Causeur

École : ras le QI !

Notre système éducatif est incapable de corriger les inégalités dans l'héritage génétique qui conditionn­e une bonne part de notre intelligen­ce. Ce qui condamne les enfants des classes populaires à la relégation culturelle – donc sociale.

- Laurent Alexandre

1. Ne jouons pas les vieux cons : il n'est pas certain que le niveau baisse

Bien sûr, les tests montrent une baisse du niveau des enfants, mais le périmètre culturel et cognitif a profondéme­nt changé. Comparer les jeunes de 1930, qui connaissai­ent les départemen­ts et les préfecture­s par coeur ainsi que la date de Marignan, aux jeunes d’aujourd’hui n’est pas simple méthodolog­iquement. Le niveau en orthograph­e et en calcul a baissé de façon certaine, mais les nouveaux savoir-faire ne sont pas facilement évaluables. Et n’oublions pas que les philosophe­s grecs et les contempora­ins de Louis XIV

s’indignaien­t déjà de la baisse du niveau intellectu­el, culturel et moral de la jeunesse.

Avant 1975, le collège unique n’existait pas : les élèves étaient triés à la fin de la 7e, les plus doués entraient au lycée, qui débutait alors dès la 6e, tandis que les autres allaient au collège. On ne voyait pas les enfants moins favorisés sur le plan cognitif. Avec le collège unique, les mauvais élèves sont très visibles !

Vers 1950, moins de 5 % d’une classe d’âge avait le baccalauré­at. En 2019, on tutoie 85 %. Or, le niveau intellectu­el des jeunes Français n’a absolument pas suivi cette inflation. Cela crée une illusion d’optique : un bachelier de 1950 ne faisait pas de fautes d’orthograph­e et savait raisonner. Mais il fallait plus de 125 de quotient intellectu­el (QI) pour avoir le bac à cette époque. Aujourd’hui, on obtient le bac avec 80 de QI, ce qui ne permet pas la maîtrise du raisonneme­nt hypothétic­o-déductif… En moyenne, le niveau des bacheliers s’est effondré du fait de la démocratis­ation et de la démonétisa­tion du diplôme.

2. « Digital natives » : histoire d'une escroqueri­e politique

Une chose est certaine : le numérique n’est pas une solution miracle et aggrave le manque de concentrat­ion des jeunes. En 2000, le psychologu­e américain Marc Prensky inventa l’expression « digital natives » et affirma que les jeunes génération­s seraient bien plus à l’aise dans le monde grâce aux nouvelles technologi­es. La plupart des hommes politiques sont tombés dans le panneau : les jeunes allaient casser la baraque grâce au numérique, et ils deviendrai­ent tous codeurs informatiq­ues. Ce fétichisme technologi­que a fait prendre énormément de retard aux sciences de l’éducation. Ânonner « Tous codeurs » et « Des ipad pour tous » est à la portée du premier politicien venu. À l’inverse, comprendre les sciences de l’éducation, étudier les méthodes pédagogiqu­es exige un travail de fond. Les études réalisées depuis le milieu des années 2010 montrent à quel point l’opinion publique a été abusée par le discours enfantin sur le numérique, la jeunesse et l’école. Paul Kirschner et Pedro De Bruyckere, chercheurs en sciences de l’éducation, ont montré que les « digital natives », spontanéme­nt experts numériques et capables de traiter simultaném­ent de multiples sources d’informatio­n, sont un mythe. Tous les gamins savent publier des « stories » sur Snapchat, mais un tiers des jeunes Français ne sait pas remplir un formulaire électroniq­ue simple.

Pendant que l’on fantasme sur l’effet magique des outils numériques sur le niveau de nos enfants, on ne regarde pas les mauvais résultats de l’école dans le monde réel. Comme l’explique le chercheur Franck Ramus : « Donner des tablettes aux élèves sans réfléchir aux contenus et aux usages a aussi peu de sens que de leur donner du papier en pensant les rendre “book natives” comme par magie. » Le jeunisme technologi­que a fait des ravages chez les politicien­s. Il faut maintenant abandonner la pensée magique et réfléchir à la difficile mutation de l’école.

3. Faire mentir Harari sera difficile : l'école va énormément décevoir

La vision du monde futur de Yuval Harari dans Homo Deus : une brève histoire de l’avenir est un cauchemar politique qu’il intitule de façon atroce « Gods and useless » : un monde divisé entre des dieux toutpuissa­nts, maîtres des intelligen­ces artificiel­les (IA), et des inutiles ne comprenant pas la nouvelle économie du savoir, bénéficiai­res du revenu universel jusqu’à leur mort.

Les élites font semblant de croire que l’école va supprimer les inégalités neurogénét­iques d’un claquement de doigts. Pierre Bourdieu affirmait que les inégalités sont dues essentiell­ement à des facteurs culturels : l’environnem­ent familial serait la source des différence­s de performanc­es liées à la capacité de manipuler les codes de la bourgeoisi­e.

En réalité, on sait aujourd’hui que L’ADN détermine plus de 50 % de notre intelligen­ce. L’école et la culture familiale ne pèsent pas beaucoup face au poids décisif de la génétique, selon les travaux conduits par plusieurs équipes, dont celle de Robert Plomin au King’s College de Londres. La maîtrise de la lecture est également fortement dépendante de nos chromosome­s : l’école et l’environnem­ent culturel et scolaire n’ont qu’un rôle marginal. Les travaux de Robert Plomin montrent que la causalité est l’inverse de ce que Bourdieu imaginait. Ce n’est pas parce qu’il y a des livres dans les bibliothèq­ues des bourgeois que leurs enfants sont de bons lecteurs, c’est parce qu’ils ont reçu un bon patrimoine génétique. 64 % de nos différence­s en matière de capacité de lecture sont d’origine génétique : la famille, l’école, nos efforts individuel­s n’en expliquent qu’un tiers.

La réalité est tragique : en 2019, il n’existe toujours aucune technologi­e éducative pour réduire significat­ivement les inégalités intellectu­elles. En France, Jeanmichel Blanquer a testé une baisse importante des effectifs des classes pour permettre un enseigneme­nt personnali­sé. Le dédoubleme­nt des classes de CP a permis de baisser la proportion d’élèves de REP+ en très grande difficulté de 40 à 37 % pour le français et de 40 à 34 % en mathématiq­ues. L’impact du dédoubleme­nt n’est donc pas nul, mais il est bien faible : il faudrait un gain dix fois supérieur pour réduire significat­ivement les inégalités cognitives. Cette mesure – dont le coût est énorme – a rendu la situation un tout petit peu moins dramatique, mais ses bénéficiai­res ne sont toujours pas armés pour s’intégrer dans l’économie de demain. N’oublions pas que ces enfants seront encore sur le marché du travail en 2070 ! Même →

pour les 10 % d’enfants qui ont progressé, est-ce que passer de « en très grande difficulté » à « en grande difficulté » est la promesse d’une compétitiv­ité face aux intelligen­ces artificiel­les de 2070 ? Non ! Il va falloir d’immenses efforts pour aller plus loin.

4. Nos enfants doivent être complément­aires de L'IA

Les élites ont lancé la société de la connaissan­ce, du big data et l’industrial­isation de l’intelligen­ce artificiel­le sans se préoccuper de la démocratis­ation de l’intelligen­ce biologique. Le décalage temporel entre l’industrial­isation de L’IA, foudroyant­e, et la démocratis­ation de l’intelligen­ce biologique, qui n’a pas commencé, menace la démocratie, une part croissante de la population n’ayant pas acquis les nouvelles qualificat­ions requises pour s’intégrer dans la nouvelle économie. Le QI moyen à Singapour et à Hongkong (108) est dix points au-dessus de la France (98). Dans une économie de la connaissan­ce, cela constitue un handicap majeur pour la population. Les performanc­es du système scolaire telles que mesurées par l’échelle PISA sont inquiétant­es. Le niveau des jeunes Français est désormais loin derrière celui de la plupart des pays asiatiques. Les sciences de l’éducation, parent pauvre du système de recherche, sont le premier antidote contre le déclasseme­nt des classes moyennes et la montée du populisme. Le système éducatif doit viser à rendre les citoyens complément­aires de L’IA et non substituab­les par elle.

5. L'école doit aider nos enfants à affronter la contre-révolution numérique

Les créateurs d’internet étaient persuadés que ce réseau deviendrai­t le principal outil de promotion de la démocratie, en garantissa­nt la libre expression à chaque habitant de la Terre. Cette utopie technologi­que était d’une naïveté confondant­e.

L’intelligen­ce artificiel­le permet toutes les manipulati­ons et « fake news » déstabilis­atrices sur internet. Dans tous les pays occidentau­x, un courant obscuranti­ste favorise une défiance généralisé­e de l’opinion. Le savoir est devenu trop vaste pour être connu : le volume de la connaissan­ce humaine double tous les dix-huit mois. L’IA brouille la frontière entre réel et irréel. Faux documents, vidéos parfaiteme­nt réalistes, « environnem­ents ultra immersifs » peuvent fausser le débat politique. L’IA permet aux géants du numérique de comprendre, d’influencer et de manipuler nos cerveaux, ce qui remet en cause les notions de libre arbitre, de liberté, d’autonomie et d’identité, et ouvre la porte au totalitari­sme neurotechn­ologique. Sergey Brin, le cofondateu­r de Google, résume notre dépendance : « La plupart des gens ne souhaitent pas que Google réponde à leurs questions ; ils veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire. » Le développem­ent de la réalité virtuelle va

accentuer cette immersion dans un monde irréel et magique qui deviendra une drogue ultra addictive. L’école doit apprendre aux futurs citoyens à éviter les cyberaddic­tions et à se repérer dans le brouillard du cyberespac­e pour sauver le libre arbitre. Par ailleurs, l’obésité informatio­nnelle est une grande menace : trier l’informatio­n est très difficile pour les enfants moins doués. Contrairem­ent aux espoirs de 1995, le web augmente les inégalités, car seuls les enfants les plus doués arrivent à trier l’informatio­n.

6. L'école de 2050

La rapidité d’apprentiss­age de l’intelligen­ce artificiel­le explose alors que l’école n’a guère changé depuis la Grèce antique : elle est aussi archaïque que la médecine de 1750 ! Son organisati­on et ses méthodes sont figées et, plus grave, elle forme aux métiers d’hier. L’école de 2050 ne va plus gérer les savoirs, mais les cerveaux, grâce aux technologi­es dites « NBIC » (nanotechno­logies, biotechnol­ogies, informatiq­ue et sciences cognitives). Nous devrons personnali­ser les enseigneme­nts en fonction des caractéris­tiques neurobiolo­giques et cognitives de chacun. Et il faudra faire entrer à l’école des spécialist­es des neuroscien­ces, puisque l’enseignant de 2050 sera fondamenta­lement un « neuroculte­ur ».

L’augmentati­on cérébrale ne peut se faire que de deux façons : par sélection et manipulati­on génétique des embryons, ou par action électroniq­ue sur notre cerveau. Le 28 mars 2017, Elon Musk a annoncé le lancement de Neuralink, une société destinée à augmenter nos capacités cérébrales grâce à de minuscules composants électroniq­ues entrelacés à nos 86 milliards de neurones. Il ne fait aucun doute que l’on pourra, à terme, augmenter le QI des bébés par manipulati­ons biotechnol­ogiques. L’augmentati­on cérébrale pose d’immenses questions géopolitiq­ues et éthiques. Une large partie des Chinois, d’après les sondages internatio­naux réalisés par l’agence BETC, souhaitent augmenter le QI de leurs bébés grâce aux biotechnol­ogies. Que deviendrai­ent les bébés européens du futur si on n’augmente pas leurs QI, pendant que les Chinois fabriquera­ient des surdoués à la chaîne ? Les élites intellectu­elles françaises ont-elles moralement le droit d’interdire aux familles modestes d’augmenter le QI de leurs bébés afin de ne pas partager l’intelligen­ce conceptuel­le ? En réalité, dans le monde ultra complexe que L’IA va induire, la démocratis­ation de l’intelligen­ce biologique s’imposera comme une évidence.

En 2019, l’enjeu n’est pas de cultiver la nostalgie des hussards noirs de la République, mais d’adapter l’école au nouveau monde. Accessoire­ment, l’école doit cesser d’être le porte-voix des ayatollahs apocalypti­ques et de Greta Thunberg. Nos enfants ne pourront pas être compétitif­s face à L’IA si l’école les persuade que la fin du monde arrive... •

 ??  ?? Cours de biologie à la Waldorf School of the Peninsula, une école privée réputée de la Silicon Valley, qui interdit les écrans aux élèves, 4 mai 2019.
Cours de biologie à la Waldorf School of the Peninsula, une école privée réputée de la Silicon Valley, qui interdit les écrans aux élèves, 4 mai 2019.
 ??  ?? Une centaine d'enfants chinois participen­t à un concours de conception d'intelligen­ce artificiel­le pour les jeunes à Suzhou, 13 août 2017.
Une centaine d'enfants chinois participen­t à un concours de conception d'intelligen­ce artificiel­le pour les jeunes à Suzhou, 13 août 2017.

Newspapers in French

Newspapers from France