Causeur

Quand la forêt avance, l'agricultur­e recule

De la Bretagne à la Corse, les espaces agricoles perdent chaque année du terrain au profit de la forêt. Ce mouvement bouscule de plein fouet les habitants traditionn­els des campagnes, mais attire néoruraux et touristes friands de grands mammifères.

- Pierre Lamalattie

Un grand nombre de personnes croient que la forêt est menacée. C’est vrai dans un certain nombre de pays. Mais en France, c’est elle qui est menaçante ou, du moins, envahissan­te. Elle n’arrête pas de s’étendre depuis un siècle et couvre à présent un tiers du territoire. Dans certaines régions, comme dans les Landes ou dans l’est, il s’agit d’une forêt productive ancienne. Cependant, l’essentiel de la croissance est enregistré sur une diagonale allant de la Bretagne à la Corse, englobant le Massif central et une bonne partie des Alpes et des Pyrénées. Nombre de ces régions, peu boisées au départ, ont connu une forte déprise agricole faisant le lit d’une forêt souvent spontanée. Il ne s’agit nullement de la végétation naturelle d’équilibre (nommée climax en écologie), mais d’une formation secondaire dégradée. On y trouve surtout des feuillus, typiquemen­t des mélismélos de chênes tordus. Ce sont principale­ment eux qui tapissent un peu partout le paysage de grumeaux verts caractéris­tiques.

Overdose de forêt ?

Les parcellair­es en timbre-poste gênent l’exploitati­on et les minces débouchés confèrent à cette forêt un rapport faible, voire nul. L’intérêt touristiqu­e est également souvent décevant. En effet, la plupart des promeneurs, aussi regrettabl­e que cela paraisse, s’éloignent peu des routes. L’intérieur des massifs reste peu fréquenté. En progressan­t, la forêt fige le recul de l’agricultur­e et de l’élevage. Dans certaines régions, les hameaux abritent surtout des personnes âgées de plus en plus isolées au milieu des bois. Bref, l’extension de la forêt va de pair avec une régression de la vie rurale, tout du moins dans ses formes traditionn­elles. Une consolatio­n réside cependant dans le fait que l’accumulati­on de ces tonnes de bois est un piège à CO très significat­if à l’échelle de la France. 2

Irrésistib­le multiplica­tion des conflits d'usage

L’ensauvagem­ent de l’espace attire cependant des néoruraux et des touristes urbains, tout du moins dans certaines régions. Leur demande en ce qui concerne ces zones diffère bien souvent de celle des ruraux. Ces derniers, en effet, veulent pratiquer librement leurs loisirs (chasse, pêche, champignon­s) et, quand c’est encore le cas, poursuivre sans entraves leurs activités (agricultur­e, élevage, etc.). Leur vie ne repose pas sur une exaltation de la nature, mais sur une artificial­isation du milieu et des prélèvemen­ts mesurés. Les urbains quant à eux sont plutôt demandeurs de nature à l’état le plus pur possible. Ils se veulent volontiers écologiste­s, au moins temporaire­ment. Leur approche de l’écologie est cependant peu tournée vers certaines de ses dimensions essentiell­es comme la pédologie ou la phytosocio­logie. L’expérience la plus recherchée après la contemplat­ion des fleurs rares est la rencontre avec les grands mammifères. Les documentai­res animaliers modèlent en effet les sensibilit­és. En outre, depuis le Roman de Renart et les Fables de La Fontaine, le fait de projeter un caractère sympathiqu­e et presque humain sur ces animaux est devenu une vieille habitude. C’est pourquoi l’introducti­on du loup ou de l’ours revêt une si grande importance. Elle induit des récits et renforce l’attractivi­té touristiqu­e. Cependant, ces modificati­ons bousculent de plein fouet les occupants traditionn­els. Dans le cas du loup, on comprend aisément combien cela complique le pastoralis­me (ruminants dans les alpages). Des opposition­s similaires se produisent quand des agriculteu­rs ont besoin d’un équipement (ex. : réserve d’eau empiétant sur une zone humide, comme à Sivens) et dans de nombreux autres cas. Au total, ce sont deux visions qui divergent. Elles ne cessent d’alimenter des conflits d’usage et ce n’est pas près de s’arrêter. •

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Après avoir longtemps régressé, la forêt métropolit­aine s'étend depuis le début du XIXE siècle, en particulie­r grâce au boisement des Landes.

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