Causeur

ANTI-PMA, vous irez à la guerre sans moi !

Le désir d'enfant est une réalité anthropolo­gique à laquelle il est vain de s'opposer. Il serait futile et cruel de refuser la possibilit­é de ce lien essentiel à des personnes homosexuel­les. Fût-ce au nom de grands principes.

- Alain Neurohr

La lutte contre la PMA et la GPA est une bataille perdue d’avance, mais pas pour la raison qu’on donne généraleme­nt. La philosophe Chantal Delsol, dans Le Figaro du 1er août, témoigne du désarroi du camp conservate­ur, dont je me flatte de faire partie. « Le supposé progrès, écrit-elle, est comme une roue crantée qui jamais ne retourne en arrière […]. D’où l’abattement des conservate­urs, et plus encore des réactionna­ires, qui ressentent vivement l’inutilité d’une opposition à ce mouvement irrésistib­le, l’individual­isme occidental. »

Il me semble que la ruse du progressis­me, dont notre président de la République est un parfait représenta­nt, consiste à faire un bloc avec des idées disparates et à les présenter comme l’armée irrésistib­le du progrès. Parmi ces idées disparates dont on veut nous faire croire qu’elles se tiennent ensemble et forment un système, il y a des futilités qui ne passeront pas l’hiver, il y a des contre-vérités dont on démasquera un jour la fausseté, et il y a une vérité anthropolo­gique à laquelle il est vain de s’opposer : la nature prométhéen­ne de l’homme qui consiste pour lui à faire tout ce qu’il peut faire. Les conservate­urs qui en souffrent peuvent pratiquer la méthode stoïcienne de l’amor fati, l’adhésion à tout ce qui nous est imposé par le destin. Parmi les crétinerie­s progressis­tes qui disparaîtr­ont à brève échéance, prenons l’exemple de l’écriture inclusive. Sa vogue fait irrésistib­lement penser au vocabulair­e des Précieuses ridicules de Molière. Les « agricult. eur.rice.s » et les « charcuti.er.ère.s » disparaîtr­ont aussi vite que les « commodités de la conversati­on » qui, →

rappelons-le, désignait les fauteuils. C’est laid, inutile et compliqué, et en linguistiq­ue ne survit et triomphe que ce qui est simple, c’est la raison du succès de l’anglais. Au rayon des fumisterie­s, la méthode de lecture globale recule peu à peu, merci M. Blanquer.

Dans le riche stock des contre-vérités progressis­tes, je prendrai l’effacement de la nation et le sans-frontiéris­me qui lui est connexe. « La nation française est un congloméra­t » de je ne sais plus quoi, disait Éric Besson du temps où la droite se livrait aux délices du gauchisme culturel, comme une marquise qui s’abandonne à son cocher. « La culture française n’existe pas », proclamait notre petit président avant son élection. Que de chemin parcouru depuis la profératio­n de ces inepties ! Les nations d’europe de l’est se défendent vigoureuse­ment du sans-frontiéris­me et de l’immigratio­nnisme propagés par la décadence occidental­e, les Américains ont élu Trump le constructe­ur de murs, les Anglais tentent de récupérer leur nation au prix d’un Brexit chaotique. Preuve que le progressis­me prétendume­nt irrésistib­le n’est pas une roue crantée et qu’il peut très bien reculer.

Dans ce breuvage très mélangé qu’on nous impose de boire d’un trait, il y a les fameuses PMA, GPA et toute la bioéthique. Voilà une tout autre paire de manches. Chantal Delsol souligne à juste titre les ravages de l’individual­isme occidental. Mais concevoir un enfant, dans sa tête ou dans son ventre, se réveiller la nuit pour lui donner ses tétées, l’amener tout ému à l’école le jour de la rentrée, s’inquiéter de ses fièvres, de ses résultats scolaires, de ses fréquentat­ions, c’est précisémen­t le contraire absolu de l’individual­isme, c’est un acte de générosité qui coûte cher en temps, en argent et en affection. C’est le refus de l’enfant qui est un acte d’individual­isme, on a honte de dire une vérité aussi élémentair­e.

Or, il se trouve que tous les liens sociaux sont en crise dans les sociétés occidental­es, sauf la filiation, puisque jusqu’à nouvel ordre on ne peut divorcer de ses enfants. En France, cette dissolutio­n des liens a même pris un tour dramatique avec ce que Jérôme Fourquet appelle « l’archipelli­sation de la société française ». L’importance que chacun attache aux liens sociaux dépend de ses choix politiques. Et l’intellectu­el britanniqu­e Roger Scruton, dans un texte lumineux, explique que l’homme de gauche se vit lui-même comme une expérience singulière, tandis que l’homme de droite se sent lié à des entités comme l’histoire de son pays, sa nation, sa ville, sa famille, ses enfants et descendant­s. L’histoire de France ? Comment un élève du secondaire pourrait-il se sentir lié à ce qu’on lui présente comme un tissu d’horreurs, avec esclavagis­me, colonialis­me, collaborat­ion vichyste ? On ne dira jamais assez que le corps enseignant a détruit toute possibilit­é de patriotism­e chez les jeunes Français et il paie aujourd’hui le prix fort de cette trahison. La nation ? C’est un concept dangereux qui a enfanté les terribles guerres du xxe siècle, il vaut mieux l’abandonner et se livrer aux joies

de l’immigratio­n sans limites et de l’abolition des frontières. La famille ? Elle a été lacérée par le divorce à outrance, et le féminisme n’a rien arrangé. Plus aucun metteur en scène ne monte le très beau Partage de midi, de Paul Claudel. Sur un paquebot qui vogue du Japon vers l’europe, une femme et un homme, mariés chacun de leur côté, tombent éperdument amoureux. Ils se séparent à la fin de la pièce pour ne pas briser leurs familles. D’un ringard ! Et le droit supérieur de l’amour, et le triomphe de la passion ? Si d’aventure on montait la pièce, il y aurait de furieuses manifestat­ions devant le théâtre. Même les liens auxquels nous avaient habitués l’histoire et la géographie sont en crise en France. Les Alsaciens ont perdu l’alsace et aimeraient bien la récupérer, et moi j’habite au milieu de nulle part, dans une Nouvelle-aquitaine qui va de l’espagne au nord de Poitiers, une région inventée par le cerveau brumeux de François Hollande, un territoire sans aucun fondement historique ou géographiq­ue.

Reste la filiation : celui qui fait un enfant ou fait faire un enfant est à peu près sûr d’avoir un lien solide avec le reste de l’humanité pour quinze ou vingt ans. Après, c’est une autre histoire... Refuser la possibilit­é de ce lien essentiel à des personnes homosexuel­les au nom de grands principes me paraît cruel et futile. Je l’ai déjà écrit sur causeur.fr, avec la PMA et la GPA, personne ne souffre, personne n’est lésé, il y a juste un petit pincement au coeur chez les belles âmes qui aiment légiférer pour les autres. Pas grave. Si j’étais dans les limbes et si Dieu me proposait de choisir d’y rester ou de venir participer au banquet de la vie sans mère ou sans père, je prendrais sans hésiter la deuxième option. Car « avec toutes ses perfidies, ses besognes fastidieus­es et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau », dit le fameux texte anonyme trouvé en 1692 à Baltimore.

Cette bataille à venir sur la bioéthique, quelle magnifique diversion aux échecs d’emmanuel Macron sur la dépense publique, le chômage, l’éternelle proliférat­ion des taxes et impôts en France ! « Emmanuel Hollande », disait Fillon et je trouvais qu’il exagérait. Nous y sommes en plein : comme sous son prédécesse­ur, les échecs économique­s sont masqués par une belle loi sociétale qui va faire grimper au mur les réacs et les faire paraître encore plus réacs. Et tant de belles intelligen­ces qui tombent dans le panneau ! Vous irez à la guerre sans moi, les gars.

Qu’on aime cette vérité ou qu’on la déteste, l’homme est prométhéen. Comme le héros de la mythologie grecque qui a volé le feu aux dieux, il fera toujours ce qu’il sera dans la capacité de faire. Des fusées pour Mars, des vies prolongées à coup d’innovation­s médicales, peut-être même un parasol de confettis dans la haute atmosphère pour nous éviter de griller lors des prochaines canicules. Et des enfants en machine, pourquoi pas, puisque les dames d’occident trouvent que la gestation est une insupporta­ble corvée. Le surgisseme­nt de l’enfant, que ce soit dans la vie d’un individu ou d’une société, est un symbole très fort de renouvelle­ment, de rebondisse­ment de la vie et de l’amour. Nos sociétés vieillissa­ntes ont besoin de cette source fraîche. À l’origine du christiani­sme, il y a la naissance d’un enfant par PDA, procréatio­n divinement assistée. Il me semble que cet enfant devenu grand n’a pas donné de consignes de bioéthique, par contre, il a puni dans une de ses paraboles celui qui laissait ses talents enfouis dans la terre sans les développer. Comme quoi le Christ a reconnu le caractère prométhéen de l’humanité. Virgile, dans sa quatrième Bucolique, annonce la naissance d’un enfant divin qui rajeunira l’antique Rome.

Le désir d’enfant n’est pas un caprice, c’est une réalité anthropolo­gique à laquelle il est vain de s’opposer. Et le thème de l’enfant sauveur apparu bizarremen­t est un archétypej­ungienquia­ppartientà­l’inconscien­tcollectif de l’humanité, puisqu’on le voit apparaître dans les contes les plus anciens, dans les rituels religieux, comme dans la création littéraire. Cette présence d’un thème à des niveaux très différents de l’imaginatio­n humaine est la condition mise par le grand psychiatre suisse Carl Gustav Jung à sa reconnaiss­ance comme archétype. Dans le conte russe Snégourotc­hka, l’enfant de neige, un couple stérile de paysans découvre que la première neige de l’automne a déposé devant son isba la ravissante petite fille de leurs rêves. Elle fait leur bonheur tout l’hiver, mais fond au retour du printemps, comme si l’angoisse de la stérilité était la plus forte. Cependant, l’enfant sauveur apparu bizarremen­t n’existe pas que dans le christiani­sme. On sait que dans le bouddhisme tibétain, les enfants censés être la réincarnat­ion du dalaï-lama, du panchenlam­a et de bien d’autres dignitaire­s sont choisis après de savantes recherches. Le beau roman anglais de George Eliot, Silas Marner, raconte la vie d’un pauvre tisserand de village qui après avoir été trahi par ses amis sombre dans la solitude et l’avarice : sa seule joie est de compter ses pièces d’or après son travail. Un soir d’hiver, on lui vole son or. Le pauvre homme fouille désespérém­ent autour de sa maison et croit le retrouver en voyant un éclat doré sous un buisson. Il s’agit des cheveux blonds d’une fillette dont la mère vient de mourir d’épuisement. Silas la nomme Eppie et l’élève. Elle fait sa joie, et une fois grandie, refuse de devenir la fille de son père biologique, squire du village dont la femme est stérile. Pour ceux qui s’intéressen­t aux mythes et à l’inconscien­t collectif, notons l’importance de l’hiver, et de « la lumière qui jaillit au coeur des ténèbres », ainsi qu’il est dit dans le prologue de l’évangile de Jean.

L’enfant sauveur qui console un peuple en attente du salut ou qui console un couple qui n’aurait jamais pu en avoir par la méthode traditionn­elle, voilà un symbole très fort qu’il ne faut pas abandonner aux mains suspectes des progressis­tes. •

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Couple de femmes ayant recours à la PMA dans une clinique de Gand (Belgique), février 2016.
 ??  ?? Ludivine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, devant le Comité consultati­f national d'éthique (CCNE), après que celui-ci a rendu un avis favorable à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, Paris, 25 septembre 2018.
Ludivine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, devant le Comité consultati­f national d'éthique (CCNE), après que celui-ci a rendu un avis favorable à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, Paris, 25 septembre 2018.

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