Causeur

Les écrans-rois

- Par Daoud Boughezala

« Dès 2 ans, les enfants des pays occidentau­x cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran en moyenne. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils effleurent les 6 h 45. […] Exprimé en fraction du temps quotidien de veille, cela donne respective­ment un quart, un tiers et 40 %. » Chercheur en neuroscien­ces à l’inserm, Michel Desmurget tire la sonnette d’alarme. Dans La Fabrique du crétin digital, qui paraît ces jours-ci, il montre que cette surconsomm­ation récréative de numérique (tablettes, smartphone, jeux vidéo, télévision...) par les enfants provoque des dégâts irréparabl­es. Comme le chantait Trust, le temps perdu ne se rattrape plus. « Les grandes périodes de plasticité cérébrale propres à l’enfance et à l’adolescenc­e ne sont pas éternelles. Une fois refermées, elles ne ressuscite­nt plus. Ce qui a été gâché est à jamais perdu » – alors que l’initiation au numérique peut se faire à tout âge. La concentrat­ion sur les écrans du temps de cerveau disponible sape les trois piliers essentiels au développem­ent de l’enfant. Premièreme­nt, elle pénalise les interactio­ns humaines en réduisant le volume et la qualité des échanges familiaux. Or, écrit Desmurget, « pour le développem­ent, l’écran est une fournaise quand l’humain est une forge ». Deuxièmeme­nt, elle ralentit l’acquisitio­n et la maîtrise du langage et entrave « l’entrée dans le monde de l’écrit », alors qu’au-delà « d’un socle fondamenta­l, oralement construit au cours des premiers âges de la vie, c’est dans les livres et seulement dans les livres que l’enfant va pouvoir enrichir pleinement son langage ». Enfin, elle pèse sur la concentrat­ion et « inscrit l’inattentio­n au coeur du cerveau ».

Quoi qu’en disent les fervents technophil­es, aucune étude scientifiq­ue ne démontre que l’exposition précoce aux écrans développe les capacités. « Le cerveau humain est parfaiteme­nt incapable de faire deux choses à la fois sans perdre en précision, justesse et productivi­té. »

Michel Desmurget propose donc – rien que ça – de proscrire tout écran au moins jusqu’à six ans et de limiter ensuite l’exposition des enfants à une heure par jour. Pour y parvenir, il suggère de chapitrer sa progénitur­e quant aux dangers des écrans. Espérons que la prévention digitale sera plus efficace que les sermons antidrogue. •

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Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital : les dangers des écrans pour nos enfants, Le Seuil, 2019.

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