Causeur

La dictature du bénévolat

La Lutte des classes, de Michel Leclerc Sortie le 3 avril 2019

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Cela fait désormais huit ans que le cinéma de Michel Leclerc s’est installé dans le PCF (Paysage de la comédie française), avec notamment deux oeuvres emblématiq­ues, Le Nom des gens, en 2010 et Télé Gaucho, deux ans plus tard. Dans la première, l’héroïne (qui porte le même prénom, Bahia, que l’épouse et coscénaris­te du cinéaste, au cas où l’on aurait douté de l’implicatio­n des deux auteurs et de leur capacité à ne jamais voir plus loin que le bout de leur confort intellectu­el…) couche avec des hommes de droite pour les faire changer d’opinion. On apprécia en son temps la colossale finesse du propos et sa fausse provocatio­n lénifiante. Ce film-là illustre si formidable­ment la bien-pensance de gauche, dans son fond comme dans sa forme, qu’il a offert à Lionel Jospin son premier (et heureuseme­nt dernier) rôle au cinéma… Quant à Télé Gaucho, il était censé faire rire avec les mésaventur­es d’une poignée d’aimables (forcément…) gauchistes désireux de créer une télévision libre. Cette fois, avec son cru 2019, Leclerc a posé sa toile chez les bobos de Montreuil pour y dérouler la vie d’un couple d’artistes avec enfants (les prénoms ont été changés, mais la volonté d’autoportra­it demeure intacte, qu’on se rassure). Et c’est donc La Lutte des classes. On s’inquiète un temps, celui du générique de début, de la conversion du couple Leclerc au marxisme radical. Mais non, il s’agit juste de traiter sur le ton de la comédie le « problème » de la mixité sociale dans les écoles de Boboland.

Étrangemen­t, l’école et les profs sont régulièrem­ent mal traités par le cinéma français, comme si les cinéastes du juste milieu trouvaient dans le sanctuaire républicai­n l’exutoire idéal des échecs de la gauche au pouvoir. Chevènemen­t y est en général honni et Lang adulé. On y célèbre les élèves forcément incompris et sommés d’apprendre, victimes permanente­s et expiatoire­s de profs absolument incompéten­ts et faibles. Au tout début des années 1980, déjà, le PS au pouvoir se demandait sérieuseme­nt si les élèves seraient « heureux » à l’école, feignant de croire que l’enseigneme­nt pouvait aussi assurer le « bonheur », en plus du reste. Comme Leclerc est un vrai roublard, il fait semblant d’oublier que c’est à son propre camp que l’on doit le délirant pédagogism­e de ces vingt dernières années avec l’invention d’une novlangue de salle des professeur­s – puis de classe et de profs. Ce sera la seule petite concession d’un film correct en tout point. On sent à chaque ligne d’un scénario écrit à la hache que les auteurs déplorent le départ de Najat Vallaud-belkacem de la Rue de Grenelle.

Après le récent et calamiteux Damien veut changer le monde de Xavier de Choudens, tendance « Adopte ton petit réfugié », Michel Leclerc termine son film en apothéose multiculti. Son monde merveilleu­x du vivre-ensemble est sauvé de la destructio­n par

l’interventi­on d’une super-héroïne intégralem­ent voilée. Batman est ici remplacé par une Catwoman communauta­ire. Culpabilis­er les parents, stigmatise­r les profs, sanctifier les élèves, la sainte Trinité déployée par Michel Leclerc et sa coscénaris­te d’épouse sent à plein nez la prétendue chose vue ou vécue et sa petite dictature actuelle. Comme si le cinéma, la fiction et la comédie devaient se plier à la loi du marché de l’autofictio­n. À l’heure des gilets jaunes, on se fiche éperdument des petites crises existentie­lles d’un certain cinéma français dont le coeur balance entre Glucksmann et Hamon, c’est-à-dire entre le calme et le calme plat. À quand des comédies mordantes et iconoclast­es, comme celles que savait faire le cinéma italien dans les années 1970, si loin de cette Lutte des classes jamais drôle et souvent navrante ? Pendant ce temps, des réalités sociales explosives attendent avec impatience leur traduction sur grand écran. •

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la Lutte des classes, de Michel Leclerc.

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