Le journal de l'ouvreuse
Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Prochaine parution : le 4 septembre 2019
Jeudi 6 juin, Testament de la tante Caroline à l’athénée. Vendredi 7, Mam’zelle Nitouche à Marigny. Deux siècles en deux jours : Nitouche, farce du farceur Hervé, au xixe ; Caroline, unique pochade du grave Albert Roussel, au xxe. Deux théâtres, deux burlesques, un orchestre.
Orchestre nommé Les Frivolités parisiennes. À la mode Titanic : plus le bateau coule vite, plus l’orchestre joue fort. L’opéra sérieux ne crée rien de durable, l’opéra bouffe encore moins, les théâtres ne font salle comble que par accident, leur public blanchit à vue d’oeil, Netflic et Game of Drones ont pris le pouvoir, tout va mal, dansons.
Ce que font les Frivolités bicéphales. À ma droite, le basson Benjamin El Arbi, look rock (qu’il pratique) et tchatche foraine. À ma gauche, la clarinette Mathieu Franot, gendre idéal et swing de velours. Des premiers prix qui auraient dû pousser où le conservatoire les avait plantés : dans la vertu. À quoi les loustics ont préféré la mauvaise herbe, opéra-comique ensablé, comédie musicale insouciante, opérette libidineuse. Quelques succès d’hier comme Mam’zelle Nitouche – dont ils étaient les hôtes, pas les producteurs. Mais plutôt des trucs introuvables comme L’ambassadrice d’auber (1836, livret tartissime, leurs premiers pas il y a cinq ans) ou Le Petit Faust d’hervé, qui tape aussi fort sur Gounod que sur Goethe.
Vous me direz, Les Brigands font ça depuis vingt ans. Les deux compagnies ont d’ailleurs un chouchou commun : Yvain, plume adorée de Mistinguett et de Maurice Chevalier. Les Brigands aiment Ta bouche, les Frivos préfèrent Yes ! – chacun son Yvain. Mais pas pareil. Les Brigands, c’est eux qui le disent, « jouent pour tous et partout de l’opéra bouffon à leur façon ». C’est-à-dire réduit, en format de poche. Tandis que les Frivos jouent à la façon que c’est écrit, sans arrangement ou le moins possible. Tout à l’orchestre. Même leur mascotte magique, leur tube, « Je chante la nuit », Yvain toujours, paroles d’henri-georges Clouzot, ils vous le chaloupent en tutti. Un rêve.
Un rêve de charme, c’est ça au fond. Ni le sanglot long de l’opéra ni la déglingue de Phi-phi, le charme. Ce vieux machin d’avant l’aillephone et Le Roi lion, ce pétale vénéneux que la police des moeurs croit inoffensif, qu’on méprise et auquel on fout la paix parce qu’il frappe en douce et brûle sans laisser de trace. Le charme.
Orchestre et charme. C’était la recette de leur Normandie, paquebot d’après-titanic devenu sous le Front Pop une opérette insubmersible (« Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine », même Tintin connaît), montée grandeur nature par les Frivos l’hiver dernier à la Nouvelle Ève, cabaret de Pigalle où l’orchestre envahissait le plateau.
Vrai, tout ça est bien frivole et l’avoue. Pareille rage à flatter le chaland ne plaît pas à tout le monde. « Populaire » selon les organisateurs. « Populiste » selon l’académie. Les Frivos s’en balancent. Ils croissent et multiplient. La saison prochaine, ils oseront même une création, Les Bains macabres, opéra bouffe du mécontemporain Guillaume Connesson, au Théâtre impérial (si, si, impérial) de Compiègne, et à l’athénée.
[Robert des mots courants à l’usage des ouvreuses, édition 2019. Populiste : « Nom donné par qui fait de la politique avec des idées à qui fait de la politique avec des gens. » Définition tendancieuse, je trouve. Mais où ai-je fourré mon bikini abricot ?] •