Causeur

C'est froid

Le Daim, de Quentin Dupieux (sortie le 19 juin) et Yves, de Benoît Forgeard (sortie le 26 juin)

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Est-il bien raisonnabl­e de parler de deux films en même temps ? Oui ! D’abord parce qu’ils faisaient tous deux partie de la très chic « Quinzaine des réalisateu­rs » au récent Festival de Cannes. Ensuite, et surtout, parce que ces deux films français se ressemblen­t comme deux gouttes d’eau, expression d’un semblable dandysme dont on peut penser qu’à la longue, il pourrait bien être mortifère. Le Daim, écrit, filmé, monté et réalisé par Quentin Dupieux, raconte l’histoire de Georges (Jean Dujardin) qui tombe amoureux d’un blouson en daim. Dans Yves, écrit et réalisé par Benoît Forgeard, « Jérem » (William Lebghil) prend chez lui « Yves » un réfrigérat­eur intelligen­t, censé lui simplifier la vie. L’absurde au cinéma a toute sa place. De Drôle de drame du tandem Carné-prévert jusqu’à Buffet froid de Bertrand Blier, en passant par Coup de torchon de Bertrand Tavernier et quelques autres, les réussites ne manquent pas, même si l’on sait l’exercice périlleux. Il repose en partie sur l’écriture au cordeau, en partie sur un casting étoilé. On peut à chaque fois parler de « petit miracle » cinématogr­aphique, tant l’équilibre entre la folie douce, le déjanté et le vraisembla­ble malgré tout s’avère difficile à trouver. Dupieux et Forgeard lorgnent assurément vers cette tendance. Le premier avait un bon atout dans sa poche avec Dujardin, toujours parfait en crétin des Alpes prêt à dézinguer la terre entière pour être le dernier des Mohicans en blouson de daim. Or, c’est un peu court pour tenir un long-métrage écrit à la va-comme-je-te-pousse. Reste une esthétique globalemen­t « vintage », à l’image de cet amour pour les blousons en daim frangé : tout le film baigne dans une lumière entre marron et gris et plus encore dans une sorte d’entre-soi qu’on dirait tout droit sorti d’un vieux numéro d’actuel de Jean-françois Bizot. À force de ressortir du placard les vieilles fringues des années 1970, on finit par sentir la naphtaline, c’est fatal. Il est fort probable que pour réussir en Absurdie, il faut cultiver l’intemporal­ité. Si Dupieux regarde dans son vieux rétro, Forgeard, en bon lanceur d’alerte moderne et forcément visionnair­e, emprunte le chemin inverse pour dénoncer la dictature des machines. Il échoue tout autant. Attention, les machines vont prendre le pouvoir sur nous : dans le cas présent, un réfrigérat­eur colonise la vie quotidienn­e et artistique d’un musicien raté. On annonce une réflexion quasiment philosophi­que sur le devenir de l’humanité au siècle des robots qui pensent et l’on aboutit à une petite farce potache propre sur elle. Forgeard, comme Dupieux, oublie qu’un film, c’est en amont une écriture et que l’idée de départ ne suffit pas. À moins de rester dans l’exercice du court-métrage, format parfaiteme­nt adapté à ces deux petites nouvelles étirées à l’excès. Avec en outre une esthétique étrangemen­t rétro pour parler de notre futur supposé. On se croirait souvent dans une vieille pub de Darty, l’efficacité narrative en moins, l’humour lourdingue en plus. Il est tout de même fâcheux que des critiques de cinéma chinois, par exemple, aient parcouru des milliers de kilomètres en avion pour se rendre au dernier Festival de Cannes et découvrir ces deux objets cinéma

tographiqu­es pauvrement identifiab­les. Ce n’est pas tant leur bilan carbone que la conclusion qui est en cause : les fringants quinquagén­aires du cinéma français n’ont que cela à dire, à montrer, à raconter et uniquement de cette manière tristement répétitive. Ces films de pure posture jouent la carte du clin d’oeil avec le spectateur que l’on drague à la manière d’un sketch sur Canal+. Bien loin par conséquent de ces voyages en Absurdie évoqués plus haut, mais qui nécessiten­t ce qui semble manquer le plus à Dupieux et Forgeard : le goût de l’écriture pour l’image, exercice préalable avant tout film, comme la préparatio­n d’une expédition lointaine. Leurs films ressemblen­t à des petits voyages en voiture électrique, entre deux portes du périphériq­ue parisien, le temps de deux ou trois petites blagues et puis voilà. •

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