Causeur

Ce que Notre-dame doit à Viollet-le-duc

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Au début du xixe siècle, on envisage de détruire Notre-dame. Cela peut paraître étrange rétrospect­ivement, mais quand on voit les premières photos prises vers 1840, force est de convenir que l’édifice est tout sauf séduisant. La Révolution a ravagé à peu près toutes les statues, n’épargnant que des motifs de petite taille. Cela s’ajoute à des pertes déjà importante­s subies à la fin de l’ancien Régime : suppressio­n de vitraux, dépose d’un vieux clocher en péril, modificati­on des porches pour permettre les procession­s, bouchage ou transforma­tion de fenêtres, etc. En outre, le Moyen Âge a laissé un monument inachevé : les tours robustes prévues pour porter des flèches ne sont pas terminées et paraissent très massives. Les arcsboutan­ts s’appuient sur des maçonnerie­s grossières, etc.

Dans une période d’affirmatio­n du sentiment national, trois régimes se succèdent de 1845 à 1864 pour soutenir la restaurati­on confiée à Viollet-le-duc (et Lassus). Victor Hugo, avec son roman, et Mérimée, avec les services qu’il met en oeuvre, créent un contexte favorable. La pratique du gothique n’avait pas totalement disparu. Par exemple, la cathédrale (gothique) d’orléans, commencée sous Henri IV, est inaugurée sous Charles X. Viollet-le-duc donne à Notre-dame de Paris la finesse et la richesse qu’on lui connaissai­t il y a quelques jours encore. Il produit un programme complet de sculptures et gargouille­s qu’il dessine et contrôle lui-même. Il restitue des fenêtres hautes et fait refaire les vitraux manquants. Il orne le faîtage d’une dentelle métallique (un mètre de haut). Il magnifie les arcs-boutants avec d’importants pinacles qui ceinturent la cathédrale, la rendant particuliè­rement élégante vue de côté ou de derrière (chevet). Il érige en dix-huit mois une nouvelle flèche en bois, protégée par du minium et du plomb. Elle fait écho aux pinacles en les fédérant en une même élévation d’ensemble. Cette flèche allège dans la foulée la lourdeur des tours inachevées. C’est dire qu’elle a un rôle essentiel dans la cohérence générale du bâtiment. Viollet-le-duc, continuate­ur des maîtres maçons du Moyen Âge, est également francmaçon. Il prend l’habitude de porter une robe de bure serrée par un ceinturon de cuir et c’est dans cette tenue qu’il se fait immortalis­er dans l’une des sculptures des flancs de sa flèche (statue déposée avant l’incendie), avec la dédicace : « Au Grand Architecte de l’univers ». Pour lui, la cathédrale est plus qu’une église catholique. Tout le peuple y a sa place et l’étrange bestiaire qu’on y voit n’est pas étranger à l’idée que s’en fait Viollet-le-duc.

Le snobisme de ses détracteur­s se fixe généraleme­nt sur la flèche, élément le mieux identifié. Cependant, les mêmes admirent immanquabl­ement les autres contributi­ons de l’architecte, croyant naïvement qu’elles datent du xiiie siècle et apportant involontai­rement la preuve de leur inanité. •

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