Des hommes et des lieux
Partout, dans Paris et sa petite couronne, les pelleteuses fouillent le sol, les grues mangent la ville. C’est la furie du « Grand Paris ». La capitale n’était pas assez grande. « Upgradons » donc Paris pour en faire une ville-monde à la hauteur du cauchemar contemporain. Pour cela, il fallait commencer par construire un grand métro circulaire : le Grand Paris Express ! Pour affronter ce chantier colossal, 5 000 ouvriers font suer le burnous. Il convient de les loger. Résidétapes, le spécialiste du logement temporaire destiné aux travailleurs, propose à la main-d’oeuvre d’habiter royalement à L’haÿ-les-roses dans des immeubles désaffectés en « attente de destruction » (à l’issue du chantier). Bien sûr, l’ambition d’accompagner la « mobilité » d’ouvriers qui pour certains ne viennent pas d’île-de-france, ni même de France, est fort louable. C’est toujours mieux qu’un empilement d’algeco sous la neige. On espère que les salariés seront prévenus quand l’heure du dynamitage sonnera… Il est par ailleurs important de toujours trouver la meilleure adéquation entre un lieu et des hommes. C’est cette subtile alchimie qui a été élaborée à Lyon grâce à l’accord de partenariat signé entre un centre d’accueil des réfugiés et le groupe Bouygues. La multinationale du BTP a mis à disposition, gracieusement, pour le logement des migrants, une friche industrielle de 2 000 m² où l’association va construire un « village mobile » de conteneurs. Ainsi l’entreprise économise-t-elle les frais de gardiennage et de sécurité. Bonne conscience en prime. Les migrants devenus vigiles à l’insu de leur plein gré pourront ainsi éviter l’invasion des squatteurs et autres importuns. Comme rien n’est fait au hasard, on a pris soin de placarder les photos des futurs locataires dans les restaurants branchés du quartier. Bien sûr, cette « installation » artistico-humanitaire laissera certainement place à un ensemble immobilier de standing. Bien sûr, on démontera les conteneurs et on démolira la ville fantôme des ouvriers du Grand Paris Express. Les uns et les autres devront reprendre leur chemin à travers nos villes-mondes bienveillantes. •