à Saint-étienne-du-rouvray, 26 juillet 2016, NDLR], la Conférence des évêques appelle à accueillir les musulmans à la messe le dimanche suivant. Les pouvoirs publics sont tétanisés, redoutant des représaill­es, et c’est l’église qui assume le travail de paix civile. •

1. Jean-françois Colosimo revient dans son dernier livre sur cet épisode macabre de la Révolution française. Aveuglemen­ts, Le Cerf, 2018.

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Jean-françois Colosimo, historien, théologien, directeur des éditions du Cerf.

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