Causeur

Le réac venu du froid

Avec son débit de mitraillet­te, le Québécois Mathieu Bock-côté étrille régulièrem­ent les apôtres du catéchisme multicultu­raliste. Dans L'empire du politiquem­ent correct, il dénonce ces progressis­tes qui tentent de museler le débat public et psychiatri­sent

- Stéphane Germain

Bien connu du public français, Mathieu Bockcôté fait régulièrem­ent chanter sur nos ondes son accent québécois. S’il le double d’un débit de mitraillet­te, c’est pour mieux dessouder, sans jamais se départir de son agréable courtoisie, la religion du multicultu­ralisme. Canadien, il observe en éclaireur la transforma­tion de son pays natal en prototype d’une « superpuiss­ance morale » postnation­ale. Amoureux de la France, il la connaît assez pour déceler chez nous

– et plus globalemen­t en Europe – les signes d’une tectonique commune aux deux rives de l’atlantique. Celles-ci subissent, avec des variations régionales, le joug de L’empire du politiquem­ent correct – titre de son nouvel essai – dont le tandem Trudeau-macron campe les suzerains locaux. Ses détracteur­s ne manqueront pas de qualifier cette notion d’empire de fantasmago­rique, mais ce sont également ceux qui pensent que l’ensemble des médias « mainstream », des élites économique­s et de la plupart des gouverneme­nts pèse moins lourd que Zemmour, Finkielkra­ut et consorts. Les séides de l’empire se sentent assiégés dès que l’un ou l’autre s’exprime. Sauf à n’avoir lu que Modes et Travaux depuis trente ans, on ne dira pas qu’on découvre l’emprise du politiquem­ent correct à cette occasion. MBC revisite toutefois le sujet en posant une question percutante : « La démocratie sans le progressis­me est-elle encore démocratiq­ue ? » Les réactions des médias à l’élection de Donald Trump dévoilent la réponse. Sans modificati­on majeure de nos institutio­ns, et surtout sans le consenteme­nt éclairé des citoyens, démocratie et progressis­me deviennent

insidieuse­ment synonymes. Petit problème toutefois, selon ces critères, Winston Churchill ou le général de Gaulle seraient aujourd’hui à classer parmi « les démocrates illibéraux les plus infréquent­ables ». Au coeur du progressis­me « censé déployer ses effets jusqu’à la fin des temps », on trouve la « religion diversitai­re » et son culte, ainsi que son corollaire, la relégation aux marges de ceux qui ne le partagent pas. Tracer clairement la ligne entre les dévots et les infidèles constitue au demeurant la fonction principale du politiquem­ent correct. Cette police de la pensée a intégré les méthodes du Parti communiste, comme la psychiatri­sation de ses opposants enfermés dans la « cage aux phobes » chère à Philippe Muray. Ainsi, les citoyens « n’ont plus le choix » comme le chante le dernier clip européen du président Macron. C’est « lui ou le Diable ». Bock-côté souligne que ce chantage est largement à l’origine de la montée des populismes. Toutefois, la droite, conservatr­ice ou populiste, n’accepte plus le rôle d’antidémocr­ate auquel l’empire l’assigne. Une démocratie est riche quand les vraies questions peuvent être discutées. Or, le politiquem­ent correct vise justement à limiter les thèmes abordables – qu’on songe aux différente­s apoplexies déclenchée­s par Sarkozy à l’occasion du débat sur l’identité nationale. À l’instar d’ingrid Riocreux, Bock-côté consacre une partie de son ouvrage à la sémantique de la disqualifi­cation. Si à propos d’un homme de lettres on commence à parler de dérapage ou de dérive, il ne sera bientôt plus un « intellectu­el » (de gauche, donc gentil), mais un polémiste, un être sulfureux et malade. Bock-côté identifie la continuité historique et le suffrage universel comme les principale­s victimes des décrets impériaux. Le passé se révélant prédiversi­taire, il est nécessaire­ment mauvais (sauf s’il s’agit bien sûr de glorifier des tirailleur­s sénégalais). On doit s’attacher à l’oublier ou à le « déconstrui­re » – mission dévolue en priorité à l’éducation nationale et d’ailleurs pratiqueme­nt accomplie. La majorité ne saurait prendre aucune décision heurtant telle ou telle minorité ethnique : « Le multicultu­ralisme rend scandaleux le principe majoritair­e. » Sous cet éclairage, on comprend mieux la défiance de nos gouvernant­s à l’égard du référendum, ainsi que le poids pris par la Commission de Bruxelles et la Justice, notamment le Conseil constituti­onnel, le Conseil d’état, le Défenseur des droits ou la CEDH, toutes institutio­ns aussi dévouées à l’empire que non élues. La légitimité du Droit l’a, pour l’instant du moins, emporté sur celle des urnes, corsetant l’action politique dans une camisole de bons sentiments et de pieux mensonges. Faisant écho aux écrits de Pierre Manent sur l’impossibil­ité de faire émerger l’intérêt général sous le régime de l’extension infinie des droits individuel­s ou communauta­ires, Bock-côté nous appelle à « restaurer les conditions de l’action politique » – en clair, à accepter d’aborder les sujets qui fâchent. C’est bien sûr là que le bât blesse. Cette restaurati­on ne lui paraît possible que par l’émergence d’un Churchill 2.0 ou par clonage du général de Gaulle, deux hommes qui se sont illustrés dans un contexte historique – la guerre – qui ne correspond pas exactement au retour d’un « débat apaisé » que le Québécois appelle pourtant de ses voeux. Si l’on convient avec lui que ces deux figures seraient situées aujourd’hui, par Le Monde, à la droite de Viktor Orban, on voit mal comment l’empire pourrait faire allégeance, dans le calme, à ce nouvel homme providenti­el. Surtout que notre auteur n’hésite pas à aggraver son cas en invoquant la légitimité de la transmissi­on au sein d’une nation fière de ses racines. Lorsque, enfin, il milite pour le retour de la transcenda­nce, la perspectiv­e d’un compromis avec les progressis­tes s’éloigne à mesure que Dieu se rapproche. D’ailleurs, lucide, il convient que « plus le réel s’obstine, plus le progressis­me se radicalise ». C’est que la religion diversitai­re poursuit, selon une chimère, « la privatisat­ion des identités » au sein d’une nation acculturée. Les thuriférai­res de Trudeau ou Macron ne veulent plus voir que des individus détachés des mythes religieux et historique­s, tout en affichant une grande tolérance pour ceux (pardon, celles et ceux) qui souhaitent faire groupe autour d’une culture et de ses coutumes, à la condition expresse que ces communauté­s ne soient pas blanches… Sur l’avenir de la démocratie – que le politiquem­ent correct coupe de ses racines grécojudéo-chrétienne­s au risque de la tuer –, Bock-côté alterne entre retour aux catacombes et espoir. Il place le sien dans la jeune génération conservatr­ice, qui « pleure moins la fin d’un monde qu’elle n’aspire en rebâtir un », incarnée, par exemple, par Eugénie Bastié dont il cite la cinglante réplique à Jacques Attali : « Le vieux monde est de retour. » Il salue ce néoconserv­atisme juvénile comme « une forme de scepticism­e devant la démesure d’une modernité devenue folle ». Ces futurs bâtisseurs devront toutefois se colleter aux tenants racistes des luttes intersecti­onnelles ou aux moustachus qui affirment, sans rire, ne pas être un homme. Ces avant-gardes impériales ne sont pas moins jeunes que les pousses conservatr­ices. MBC relève au demeurant le succès depuis cinquante ans de toutes les idées folles des campus américains, d’abord risibles et apparemmen­t inoffensiv­es du fait même de leur extravagan­ce. La matrice des « gender studies », des ateliers « non racisés » ou de l’antispécis­me paraît encore trop fertile pour partager l’optimisme du plus parisien des Québécois. Mais après tout, celui-ci n’est peutêtre qu’une ruse pour aller débiter des horreurs dans les studios de Radio France. •

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Mathieu Bock-côté.
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Mathieu Bockcôté, L'empire du politiquem­ent correct, Le Cerf, 2019.

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