Causeur

Orsay, le modèle racisé

ORSAY LE MODÈLE RACISÉ

- Paulina Dalmayer

Jusqu'au 21 juillet, le musée d'orsay ouvre ses portes à l'exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse ». Dans une optique décolonial­e, les Blancs ayant jadis fait poser des Noirs y sont tancés pour racisme. Et les artistes africains contempora­ins portés aux nues.

Il y a beaucoup à dire sur l’exposition en cours au musée d’orsay, « Le modèle noir : de Géricault à Matisse ». L’ennui, c’est que ce qu’il convient d’en penser a déjà été dit et redit, avec emphase et félicitati­ons du jury, dans tous les médias progressis­tes : pour la première fois dans l’histoire d’une puissance postcoloni­ale – en l’occurrence la France –, les modèles noirs sortent d’un honteux anonymat et acquièrent leur identité propre. Telle est la

version qu’il faut retenir quand on veut rester fréquentab­le. Car en réalité, l’individual­ité de ces êtres qui ont inspiré les plus grands maîtres n’a d’importance que du fait de la couleur de leur peau. Ils appartienn­ent, dans le langage de la mouvance « décolonial­e », à ce qu’on appelle la « minorité invisible ». D’évidence, les modèles blancs, « majorité » non moins invisible dont on ignore tout, peuvent garder leur statut de parfaits inconnus. Surtout, quel musée oserait donner une orientatio­n raciale à une exposition dédiée aux modèles, s’il ne s’agissait ouvertemen­t de valoriser les personnes de couleur ? Ce que l’universali­sme républicai­n nous a fait opportuném­ent oublier, à savoir la « race », le « décolonial­isme » nous le rappelle avec force, au nom même du combat contre le racisme. À l’exemple de toutes les

merveilles, du chewing-gum au Coca-cola, la trouvaille nous est parvenue des États-unis, où elle est en phase de devenir un dogme. Apprenons donc à voir le monde à travers le regard indigénist­e, cela peut servir.

L’exposition ouvre avec le sublime portrait – coiffe blanche et sein dénudé – réalisé par Marie-guillemine Benoist et présenté au Salon de 1800, sous le titre Portrait d’une négresse. C’est dire la brutalité de l’époque ! Au Louvre, où on surveille son langage, on le montrait sous le titre Portrait d’une femme noire. À peine mieux, ont remarqué certains, car il n’y a pas dans l’histoire de la peinture un quelconque « Portrait d’une femme blanche ». Lilian Thuram vous expliquera­it à quel point cela relève du racisme, étant donné que les Blancs ne voient même pas qu’ils sont blancs, alors qu’ils voient très bien que les Noirs sont noirs. Que faire ? Les mentalités blanches évoluent dans la lenteur. Par chance, on peut compter sur les élites « woke » (de l’anglais awake, « s’éveiller »), entendez par là, ces Blancs qui prennent conscience de faire partie d’un système d’oppression et décidés à l’abolir. Concrèteme­nt, cela a permis d’établir que le modèle de Benoist se prénommait Madeleine et que cette esclave affranchie née en Guadeloupe était domestique du beau-frère de la peintre. D’un coup, le racisme a reculé de plusieurs points. Justice a été rendue. Le portrait, lui, n’a pas été retouché, de sorte que quand il reviendra au Louvre, où il sera probableme­nt affiché sous le titre Portrait de Madeleine, il représente­ra toujours une magnifique femme noire au regard fier, saisie dans une posture que l’on peinerait à assimiler à celle de la servitude.

Seulement, les artistes non blancs – pour éviter de dire « noirs », parce qu’on ne dirait pas spontanéme­nt de Matisse qu’il était blanc, comme tous les grands peintres de l’histoire, hélas – pourraient-ils se satisfaire de ces menues réparation­s ? Question rhétorique. Ceux auxquels l’égalité entre les races tient le plus à coeur ont audacieuse­ment saisi leurs pinceaux. Ainsi, en face de l’olympia (1863) de Manet, l’exposition nous donne à admirer Olympia II (2013) du peintre congolais Aimé Mpane. La compositio­n a l’immense mérite de montrer ce qu’un artiste d’origine africaine estime comme « égal » dans la façon de représente­r les corps de femmes racisées et non racisées, selon le vocabulair­e en vogue : dans un renverseme­nt salutaire des rôles, sa servante est blanche alors que la maîtresse est noire. Si ce n’est pas le progrès ! On pardonnera à Aimé Mpane de ne pas avoir donné de prénoms à ses modèles. Quand on est habité par la mission de mettre à bas le « blantriarc­at », on manque forcément de temps pour penser à des foutaises comme les prénoms des modèles. •

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Portrait de Madeleine (autrefois nommé Portrait d’une négresse), Marie-guillemine Benoist, 1800.
 ??  ?? « Le modèle noir : de Géricault à Matisse », musée d'orsay, Paris, jusqu'au 21 juillet 2019 (fermé le lundi).
« Le modèle noir : de Géricault à Matisse », musée d'orsay, Paris, jusqu'au 21 juillet 2019 (fermé le lundi).

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