Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

Le syndrome d'auckland

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Il fallait oser. Parmi les innombrabl­es farces et attrapes inventées par le féminisme à la sauce islamique pour faire passer les vessies de l’oppression pour les lanternes de l’émancipati­on, l’appel de Néo-zélandaise­s à porter un « hijab pour l’harmonie » – #headscarff­orharmony –, le 22 mars, en signe de solidarité avec les victimes de Christchur­ch, serait la plus comique si elle n’était pas doublement tragique : d’abord, parce qu’elle concerne l’épouvantab­le massacre de 50 fidèles musulmans perpétré une semaine plus tôt par un suprématis­te blanc, ensuite parce que cet appel à porter un signe ostentatoi­re d’inégalité des sexes est la manifestat­ion la plus criante du hara-kiri que se font les sociétés ouvertes pour rester conformes à la haute idée qu’elles se font d’elles-mêmes.

Ne croyons pas que ce désir de capitulati­on soit l’apanage de nos lointains cousins du Pacifique. Dans nombre de nos médias où, en prime, la sentimenta­lité la plus niaise interdit toute possibilit­é de distance, on s’est extasié avec les adjectifs de circonstan­ce sur les photos de blondinett­es et autres policières voilées. Quant à la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, son beau visage grave, coiffé d’un foulard, est devenu une allégorie de la tolérance et on répète ici et là qu’elle incarne « ce que les citoyens de toutes les démocratie­s sont en droit d’attendre de leurs dirigeants » – en ce qui me concerne, je préférerai­s pas.

Il faut s’interroger sur la significat­ion de ce geste par lequel des femmes prétendent montrer « leur rejet de toute forme de haine ». En réalité, arborer le hijab n’est pas une marque d’empathie, mais d’effacement, qui ne signifie pas « je vous comprends », mais « je suis vous ». En célébrant bruyamment cette merveilleu­se initiative, en déplorant de mille façons qu’elle soit impensable dans une France polluée par d’affreux populistes islamophob­es (évidemment responsabl­es du crime de Christchur­ch, comme ils l’étaient de celui d’utøya), le « parti de l’autre » abat ses cartes : le multicultu­ralisme qu’il a en tête pour accommoder les différence­s ne promet même pas une aimable égalité entre cultures – tu as ta minijupe, j’ai ma burqa. Pour montrer qu’elle a renoncé à ses vieux démons, l’europe doit se défaire de toute substance pour ne plus se définir que par l’ouverture. Conclusion d’alain Finkielkra­ut : « Pour expier ce qu’elle a de pire, l’europe sacrifie ce qu’elle a de meilleur » – en l’occurrence l’heureux commerce des deux sexes.

Cinquante ans après le joyeux « Nous sommes tous des juifs allemands » de Mai 68, nous en sommes donc à proclamer « Nous sommes tous des femmes voilées ». Telle est l’implacable marche du progressis­me qui n’est en l’occurrence que le prête-nom d’un relativism­e qui ne voit jamais les coupables que d’un seul côté – dont vient effectivem­ent le tueur de Christchur­ch. On imagine sans peine, mais avec un certain chagrin, ce que penserait Nasrin Sotoudeh du « Hijab Day » des Néo-zélandaise­s, si elle avait la chance d’en être informée. Malheureus­ement cette avocate iranienne, connue pour défendre les femmes qui osent se dévoiler dans son pays, a appris début mars, alors qu’elle était déjà incarcérée, sa condamnati­on à 38 ans d’emprisonne­ment et 148 coups de fouet par un tribunal de Téhéran.

En France, le voile est devenu l’étendard de ceux qui veulent nous faire marcher sur la tête et nous somment de renoncer, au nom du droit sacré des individus de faire ce qui leur plaît, à la liberté des femmes. Les ouvrages de Fatiha Boudjahlat et Jeannette Bougrab1 rappellent qu’il s’agit d’un piège mortel pour ce que nous appelons encore notre civilisati­on. Et montrent que la bataille n’est pas perdue. La loi, dira-t-on, n’interdit nullement de porter le voile dans l’espace public ou dans l’entreprise – sauf si le règlement intérieur établit une obligation de neutralité religieuse. C’est qu’il n’est pas question de loi, mais de moeurs. Ainsi quand un directeur de magasin refuse une candidate voilée pour un poste de vendeuse de frou-frou, il a peut-être juridiquem­ent tort (encore que ce n’est pas sûr). Il n’en exprime pas moins le sentiment largement partagé que ce foulard n’est pas très français.

Dans l’affaire du voile islamique de course, la fureur d’une grande partie du public (ainsi, malheureus­ement, que des menaces de boycott) a fait reculer Decathlon. Très remonté contre cette « hystérisat­ion » provoquée par les populistes, Yassine Belattar a appelé, pour le 13 avril, à un grand rassemblem­ent « pour la dignité », qui promet d’être une « Hijab Pride ». On ne sait pas cependant si l’animateur, humoriste (enfin il paraît), ami du président et porte-parole autoprocla­mé de la diversité française, aura le culot de s’y rendre. Le 26 mars, il a été placé en garde à vue pour avoir proféré des menaces de mort à l’encontre de Bruno Gaccio et de sa famille. Par écrit, le benêt, ce qui en dit long sur l’impunité dont il pensait jouir, campé sur l’accusation de racisme qu’il jette volontiers à la tête de ses détracteur­s quand il ne les traite pas carrément de meurtriers comme il l’a fait avec Éric Zemmour. En guise d’excuse, il a souligné qu’il n’était pas passé à l’acte. On respire. • 1. Fatiha Agag-boudjahlat, Combattre le voilement (préface d'élisabeth Badinter) et Jeannette Bougrab, Lettre aux femmes voilées et à ceux qui les soutiennen­t, tous deux parus récemment aux éditions du Cerf.

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