Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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Un an que ça durait. À la rentrée dernière, le ministre de la Culture (Madame Nyssen en ce tempslà) informe le patron de l’opéra de Paris qu’il partira en 2021, because la fameuse loi inventée jadis par François Mitterrand pour virer Pierre Desgraupes d’antenne 2. Tout président d’établissem­ent public, dit la loi, laissera sa place à 65 ans ! Place utile, un élu ayant toujours plein de soutiens à soutenir.

Télé, radio, château, Versailles ou Opéra, le choix du héros appartient à Jupiter. La noncandida­te Roselyne Bachelot résume sur le site Forum Opéra :

« Il serait totalement incongru de voir Angela Merkel annoncer l’identité du directeur du Staatsoper de Berlin ou Giuseppe Conte celui de la Scala. Il n’y a qu’en France et dans les dictatures que le rôle de la puissance publique est aussi prééminent. »

Trop éminent, dirait-on, pour Jupiter qui nous la fait modeste. Au lieu de choisir seul, il forme un comité d’experts dont aucun n’a dirigé d’opéra. Forcément, ça peine. Ça freine. Ça traîne. Au printemps, circulent une dizaine de noms. Le comité en retient quatre, ou cinq, mais chut !, interdit de savoir lesquels. Chaque semaine, un organe prophétise. Le Monde annonce Christophe Ghristi, en ce moment au Capitole de Toulouse. D’autres préfèrent le gars de l’opéra-comique ou celui de Bruxelles. On cherche les filles. Approché, puis oublié avec la dernière goujaterie, l’intendant de l’opéra de Vienne Dominique Meyer accepte fin juin la Scala de Milan. À bout, Paris Match décrète le 29 juillet que Stéphane Lissner, par on ne sait quelle dérogation à l’amendement dont il bénéficie déjà, restera deux ans de plus, seul moyen de tenir le planning. Et vlan. Cinq jours plus tard, Jupiter sort le bébé de

sa cuisse. Il s’appelle Alexander Neef. Un des « Mortier Boys » qui peuplent la planète lyrique depuis que leur maître, le regretté Gerard Mortier, a fui Paris en 2009. Chasseur de voix sous Mortier, petit Neef est devenu grand, part à Toronto, dont il soigne l’opéra depuis 2008. Imprévu, compétent, jeune (45 ans, la maternelle pour un établissem­ent public), allemand francophon­e venu des Amériques, premier sur la liste des éligibles au Met de New York : pas étonnant qu’il plaise à Jupiter. Aucun piston, aucun scandale, rien de l’idéologue qu’était son mentor. Premiers mots sur France Culture : « Je ne pense pas que dans les grandes maisons de répertoire il faille la révolution, mais l’évolution et un développem­ent naturel. » Au programme : opéra français (son prédécesse­ur y aura beaucoup oeuvré, quoique aucun de ses spectacles ne puisse se maintenir au « répertoire »), main tendue vers l’ouest (enfin Bernstein, Gershwin, Glass, Adams ? retour de Britten ?), réalisme et ouverture d’esprit. Comme on dit dans La Haine, jusqu’ici tout va bien.

Maintenant, une énorme campagne de travaux doit translater studios et ateliers du boulevard Berthier à la Bastille – où se profile une quatrième salle dite « modulable », non financée. Le public n’a toujours rien de populaire, les tarifs non plus. Accorte, Monsieur Neef n’est pas chaleureux, on se demande comment le public et les 1 700 salariés lui diront bonjour. Et depuis trente ans qu’il braille, l’opéra Bastille a la manie de lyncher tous ses rois. Aussi, ma soeur, mon frère, prions. Salut à toi, Alexander ! Que ton règne vienne ! Qu’il te soit doux et nous soit fécond ! (Sur le toit du palais Garnier, Apollon se tord). •

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