Les carnets de Roland Jaccard
1. LA PREMIÈRE INTELLECTUELLE ROCK'N'ROLLIENNE
Rien n’est plus surprenant que la méconnaissance des féministes françaises et, d’une manière générale, des intellectuels, même les plus farouchement opposés au féminisme, de Camille Paglia. Pourtant, cette libertaire américaine professeur d’histoire de l’art à l’université de Philadelphie, proche de Madonna, devrait susciter des passions contradictoires tant elle est atypique et rebelle à toutes formes de conformisme. Elle traite des mythologies contemporaines et pourfend le puritanisme du féminisme actuel. Elle fait hurler les bien-pensants par ses prises de position sur le viol, le harcèlement sexuel, la prostitution, la pornographie. Avec elle, l’amérique politiquement correcte a trouvé son épouvantail et la France n’est pas en reste, qui l’ignora pendant des décennies avant de décréter qu’elle était aux femmes ce que Hitler était aux juifs. À titre personnel, je la comparerais volontiers à Dorothy Parker dont le poème « Je hais les femmes » est un chef-d’oeuvre du genre.
Quand, avec mon ami Jean-françois Duval, nous avons rencontré Camille Paglia, nous lui avons posé la question suivante : « Diriez-vous que vous êtes une professeur d’université du troisième type ? » « Oui, je suis née en 1947 et le rock’n’roll a grandi avec moi. C’est ma musique et je dirais même que le rock a formé mon cerveau, créé des connexions de neurones, si bien que par les techniques d’imagerie cérébrale on pourrait voir comment quarante années à écouter du rock ont modifié mes circuits cérébraux. Littéralement, je crois que je suis la première intellectuelle rock’n’rollienne. La seule qui ait été capable d’intégrer les hautes formes de l’art de l’antiquité avec la culture hollywoodienne. Mon sens de l’histoire vient de Ben-hur, un film que j’ai vu en 1959. Parce que Ben-hur, comme Les Dix Commandements ou La Tunique, ces chefs-d’oeuvre hollywoodiens, ne marque pas du tout l’effondrement de la culture occidentale : ils témoignent de la magnifique persistance du paganisme antique dans la culture populaire. Il y a une grande continuité de la culture pop depuis l’homme des cavernes jusqu’aux Rolling Stones qui sont toujours pour moi le plus grand groupe rock’n’roll du monde. »
2. À PROPOS DES FEMMES BATTUES
Nous avons alors voulu savoir pourquoi elle, fémi
niste radicale, suscitait de telles réactions de haine, notamment lorsqu’elle parle des femmes battues. Elle nous a répondu :
« Je suis totalement contre l’idée que la femme est une oie blanche offerte sans défense possible à la brutalité de son compagnon... non, non et non ! Aujourd’hui les femmes sont largement indépendantes sur le plan financier. Sauf à faire preuve de lâcheté, n’importe quelle femme peut marquer très clairement les limites à ne pas franchir et plaquer dans la minute le type qui la bat. Tout le malheur de ces femmes vient de ce qu’elles accordent une seconde chance, voire une troisième... En fait, les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent. Les hommes, eux, le savent, parce que dans ces instants ils sentent bien qu’ils bandent. Ils ont un marqueur qui leur révèle leur propre désir. Les femmes, non. Donc, souvent, elles ne savent pas où elles en sont avec leur désir.
– Et que pensez-vous des femmes actuelles ?
– Le pire. Elles ont déserté le champ de bataille de l’indispensable guerre des sexes pour se couler dans le moule masculin. Elles sont passées dans le rang de l’ennemi sans même s’en rendre compte ! C’est le modèle Hillary Clinton, la femme d’affaires avec attaché-case au poing. Il y a quelque chose de complètement stérile dans cette image-là de la femme. »
3. SADE CONTRE ROUSSEAU
« Vous préférez l’image de la prostituée ? – Évidemment ! Le modèle féminin, c’est la prostituée. Les féministes conventionnelles sont des ânes. Pour elles, la prostituée est une victime que le mâle achète. Moi je dis au contraire : la prostituée est celle qui impose sa loi aux hommes. À lui de payer pour se concilier la présence d’une femme ! Lors d’un débat à la télévision, un psychiatre m’a dit : “Je n’ai jamais vu une prostituée heureuse.” Je lui ai rétorqué : “Moi, je n’ai jamais vu un psychiatre heureux !” Et n’oublions pas que la prostituée est une brillante analyste, non seulement dans sa capacité à échapper à la loi, mais aussi dans l’intuition qu’elle a de cette pléiade unique de conventions et de fantasmes qui produit un orgasme chez un inconnu. Ajoutons à cela que c’est une femme d’affaires avertie : les mères maquerelles des maisons closes, avec les abbesses du Moyen Âge, furent les premières femmes chefs d’entreprise. – Une dernière question : que pensez-vous de l’écologie ?
– Encore une arnaque ! La nature n’est pas la victime d’une humanité polluante, mais une gigantesque force autopurgative qui alterne entre création et destruction. »
Inutile de préciser qu’entre Sade et Rousseau, Camille Paglia choisit Sade. Sa voix tonitruante de flingueuse résonne dans l’air confiné de l’université. D’ailleurs – et qui peut lui donner tort ? –, ne devrait-on pas ricaner face à ces femmes qui sont incapables d’anticiper le danger ou de survivre à une mésaventure sexuelle, voire à une simple agression sexuelle, sans aller pleurnicher auprès des représentants de l’autorité ? En l’absence de guerre, inventons-en une ! Voilà ce qui se passe quand on transforme l’université en village de vacances où le client est roi. •