Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

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Sa majesté des mioches

L'une des marques du progressis­me d’état en vogue de par chez nous, c’est qu’il est pris, à intervalle­s réguliers, d’une pulsion de rééducatio­n qui le pousse à se mêler de tout, y compris de nos fesses. Ainsi, après la « révolution #metoo », nombre d’institutio­ns publiques et privées ont édicté des règlements, et même organisé des stages pour expliquer aux hommes comment ils devaient parler aux dames.

Il est une cause encore plus sacrée, si c’est possible, que celle des femmes, c’est celle des enfants. Quelques élus de tous bords (sauf du RN précisent les intéressés avec satisfacti­on) se sont avisés que l’éducation était une affaire trop sérieuse pour être confiée, seraitce partiellem­ent, à des parents dépourvus de toute qualificat­ion pour remplir cette mission. Ils ont donc fait adopter par le Parlement une modificati­on du Code civil qui ne se contente pas de proscrire la fessée, mais affirme : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologi­ques. » Selon les initiateur­s de ce texte qui, au grand regret du Défenseur des droits, l’inénarrabl­e Jacques Toubon, ne prévoit aucune sanction pénale, les enfants ont droit « à une éducation sans violence physique, punitions corporelle­s ou châtiments corporels, souffrance­s morales ou toute autre forme d’humiliatio­n ». On aimerait savoir comment la société réparera le tort causé à ceux qui sont mal tombés à la loterie des parents. Cette croyance dans le fait qu’on peut changer la vie, voire éliminer le mal par décret est à la fois outrecuida­nte et naïve. Pense-t-on vraiment sauver les enfants maltraités avec ces fadaises ? Il serait peut-être plus judicieux – mais tellement moins médiatique – d’améliorer le fonctionne­ment de l’aide sociale à l’enfance.

Cependant, le législateu­r ne se contente pas d’interdire, il prétend éduquer… les parents. L’article 2 de la loi prévoit la rédaction d’un rapport sur les « dispositif­s de soutien à la parentalit­é » et l’inscriptio­n du message de prohibitio­n en première page du carnet de santé des enfants. Voilà qui va certaineme­nt guérir les familles dysfonctio­nnelles.

Il ne s’agit évidemment pas d’avoir la moindre indulgence pour les parents violents, déjà punis par le Code pénal. Mais avec cette loi, on assiste à un déplacemen­t notable de la frontière entre vie privée et vie sociale. François-michel Lambert, député LREM des Bouches-du-rhône, lâche le morceau : « De nos jours, on a perdu le caractère collectif de la prise en charge des enfants, qui était à l’origine de la communauté humaine. » Curieux chez des prétendus libéraux ce fantasme de collectivi­sation.

Sous couvert de lutter contre les mauvais traitement­s, la nouvelle loi interdit en réalité aux parents d’exercer une contrainte réelle sur leurs bambins. Or, qu’est-ce que l’éducation sinon l’apprentiss­age de la contrainte et du renoncemen­t à la toute-puissance infantile ? Beaucoup des « libres enfants de Summerhill », éduqués dans le respect de leurs désirs, sont devenus des adultes malheureux et inadaptés. Et les sauvageons qui, au collège, terrorisen­t leurs profs ou leurs condiscipl­es n’ont probableme­nt pas souffert d’un excès d’autorité, mais plutôt d’une absence totale de celle-ci.

Surtout, la loi établit implicitem­ent une égalité de droits entre adultes et enfants qui va à l’encontre du principe même de l’éducation, nécessaire­ment verticale. Mais certains rêvent à un renverseme­nt complet qui verrait les enfants éduquer leurs parents. Du reste, quand on voit le secrétaire général de L’ONU et un aréopage de puissants écouter avec un air solennel une ado de 15 ans à l’air buté leur faire la leçon et leur expliquer comment ils devraient gouverner, on se dit que le renverseme­nt a déjà eu lieu. Si les parents sont priés de ne plus engueuler leur progénitur­e dans le cadre d’une éducation bienveilla­nte, les marmots sont dès leur plus jeune âge encouragés à pourrir la vie de leurs géniteurs en les rappelant à leurs devoirs écologique­s. « Papa, tu maltraites la planète ! » s’indigne Suzon du haut de ses six ans, tandis que Sam, 7 ans, s’étrangle de voir un adulte remplir un pistolet à eau. Il n’est pas certain, cependant, que cette belle mobilisati­on de la jeunesse suffise à changer les parents réactionna­ires et climatosce­ptiques. En termes d’hygiène sociale, il serait plus efficace de leur interdire de procréer. Ce serait un chouette geste pour la planète. •

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