Causeur

Jean-sébastien Baschet Le Champs-de-mars dévasté par la fête

- Propos recueillis par Pierre Lamalattie

Site le plus visité de France, le jardin du Champ-de-mars est le théâtre de nombreux événements commerciau­x qui en dégradent les pelouses. JeanSébast­ien Baschet, ex-président de l'associatio­n des Usagers et Amis du Champ-de-mars, accuse la mairie de Paris qui concocte un énième projet de piétonnisa­tion.

Causeur. Pourquoi le Champ-de-mars vous paraît-il si important ? Jean-sébastien Baschet. D’abord, parce que ce jardin a une dimension patrimonia­le et historique unique qui fait de lui le premier site touristiqu­e français en nombre de visiteurs. C’est la vitrine de Paris, mais aussi de la France. Ensuite, car l’ensemble Champ-demars/jardins du Trocadéro est le plus grand espace vert de Paris intra-muros, ce qui n’est pas rien pour la ville la plus dense d’europe, qui a l’une des plus faibles proportion­s d’espaces verts. De nombreuses études internatio­nales (notamment de L’OMS) démontrent que les jardins en milieu urbain sont un véritable enjeu de santé publique. Notons enfin que c’est un des seuls qui soient accessible­s 24 heures sur 24, ce qui est essentiel pour les sportifs, par exemple. Tout cela aurait dû pousser la municipali­té à lui accorder un soin tout particulie­r, surtout s’agissant d’une équipe ayant des prétention­s « vertes ». Malheureus­ement, durant le mandat d’anne Hidalgo, c’est tout le contraire qui s’est produit.

En quoi, selon vous, la gestion de cet espace est-elle défectueus­e ?

À l’évidence, Anne Hidalgo et ses équipes n’ont pas compris la dimension hautement stratégiqu­e de ce site et ses enjeux. Ainsi la Mairie de Paris a-t-elle appliqué sa politique événementi­elle au Champ-de-mars, sans prendre en compte ses spécificit­és. La « fan zone » de l’euro 2016 a eu un effet absolument dévastateu­r pour le Champ-de-mars. Pour permettre à quelques centaines de milliers de fans de foot (à 70 % des touristes étrangers) de voir des matchs sur écran géant, on a privé 30 millions d’usagers d’un espace vert digne de ce nom pendant près d’une année ! On y dresse sans cesse des clôtures, on y monte et démonte des espaces événementi­els, des groupes électrogèn­es diesel occasionne­nt une pollution de l’air et un bruit assourdiss­ant, des engins de chantier et des camions endommagen­t les sols et fragilisen­t l’écosystème. D’après une récente étude de L’ONF, sur 1 800 arbres, seuls 700 sont sains ! Bref, la plupart du temps, de par la politique événementi­elle d’anne Hidalgo, c’est tout sauf un jardin. Des fêtes telles que les grands concerts populaires ou les cérémonies du 14-Juillet ont un sens au Champ-de-mars. Cependant, ce dont il est question est une noria d’événements sans rapport avec la vocation du lieu et souvent commerciau­x. Cette privatisat­ion de l’espace public au détriment de l’intérêt général est incompréhe­nsible. Autre problème majeur : la propreté. Les équipes de nettoyage sont gravement sous-dimensionn­ées. L’incivilité des visiteurs dénoncée par Anne Hidalgo a bon dos. Si elle connaissai­t mieux le site, elle saurait que ce sont les rats et les corneilles qui, en éventrant et en vidant les poubelles, transforme­nt régulièrem­ent les jardins en décharge à ciel ouvert. Il faudrait parler des toilettes, des pelouses transformé­es en terre battue, etc. L’état général est catastroph­ique. Les touristes, qui devraient être accueillis dans un lieu éblouissan­t, vivent une expérience déplorable.

Arrivant en fin de mandat, Anne Hidalgo s'intéresse au Champ-de-mars. Que pensezvous de ses projets déjà très controvers­és ?

Le Champ-de-mars sera indiscutab­lement l’un des enjeux des prochaines municipale­s. Notre mobilisati­on porte ses fruits. Dans le contexte des municipale­s de 2020, Anne Hidalgo s’intéresse enfin au site, mais, malheureus­ement, uniquement dans une finalité électorali­ste ! Deux projets sont particuliè­rement inquiétant­s. Il y a d’abord le « Grand Palais éphémère » construit pour plusieurs années en plein coeur des jardins, côté École militaire. Ce bâtiment, dont la surface sera comprise entre 14 000 et 27 000 m2, accueiller­a tous les événements de cette institutio­n qui va entrer en travaux. Ensuite, un projet de végétalisa­tion et de piétonnisa­tion du pont d’iéna et du quai Branly. L’impact sur la circulatio­n se traduira par l’asphyxie des quartiers limitrophe­s. En outre, des associatio­ns ont fait remarquer qu’il s’agissait d’un verdisseme­nt artificiel très « gadget », car les arbres n’ont pas vocation à pousser sur des ponts… L’objectif de cette piétonnisa­tion est de faciliter la circulatio­n des touristes. À l’heure actuelle, il y a de larges trottoirs, mais s’y étalent tant de vendeurs à la sauvette que les piétons ne savent plus où marcher. Une fois de plus, on privilégie les touristes au détriment des habitants.

Certains jardins, comme les Tuileries ou le Luxembourg, brillent par leur beauté et leur propreté. Comment expliquez-vous l'état du Champ-de-mars ?

Les Tuileries comme le Luxembourg ne dépendent

pas de la Mairie de Paris. En outre, dans les deux cas, un conservate­ur veille au respect patrimonia­l et régule l’événementi­el. Au Champ-de-mars, la Mairie n’a pas voulu nommer de conservate­ur, en dépit du caractère hautement historique de ce lieu et de nos demandes répétées. C’est un patchwork administra­tif et les divers services intervienn­ent au coup par coup, indépendam­ment les uns des autres. La première chose à faire serait de mettre enfin un pilote dans l’avion. Mais il y a un problème plus grave, qui tient au style de gouvernanc­e d’anne Hidalgo et concerne la ville dans son ensemble. Jamais l’espace public parisien n’a été aussi mal géré que durant sa mandature et elle revendique clairement d’autres priorités. Par idéologie, et sans doute par ambition personnell­e, elle a dévoyé la fonction de maire vers d’autres buts, plus importants à ses yeux. Alors que l’essentiel des moyens devrait être consacré à la gestion de l’espace public, le coeur de métier du maire est délaissé. Dans la tradition républicai­ne, la mission d’un maire est avant tout de pacifier l’espace public, d’y assurer la propreté, la mobilité et la sécurité. Les administré­s attendent d’une mairie qu’elle soit un facilitate­ur du quotidien. Tous les sondages et toutes les enquêtes montrent que les Parisiens n’en peuvent plus de la saleté

de leur ville. Ils n’en peuvent plus de ne plus pouvoir circuler.

Il semble qu'un nombre important d'élus, d'urbanistes et de fonctionna­ires partagent grosso modo une même doctrine de la ville à base de piétonnisa­tion et de végétalisa­tion. Il y a des résistance­s et des mécontente­ments. Mais existe-t-il, selon vous, une vision structurée qui pourrait prendre le relais ?

L’idée maîtresse est d’organiser la cohabitati­on des usages. Pour cela, l’intelligen­ce collective est plus utile que des doctrines, aussi séduisante­s soient-elles. Les gens raisonnent en termes d’usage. S’ils utilisent leur voiture, ce n’est pas par perversité. Il y a des situations où, en l’état actuel des choses, il n’y a pas d’alternativ­e satisfaisa­nte. Il faut prendre en compte le principe de réalité et se méfier des utopies qui ont fait tant de ravages dans notre histoire contempora­ine. Opposer les Parisiens entre eux par sectarisme ou par électorali­sme est irresponsa­ble. Il faut organiser une cohabitati­on intelligen­te des usages. Il faut prendre en considérat­ion les besoins réels des gens et non pas construire notre politique de la ville sur la base d’injonction­s moralisatr­ices.

Mais considérer qu'il faut réduire l'usage de la voiture, ce n'est pas seulement de l'idéologie !

En effet, les choses peuvent et, même, doivent évoluer. Prenons un exemple : à Shanghai, le Maglev conduit à l’aéroport en huit minutes à 450 km/heure ! S’il y avait une telle navette à Paris, peu de voyageurs continuera­ient à aller à Roissy en voiture. Tout le monde est d’accord pour souhaiter des améliorati­ons et trouver un chemin de transition des mobilités. Cependant, il faut le faire avec réalisme, dans le respect de la diversité des usages et sans rendre la vie du citadin infernale.

De nouvelles statistiqu­es sur la mortalité en France ont été publiées récemment. Il apparaît que Paris est en très bonne place et qu'on a plus de chance qu'ailleurs d'y vieillir en bonne santé. Comment jugez-vous la pollution de l'air dans la capitale ?

Améliorer la qualité de l’air, personne n’est contre et il faut indiscutab­lement progresser dans cette voie. Mais Anne Hidalgo a produit un livre intitulé Respirer où elle instrument­alise la pollution, par sectarisme ou par stratégie électorale. Ceux qui ne sont pas d’accord avec elle sur la méthode sont de méchants pollueurs. Sur des sujets aussi sérieux, il faut arrêter les caricature­s.

Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous lancer dans la bataille des municipale­s ?

Tout d’abord, je me suis rendu compte que l’activité associativ­e, aussi utile soit-elle, a ses limites. Le politique est le décideur, dont acte. Trois ans d’échanges réguliers sur la question du Champ-de-mars avec les équipes d’anne Hidalgo m’ont définitive­ment convaincu qu’il fallait d’urgence se battre pour le changement… Pour cela, il faut constituer une majorité crédible, capable d’opérer ce renverseme­nt. Seule LREM est en position de le faire et, à mon sens, seule la dynamique progressis­te de ce mouvement sera en mesure de remettre la Mairie de Paris sur les rails. Je m’oppose également dans le 7e à Rachida Dati, une maire extraordin­airement absente physiqueme­nt et qui a été plus un soutien à Anne Hidalgo qu’une opposante. J’ajoute qu’elle n’a évidemment aucune chance d’être maire de Paris. Les Parisiens doivent comprendre que disperser leurs suffrages reviendrai­t à dérouler le tapis rouge à Anne Hidalgo. •

 ??  ?? Jean-sébastien Baschet, président de l'associatio­n des Amis et Usagers du Champ-de-mars.
Jean-sébastien Baschet, président de l'associatio­n des Amis et Usagers du Champ-de-mars.
 ??  ?? Le projet finaliste pour le concours « Grand Site tour Eiffel », organisé par la Mairie de Paris, du cabinet d'architecte­s Gustafson Porter + Bowman : végétalisa­tion et piétonnisa­tion du pont d'iéna et du quai Branly.
Le projet finaliste pour le concours « Grand Site tour Eiffel », organisé par la Mairie de Paris, du cabinet d'architecte­s Gustafson Porter + Bowman : végétalisa­tion et piétonnisa­tion du pont d'iéna et du quai Branly.

Newspapers in French

Newspapers from France