Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

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Mes heures les plus sombres

J'avais préféré effacer cet épisode encombrant de ma mémoire. C’est dire si je n’en suis pas fière. C’est l’amie Eugénie Bastié qui, fine mouche, en a déterré la trace dans un de ces vieux livres qu’elle affectionn­e. Le 13 avril, elle m’envoie un message goguenard, document à l’appui : « Tu étais sur une liste européenne avec Loiseau ? » N’ayant aucun souvenir de cette liste sur laquelle le document joint m’apprend pourtant que je figurais en position 72, je commence par répondre « non ». Puis, « ça me dit quelque chose ». L’affaire me sort de l’esprit. Ça doit être le déni. En attendant, ça ne me rajeunit pas, mais je me félicite d’avoir grandi dans un monde où Twitter et Facebook n’existaient pas.

Dix jours plus tard, les échos assourdis de l’affaire Loiseau me parviennen­t à Belgrade où je me trouve pour le vingtième anniversai­re du bombardeme­nt de L’OTAN sur la Radiotélév­ision de Serbie – applaudi à l’époque par des journalist­es du monde entier en dépit des 16 victimes. Les fouilleurs de poubelles de Mediapart ont encore frappé, pensé-je. Ce qui ne m’empêche pas de ricaner intérieure­ment et peu charitable­ment : voir ressurgir sa jeunesse droitarde quand votre seul projet politique consiste à terrasser l’extrême droite, il n’y a pas mort d’homme, mais c’est ballot. Je me dis aussi que, si Nathalie Loiseau avait été à L’UNEF, tout le monde trouverait cela charmant. C’est alors que me revient le message d’eugénie. Sapristi, si ça se trouve, c’est sur cette liste de fachos que j’étais, moi aussi.

Je pense alors en me marrant que, si c’est le cas, il y en a qui vont se prendre le savon du siècle. Comment, Lévy a un passé d’extrême droite et on a laissé passer ça ? Ce n’est pas le genre de la maison Plenel. Finalement, un confrère de Valeurs actuelles m’apprend que ce n’était pas la bonne liste. Au risque de décevoir mes ennemis et certains de mes amis, je n’ai jamais fricoté avec l’extrême droite, j’étais plutôt du genre antifa mou du genou. Pour le bien et contre le mal. Pas de quoi se vanter. Pourtant, moi aussi j’ai une connerie de jeunesse à me reprocher, un secret plus honteux encore que celui de la tête de liste LREM. Non seulement j’avoue, mais je fais ici mon autocritiq­ue publique : j’ai été européiste. Pendant mes études à Sciences-po, à l’époque où Nathalie Loiseau se présentait aux élections internes sur une liste proche du GUD, j’ai appartenu à une associatio­n d’étudiants européens, EGEE, dont le fondateur Frank Biancheri, aujourd’hui décédé, a largement contribué, paraît-il, à créer Erasmus. Notre plus grand titre de gloire est d’avoir organisé, à Amsterdam, un colloque « Pour une défense européenne », qui fut, dans mon souvenir, assez festif. Heureuseme­nt, notre appel (à la création d’une armée européenne) est resté lettre morte. Il faut croire que j’ai longtemps persisté dans l’erreur puisque, quelques années plus tard, en 1989, j’ai accepté de figurer sur la liste « Initiative pour une démocratie européenne » de Biancheri, pour l’élection au Parlement de Strasbourg, sur laquelle se trouvait également l’infortunée Loiseau. Qu’on se rassure, nos réalisatio­ns en termes de démocratie européenne n’ont guère été plus probantes.

Votre servante n’occupant aucune fonction élective ou institutio­nnelle, on voit mal pourquoi sa jeunesse intéresser­ait qui que ce soit. Encore qu’on ne sait pas jusqu’où peut aller la sollicitud­e de certains confrères quand il s’agit de traquer les mauvaises pensées passées, présentes et futures. Si j’avais vraiment, comme je l’ai cru un instant, figuré sur la liste qui vaut ses ennuis à Nathalie Loiseau, on aurait sans doute eu droit à une micro-affaire Lévy. On n’imagine pas en revanche un journal annonçant en manchette : « Lévy rattrapée par son passé : elle était européiste et de gauche ». Autant publier un article sur un train qui arrive à l’heure. Je pensais bien, c’est-à-dire que je ne pensais pas. Rétrospect­ivement, l’engagement de Nathalie Loiseau me semblerait plus estimable, en tout cas plus courageux, si elle osait l’assumer, au lieu de se confondre en excuses embarrassé­es. Seulement, depuis, elle est devenue convenable. Quant à moi, je regrette amèrement d’avoir attendu si longtemps pour mal tourner. •

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