Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

Tout est bon pour balancer le cochon !

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Le porc se rebiffe. Et il a bien raison. Le 13 octobre 2017, Éric Brion, ancien directeur de la chaîne Equidia, connaissai­t le douteux privilège d’être désigné comme le porc « zéro » par Sandra Muller. Cette journalist­e française installée aux Étatsunis a monté la petite entreprise de calomnies et délations appelée « Balance ton porc » qui lui a valu une sanctifica­tion planétaire et le titre de « briseuse de silence » décerné par le magazine Time fin 2017. Et elle ne brise pas que ça.

Éric Brion a porté plainte et, le 29 mai, son accusatric­e était poursuivie pour diffamatio­n devant la 17e chambre correction­nelle. Au grand dam des pleureuses féministes. Puisque Brion a reconnu les faits, que veut-il ? Eh bien, il ne veut pas être traité de harceleur. En 2012, au cours d’une soirée organisée en marge du MIPTV à Cannes, il drague la journalist­e : « Tu es mon type de femme, tu es brune, tu as de beaux seins. » Ce n’est pas très distingué, mais je ne me rappelais pas que le milieu de la télévision fût si à cheval sur le beau langage, surtout en fin de soirée. Et puis, c’est un hommage, non ? Bien sûr, on a le droit de ne pas aimer ça. Elle l’envoie donc bouler. Il n’insiste pas, mais réplique : « Dommage, je t’aurais fait jouir toute la nuit. » Désolée, je ne vois vraiment pas ce que cette réaction basique de mâle dépité a de choquant ou de blessant. C’est l’absence de dépit qui aurait été blessante. En prime, le lendemain, le gars envoie un texto pour s’excuser. Plutôt classe, non ? Ce micro-incident n’a aucune suite jusqu’à ce que, cinq ans plus tard, en pleine tourmente Weinstein, Sandra Muller réalise qu’elle a été traumatisé­e et balance son porc. Pour Brion, ce tweet est le début d’une descente aux enfers – dépression, séparation, dégringola­de profession­nelle. Autant dire qu’il n’y a aucune commune mesure entre le préjudice qu’il a subi et le tort causé à Sandra Muller. Elle a dû écouter pendant quelques minutes un type avec qui elle avait bu des verres lui faire des avances. Lui a vu son existence ravagée. Pour les avocats de Muller, François Baroin et Francis Szpiner, qui ont appelé les juges à accompagne­r le grand combat des femmes, Brion n’est jamais qu’un de ces oeufs qu’on casse pour faire l’omelette de l’histoire. Brion est loin d’être la seule victime de la terreur néoféminis­te. Et lui au moins sera peut-être réhabilité par la justice. Habitées en même temps par une libido de punition et par une pulsion de victimisat­ion (c’est le féminisme sado-maso), les croisées de la délation numérique prononcent à tour de bras des condamnati­ons à la mort sociale qui ne figurent dans aucun texte, ne sont prononcées par aucun juge et ne sont susceptibl­es d’aucun recours. Elles peuvent même prononcer des sentences de groupe, comme dans l’affaire de la Ligue du LOL où 12 personnes ont perdu leur emploi sans que la moindre procédure judiciaire ait été engagée contre eux. Le cas de David Doucet est symptomati­que de l’acharnemen­t impitoyabl­e des justicière­s. Ce journalist­e qui a un temps appartenu à la Ligue du LOL n’avait à se reprocher qu’un canular numérique pas très malin – mais dépourvu de toute connotatio­n graveleuse. Sous pression, il commet l’erreur de présenter des excuses publiques à sa « victime ». Laquelle exige alors qu’il démissionn­e de son poste de rédacteur en chef aux Inrocks « pour céder la place à une candidatur­e féministe » (véridique). Il refuse, ce qui ne l’empêche pas d’être débarqué quelques jours plus tard. Il retrouve alors un job temporaire à H2O, la société de production de Cyril Hanouna. Ses tourmenteu­ses, réunies dans le collectif Prenons la une, se vantent sur le site du Figaro Madame d’avoir « discuté avec la communicat­ion de Cyril Hanouna sur ce recrutemen­t. Pour eux, tant qu’il n’y a aucune procédure juridique, le journalist­e en question est blanc comme neige », se désole une certaine Agathe Ranc. À tort, car Doucet est à nouveau remercié. Je me demande si les filles de Prenons la une ont fêté cette belle victoire. Ou si elles ont proposé une « candidatur­e féministe ». Ce ne sont donc plus seulement les comporteme­nts pénalement répréhensi­bles qui peuvent vous faire clouer au pilori, mais tous ceux que dans la vie on trouve énervants, déplaisant­s ou choquants. Sera-t-on un jour traîné au tribunal parce qu’on a été méchant ? Licencié parce qu’on n’a pas rappelé un coup d’un soir, mâle ou femelle ? Après #Metoo, nous dit-on, le monde est plus sûr pour les femmes. Si c’est pour le peupler de corbeaux, qu’on nous rende les harceleurs. •

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