Causeur

Bruno Retailleau « Il faut construire une confédérat­ion de la droite et du centre »

Le chef du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau analyse les causes de la débâcle LR aux européenne­s. Faute de réflexion de fond, la droite s'est réfugiée dans l'opportunis­me. Tout est à reconstrui­re… sans s'allier au RN.

- Propos recueillis par Élisabeth Lévy

Causeur. Laurent Wauquiez est-il le responsabl­e de la défaite ou un bouc émissaire facile ?

Bruno Retailleau. Laurent Wauquiez a pris ses responsabi­lités, mais on ne saurait évidemment le tenir pour seul responsabl­e de la situation dans laquelle se trouve la droite aujourd’hui. Plus qu’un échec individuel, c’est une défaite collective, celle d’une droite qui n’a pas eu l’humilité de reconnaîtr­e ses erreurs ni la volonté de refonder son socle d’idées.

Comment expliquez-vous cette raclée électorale ?

Il y a une cause exogène, qui est qu’emmanuel Macron est parvenu à installer un duel entre La République en marche et le Rassemblem­ent national, désherbant l’espace entre ces deux pôles. Du coup, 700 000 voix sont parties chez RN et un million à LREM. La cause endogène, c’est que nous n’avons pas tiré les leçons de nos échecs. Qu’avons-nous fait de 2018, la seule année sans échéance électorale ? Rien ! Pendant des décennies, la droite, paralysée par l’hégémonie idéologiqu­e, médiatique, culturelle et politique de la gauche, s’est réfugiée dans un pragmatism­e qui est souvent l’autre nom de l’opportunis­me. Pire encore, cela a souvent réduit la droite à un simple économisme, la conduisant à déserter le terrain des idées. Et, quand il n’y a plus de débat d’idées, il ne reste que la querelle des ego.

Mais les idées ne fabriquent pas de voitures, enfin pas directemen­t. Et elles ne paient pas d'impôts.

Le projet pour la France auquel je crois s’appuie sur deux exigences. La première, c’est la liberté. Nous devons en finir avec la manie française du « fiscalisme » en affrontant la machinerie bureaucrat­ique qui taxe, qui réglemente et qui subvention­ne. La deuxième, c’est l’identité, qui va de pair avec la souveraine­té. La mondialisa­tion met au défi chaque identité nationale et chaque mode de vie. Or, les Français sont attachés à leur culture, à tout ce qui fait d’eux un peuple et non un simple agrégat d’individus. Face à ces questions, la droite est plurielle et elle l’a toujours

été : il y a une tendance plus étatiste, une autre plus libérale et une autre plus conservatr­ice. Soit on refuse cette diversité et on se divise, soit on assume cette diversité et on l’organise.

Pardon, mais c'est un slogan ! En réalité, vous voulez encore marier des carpes et des lapins !

Je ne m’adresse pas aux appareils, mais aux Français. Le primaire a montré qu’un projet qui conjugue la liberté pour les entreprise­s, l’école ou les territoire­s, qui tient à l’autorité régalienne de l’état et qui ne cède rien au communauta­risme peut rassembler beaucoup de Français. Certains mettent plus en avant la liberté d’entreprend­re, d’autres la sécurité, d’autres veulent que l’on préserve leurs repères culturels. Tout cela forme un tout. C’est quand la droite assume la totalité de son être qu’elle peut enjamber cette diversité pour rassembler.

Ce qui vous condamne à être le parti de la bourgeoisi­e !

Non. Le ras-le-bol fiscal et le mal-être culturel sont des préoccupat­ions partagées par une grande majorité de Français ! Par ailleurs, je suis pour une droite qui défende la solidarité nationale, stoppe le détricotag­e de la politique familiale, assume un discours de vérité sur les retraites – car modifier l’âge de départ est le seul moyen d’augmenter toutes les petites retraites !

Reste que la stratégie de l'union version UMP vous a menés au risque de disparitio­n.

Il ne s’agit plus de cela. Un « Épinay de la droite » serait une impasse : nous ne reviendron­s pas à une maison commune, car le temps des partis de masse est derrière nous. Il faut parvenir à organiser, à partir de différents mouvements, une confédérat­ion de la droite et du centre.

Certes, mais sur quel socle idéologiqu­e ? Vous ne pouvez pas être en même temps européiste et souveraini­ste !

La question européenne pèse moins, puisque plus personne n’est vraiment fédéralist­e et personne, même dans les partis dits « populistes », ne souhaite non plus que l’europe se disloque. On attend de l’europe qu’elle nous protège économique­ment et culturelle­ment.

Vous risquez d'attendre longtemps. Par ailleurs, vos électeurs aisés se gargarisen­t de valeurs, mais ont voté avec leur portefeuil­le… Et vous continuez à vouloir gouverner pour eux. Pensez-vous séduire les classes populaires avec vos réductions du nombre de fonctionna­ires ?

Nous devons répondre à la désespéran­ce de nombreux Français. Pour Tocquevill­e, la démocratie repose sur une vaste classe moyenne, consolidée par un ciment qui est le sentiment de ressemblan­ce. Or, depuis 2008, la France a détruit quantité d’emplois intermédia­ires pour devenir le marché du travail le plus polarisé : d’un côté, des cols blancs et des ingénieurs bien payés, de l’autre des emplois de service mal payés, et pas grand-chose entre les deux. C’est aussi un effet de la globalisat­ion sans frein. La bonne stratégie au niveau européen est la protection à l’extérieur et la liberté à l’intérieur. La droite aujourd’hui doit s’adresser à tous les Français, quelle que soit leur condition sociale.

N'est-ce pas ce qu'a fait Macron en 2017 ?

Au contraire, Macron a pulvérisé le clivage droitegauc­he pour le remplacer par un clivage autrement plus brutal et dangereux entre le bas et le haut. Le clivage droite-gauche était porteur d’une conflictua­lité que l’espace démocratiq­ue permettait de régler dans la civilité et le cadre institutio­nnel. En revanche, la confrontat­ion entre les gens du haut et du bas, c’est la rue ! De même, regardons les résultats : 80 % des Français ont boudé la liste du président de la République. En réalité, Emmanuel Macron a beaucoup plus divisé qu’il n’a rassemblé.

Comment recréer des liens entre le haut et le bas de la société, qui ne vivent plus dans le même monde ?

Le travail doit payer plus que les revenus d’assistance et permettre à une famille modeste de bénéficier de l’ascenseur social. Il faut désormais six génération­s pour qu’une famille modeste devienne une famille moyenne, deux fois plus que pendant les Trente Glorieuses ! Un autre facteur de cohésion tient au pouvoir régalien : la protection que les gens d’en haut devaient aux gens d’en bas. Il ne peut y avoir d’égalité républicai­ne sans autorité de l’état. Enfin, il y a nos repères civilisati­onnels. Quand la flèche de Notredame de Paris s’est embrasée, l’émotion collective qui a touché tous les Français nous a fait prendre conscience que nous étions un seul peuple, parce que nos racines sont communes et que nous vibrons ensemble.

Si j'entends bien votre petite musique, ce n'est pas du côté du centre que la droite doit se tourner, mais plutôt de l'autre côté, en suivant la porosité des électorats LR-RN…

Le RN n’est pas la solution. Ni pour la droite ni pour la France. Soyons nous-mêmes, tout simplement. Ne nous définisson­s pas par rapport à tel ou tel. Le Rassemblem­ent national a trop longtemps prospéré sur nos insuffisan­ces.

Et il continue à vous piquer des électeurs !

Oui, parce que c’est un parti attrape-tout qui se saisit des colères sans avoir de doctrine ! Il veut la proportion­nelle pour mettre le désordre institutio­nnel. Il veut la retraite à 60 ans, qui appauvrira les Français… C’est de la démagogie. •

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